La foi en l’humanité ou le nihilisme impérialiste instrumentalisant les religions : un enjeu de civilisation et de transmission intergénérationnelle, interculturelle… dans des combats communs pour la perfectibilité d’un destin…

Edmond Janssen, notre éditeur et à sa manière co-auteur de notre livre a été invité en Chine, à une rencontre universitaire pour participer à une conférence qui vise à « Construire un nouveau récit du dialogue entre les civilisations qui transcende la théorie occidentale du choc des civilisations ». Il m’a proposé d’écrire avec lui son intervention, vu le contenu de notre livre et sa première partie, celle que nous avons rédigé Marianne et moi qui est justement non pas sur le thème de l’Islam et de la Chine, mais bien sur celui de ce qu’ouvre cette rencontre, une démarche « civilisationnelle » y compris avec les Etats-Unis. J’ai donc avec Edmond et après consultation des trois autres auteurs, comme nous le faisons désormais pour les publications de ce blog, rédigé ce texte avec Edmond qu’il va porter en Chine, pour dire notre « désintéressement » à tous au nom de ce à quoi nous aspirons.
Je ne sais si ce texte sera entendu pour ce qu’il est, une respiration pour dire que la France ce n’est pas Macron, son asphyxie, la trahison des anciens et celle de la jeunesse, un cri pour dénoncer de la censure de toute espèce… Alors que nous venons de si loin, nous qui sommes là en ce moment ; depuis les premières peinture sur les roches, depuis que s’est manifestée cette soif de connaitre en transformant.
Je voudrais encore vous raconter une anecdote pour contextualiser ce texte et cette démarche de transmission, qui est la principale caractéristique de nos écrits collectifs et de ce blog : hier nous avons marché mon petit fils Willem qui a 24 ans et moi 87 ans, un couple inusité salué par un « vous êtes superbes tous les deux ! ») (je vous jure que c’est vrai) par une procession touristique en train de visiter Marseille : pendant des kilomètres, trois heures durant, de l’aube fraiche à la lumière verticale de midi. Là installés dans les jardins du Palais du Pharo à l’entrée du Vieux port marseillais, nous avons lu face à la mer. Lui découvre Politzer, il en est aux trois quarts des « principes élémentaires de philosophie » et avec la passion de la jeunesse, il s’initie au « marxisme », il apprend le chinois avec la même boulimie joyeuse avec laquelle il me décrit les découvertes physiques et morales de la pêche sous marine, de la plongée en apnée… je lui ai demandé puisqu’il est musulman, originaire de l’Algérie mais très patriote français, ce que représente pour lui la relation Chine et Islam, il m’a dit : deux choses essentielles, la base même des valeurs du communisme, l’Islam est le communisme, c’est l’entraide en particulier envers les plus pauvres mais il y aussi chez les Chinois et dans le monde musulman, le refus de se complaire dans le malheur, de l’anticiper, le choix du bonheur, du corps et de l’esprit.
Dans cette journée lumineuse de la Méditerranée, dans cette ville Marseille où chacun vient d’ailleurs, alors je lui ai lu un passage d’Aragon où il parle de la pédagogie de la poésie, celle à la fois savante dans laquelle comme dans le fou d’Elsa la langue française rend hommage à la poésie arabo-andalouse, un texte des Essais littéraires dans la pléiade où le poète savantissisme propose l’École buissonnière du plaisir complètement indispensable de l’érudition et de la nourriture de l’école des musées… Je lui ai lu aussi les pages sur l’héroïsme français, qui se revendique – pas seulement militaire – face au drame français de la défaite et la trahison. Voici en confidence, en fin d’article, deux photos de ce moment de transmission civilisationnel entre générations, entre monde brisés par la colonisation et l’arrogance d’aujourd’hui, un instant buissonnier de bonheur. Notre livre a comme notre blog cette dimension avec la complicité totale de notre éditeur. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
La foi en l’humanité ou le nihilisme impérialiste instrumentalisant les religions : un enjeu de civilisation, Chine-Islam
C’est en tant qu’éditeur français depuis plus de vingt ans que je m’exprime pour cette conférence internationale. Notre maison d’édition, les Editions Delga, spécialisée en histoire, géopolitique et sciences humaines a publié de nombreux livres sur la Chine. Je citerai seulement ceux publiés ces deux dernières années :
– Le dernier paru en avril 2025, le livre collectif Quand la France s’éveillera à la Chine. La Longue Marche vers un monde multipolaire de 4 coauteurs et préfacé par le Secrétaire du Parti communiste français,
– En janvier 2025 L’Odyssée chinoise. De Mao Zedong à Xi Jinping de Bruno Guigue,
– Un autre livre collectif paru à la fin de 2024, Soixante ans d’amitié entre la France et la Chine,
– Et au début 2024 Ouïghours. L’horreur était dans nos médias de Maxime Vivas.
C’est au prisme de notre dernière parution, le livre collectif Quand la France s’éveillera à la Chine. La Longue Marche vers un monde multipolaire de Danielle Bleitrach, Marianne Dunlop, Jean Jullien et Franck Marsal, que je m’exprimerai dans cette conférence internationale qui stipule dans la lettre d’invitation reçue, qu’elle « vise à construire un nouveau récit du dialogue entre les civilisations qui transcende la théorie occidentale du choc des civilisations ».
Depuis fort longtemps les grandes puissances coloniales ont instrumentalisé des dérives sectaires et violentes dans les religions. Elles ont entretenu la haine, les guerres et le terrorisme. Et nous arrivons au point où ces empires derrière leur suzerain les USA, parvenus au faîte de la domination voient le sol se dérober sous eux. Ce n’est pas le sol qui se dérobe, c’est un nouveau monde qui naît, multipolaire, qui pourra être ouvert et pacifié. Ce livre écrit depuis un de ces empires finissant mais dont le peuple est célèbre pour ses poussées révolutionnaire, la France, dit que notre pays qui vit un drame, doit demander son adhésion aux BRICS. Ce qui suscite de l’étonnement mais aussi de l’intérêt. Nous expliquons que face à la pression exercée par les Etats-Unis sur tous les peuples, il faut s’unir pour endiguer la guerre, la destruction, les inégalités… Il ne s’agit pas d’ une alliance, une coalition sur le mode de celle des Etats-Unis y compris pour se lancer dans des croisades meurtrières, des blocus, des génocides comme on le voit à Gaza. Au contraire, c’est le gagnant-gagnant mais c’est plus que cela, il s’agit de bâtir une communauté de destin, un projet civilisationnel.
Il s’agit de comprendre ce que nous propose la Chine et en quoi cette proposition est crédible. Mais aussi ce que nous voulons, nous…
Revendiquer un projet civilisationnel à opposer à celui en train de s’effondrer ouvre un champ de réflexion immense sur la nature du dialogue humaniste qu’initie la proposition d’un destin commun et ses réalisations. C’est un aller retour permanent entre l’actualité la plus brûlante, celle des conflits, des blocus et des drames et un champ conceptuel qui s’établit par tâtonnement, expérimentation et qui a sans cesse besoin d’être traduit repensé en remettant en cause notre illusion d’un savoir immédiat.
L’idée de communauté de destin est très ambitieuse, dans ses réalisations « monumentales » et dans sa portée philosophiques. Sur le plan philosophique, il y a une montée vers l’universel a contrario de l’universel imposé comme une « viol de l’histoire » de tous les autres que proclame l’occident à travers le partage du monde colonialiste et celui d’aujourd’hui de l’impérialisme US qui exige l’uniformisation, soumission. Cette voie déjà à l’œuvre, et qui pour le moment a rassemblé un grand nombre de pays se revendiquant de l’Islam, parait plus fondé sur l’OPEP+ et le refus de n’être que les « pétrodollars », au contraire de l’impérialisme qui se limite à ses seuls intérêts, est à l’aube d’une diplomatie, de négociations qui refusent l’anarchie, et s’interrogent sur la réalité de l’entraide proclamée par l’Islam, il exige un « travail » des coopérations, comment un monde multipolaire peut-il aboutir à l’unité et pas seulement de la monnaie ? ne sera-t-il pas le monde des rivalités entre empires tentant de surgir de la décomposition de l’hégémonisme ? C’est un possible mais il y en a un autre qui matériellement se donne comme finalité le développement : le gagnant – gagnant mais il appelle aussi à un renversement intellectuel à partir des aspirations humaines les plus nobles.
Un exemple, pour rester dans le thème, il n’est pas plus dit dans cette quête que l’Islam soit seulement Moyen Oriental que le communisme soit européen. Cette longue marche de l’humanité si elle va vers son émancipation, doit être une véritable décolonisation, dans la maitrise des ressources, des décisions nationales, locales mais aussi dans une optique éthique, culturelle. Donc « la communauté de destin » en créant les conditions matérielles de l’émancipation à partir des possibles scientifiques et technique aspire à rendre leur dignité aux êtres humains en les inscrivant dans leur propre histoire et dans leur lignée. Cette démarche éthique a des similitudes avec la la laïcité française, et par exemple le refus d’accepter tout financement extérieur pour les religions. Il y a des traits communs mais c’est différent parce que les Chinois n’ont jamais eu à lutter contre l’endoctrinement religieux qui leur interdisait la science comme dans le cas de l’Europe, au contraire. De ce point vue les Chinois ont plus de parenté avec l’Islam qu’avec le christianisme européen et puritain aux USA. D’ailleurs on peut considérer la route de la soie, la BRI proposée par la Chine en référence à cet échange théorico-pratique dans toutes les villes et oasis de l’Asie centrale, l’invention chinoise et celle de l’Islam, suivant les marchands et la sagesse orientale de villes oasis, en steppes et aussi en ports. Notons qu’à partir de là c’est toute la relation avec le judaïsme qui est repensée, recrée, celle avec toutes les civilisations asiatiques et européenne. Exactement le contraire du charnier de Gaza, dans lequel ces peuples ont pour seule mémoire la réinterprétation cauchemardesque du charnier d’Auschwitz dans un impérialisme incapable d’autre destin qu’Apocalypse Now..
Bien sûr tous les ateliers de cette rencontre reviendront certainement sur le fait, qui va a contrario de la propagande inculte et falsificatrice des Usa et de l’occident des Etats-Unis, que la population musulmane chinoise ne se limite pas aux Ouïghours de culture turque. Le plus grand nombre de musulmans sont les Hui de culture chinoise. Et ce qui est intéressant par rapport à la dimension philosophique anthropologique de la multipolarité est d’observer comment à travers cette population Hui, Chine et Islam se ont transmutés dans le contexte d’une civilisation non islamique. C’est l’aboutissement d’un effort de traduction, des termes privilégiés qui pour le Chinois converti revendiquait sa foi comme pureté et vie. On connait cette parole du sage découvrant comment les premiers prosélytes de l’Islam avaient établi des convergences dans la traduction des termes, des rites et des croyances avec l’enseignement confucéen : « Ainsi, bien que son livre explique l’islam, il illumine en vérité notre confucianisme. » Et effectivement, il y a là les bases de cette multipolarité qui veut que des musulmans peuvent pleinement vivre leur foi à travers une cosmogonie archaïque mais aussi un des fondamentaux de la civilisation chinoise traditionnelle : l’humanisme chinois tel que le fixe Confucius et une tradition archaïque de l’interprétation magique sur des carapaces de tortue de l’oracle, lié à la naissance de l’écriture, se centre sur la dignité de la personne humaine. Elle même comprise comme voie des valeurs supérieure du monde. Et nous avons dans notre livre tenté d’aborder la manière dont ces valeurs pour nous marxistes, selon Marx lui même, se rapprochent du matérialisme dialectique, historique, de la dialectique hégélienne, et nous éloigne du matérialisme vulgaire celui du maquignonnage de Trump. Ce qui est opposé dans la démarche de connaissance scientifique que revendique après les « lumières » le marxisme n’oppose pas le “mythe” et la raison, au contraire, le mythe et la raison ont la même origine. Ce qu’il dénonce c’est « la raison » qui ne tire du développement des forces productives qu’enfer et barbarie pour l’humanité. Il s’agit non pas de renoncer à la raison, mais à cette « raison » à « ce matérialisme écœurant » qui en se déshumanisant à travers l’exploitation capitaliste, le pillage et le racisme néocolonial, aboutit à son contraire l’irrationnel de la destruction de la vie elle-même et renforce alors dans le cœur des exploités le recours à l’illusion mythologique destructrice, infernal. Il n’y a pas d’enfer et de paradis dans la cosmogonie chinoise, mais des points de l’univers dans lequel le récit se déplace, pas plus que de châtiment divin dans les catastrophes, en revanche il y a le héros prométhéen, totem, animal homme qui invente la puissance transformatrice de l’homme, la perfectibilité du juste et du vrai, assorti de la « bienveillance’, le jen (仁 ; rén).
Si ce livre sur l’éveil de la France, et la longue marche d’un monde multipolaire, a connu une audience importante qui continue à se développer c’est sans doute à cause de l’engagement politique de cette proposition d’adhésion aux BRICS mais aussi de cette dimension civilisationnelle assumée à laquelle aspire la conscience du peuple français face à ce qui brade son histoire.
Chacun dans ce monde a conscience de vivre un basculement historique, face à cette mutation, l’occident est en proie au nihilisme, en la perte de foi en l’être humain, dans toute forme de collectif, il n’y aurait plus de progrès possible faute de perspective.
Les propositions chinoises sont réalistes, elles s’ancrent sur des réalisations, mais elles vont plus loin, le principe final est la composante humaniste universelle de la perfection humaine en général, l’objectif le plus élevé, à la fois de l’islam et de la tradition chinoise. Dans l’expérience du socialisme à la chinoise il y a la reconnaissance que ce sont des êtres de chair et de sang, et que la principale contradiction du socialisme est justement la nature très élevée des aspirations qu’un tel système produit et les moyens insuffisamment développés de la société pour y faire face, le protagoniste, le héros n’est pas que militaire comme trop souvent le prône l’imagerie hollywoodienne, il y a l’héroïsme civique, l’héroïsme intellectuel, tous les moyens d’expression ceux du sportif au poète et toutes les manifestations armées ou désarmées du courage, face à la violence de l’homme abstrait, marchandise, monnaie, il y la force d’une spiritualité qui cherche l’harmonie, une perfectibilité et la bienveillance dans un collectif recréé que nous nous appelons le communisme, un principe espérance face à un monde qui meurt.
Edmond Janssen (éditeur) et Danielle Bleitrach (sociologue et co-auteur de Quand la France s’éveillera à la Chine. La Longue Marche vers un monde multipolaire (When France Wakes Up to China. The Long March towards a multipolar world)



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