Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Jack Ma, Trump et la guerre des modèles économiques

La particularité de la situation actuelle, c’est qu’il faut parfois aller chercher au cœur de l’idéologie libérale les critiques les plus pointues de la politique de la bourgeoisie. C’est que la « gauche » elle-même se voile la face et les yeux devant le désastre qu’elle perçoit pourtant. Nous vous proposons avec cet article de Philippe Belache, économiste, trader et commentateur politique de mesurer à quel point les tendances de développement des contradictions mondiales du capitalisme engloutissent non seulement notre industrie mais l’ensemble des structures sociales de la nation. Nous poursuivons ainsi le fil sur l’incapacité des dirigeants actuels des pays européens à ouvrir une alternative à l’effondrement économique, social et industriel alors que les USA ont décidé de sauver – un temps – leur puissance finissante en plumant leur propres alliés. L’accord conclu par Trump et Von der Leyen hier confirme cette soumission. Il prévoit des droits de douane de 15% pour les produits européens exportés aux USA ainsi que 750 milliards d’achats d’énergie de l’Europe aux USA et 600 milliards d’investissements européens aux USA. Avec des droits de douane élevés, une énergie chère et une clause préférentielle d’investissement aux USA, on se demande où seront les emplois et comment se nourriront les familles européennes. On comprend dans ce contexte le projet poursuivi de longue date par Patrick Pouyanné d’obtenir la double cotation du groupe TotalEnergies à Paris et à New York. La première entreprise du CAC 40 a déjà comme premier actionnaire le fonds financier BlackRock et plus de 50 % de ses actionnaires sont états-uniens. Elle devra désormais se soumettre aux obligations drastiques du droit des USA, notamment à la supervision de la SEC, la commission de bourse de Wall Street et l’application de la loi Sarbanes – Oxley particulièrement drastique. Comme le dit Danielle, « Je ne sais pas si le prolétariat va se révolter mais pour le moment ce sont les capitalistes qui sont de plus en plus mécontents de l’état de leur dictature… Celle du prolétariat devient une nécessité… même pour eux, surtout quand ils ont subi un temps de « rééducation ».. » (note de Franck Marsal pour Histoire&Société)

par Philippe Béchade 28 juillet 2025

Après des années de silence, Jack Ma reprend la parole pour dénoncer les dérives du capitalisme américain et les failles d’un système occidental en perte de souveraineté.

Jack Ma – le fondateur d’Alibaba, d’Alipay et d’Ant Group – vient de livrer une analyse sans concession de 30 années de capitalisme à l’occidentale dans une rare interview accordée début juillet.

Bien sûr, il lui est beaucoup plus facile de critiquer les dérives du libéralisme américain que le capitalisme administré chinois. Il s’y est essayé et cela lui a valu, à partir d’octobre 2020, une mise à l’écart de la tête de son propre empire. Des dizaines de milliards de dollars de sa fortune personnelle sont alors partis en fumée.

Mais aujourd’hui, il met les points sur les « i » en ce qui concerne les critiques de Donald Trump à l’encontre de la Chine, accusée d’avoir « escroqué l’Amérique, de lui avoir volé ses emplois et de continuer d’exercer une concurrence déloyale ».

Je n’exclus pas que cette interview de Jack Ma, qui n’a plus été autorisé par Pékin à s’exprimer librement dans les médias depuis quatre ans et demi (janvier 2021), ne soit une opération de communication destinée à délivrer un message aux « capitalistes américains » (par un capitaliste chinois, l’un des seuls à s’être imposé parmi les leaders du Nasdaq à partir de 2014), qui soutiennent la politique antichinoise de Donald Trump.

« Pendant 30 ans, les entreprises multinationales américaines ont engrangé des profits exorbitants en délocalisant leur production. Cela représente un investissement supérieur à ce qu’ont financé en interne les quatre plus grandes banques chinoises réunies dans l’intervalle.

[…]

Alors, où est passé l’argent ? 14 200 milliards de dollars ont été brûlés dans des guerres inutiles, et le reste a engraissé les parasites de Wall Street. Pendant ce temps, les routes américaines se désagrègent, les villes pourrissent, et les travailleurs ont été jetés comme des inutiles : beaucoup ont fini mendiants. »

Jack Ma aurait pu adresser le même reproche aux entreprises et à l’exécutif français, qui a encouragé le modèle de l’industrie sans usine, théorisé par Serge Tchuruk, le patron d’Alcatel, au moment de la bulle des dot.com.

La France a beaucoup délocalisé depuis l’an 2000 (d’une pierre deux coups : cela abaissait drastiquement le bilan carbone de notre pays et le faisait passer pour « vertueux » aux yeux des écolos). Mais depuis 2012, elle est passée à une autre phase de sa mutation capitalistique : la cession de nombreux fleurons du CAC 40, représentant 20 % de sa capitalisation en cumulé.

Ce n’était pas de l’incompétence de la part des initiateurs, c’était une trahison calculée des intérêts nationaux.

La preuve avec le rachat des brevets d’Alstom, voulu par le même décideur qui avait accepté de les brader à une multinationale américaine concurrente (General Electric/Westinghouse). Une opération de près de 10 milliards d’euros, qui avait donné lieu à la rémunération pharaonique d’une cascade d’intermédiaires (500 millions d’euros), dont certains seront plus tard identifiés comme les principaux « donateurs » de la campagne présidentielle de celui qui les avait mis dans la boucle.

Pour l’avoir dénoncé avec un luxe de détails et un large éventail de preuves irréfutables, il n’est pas impossible qu’Eric Dénécé et Olivier Marleix l’aient payé cher pour avoir gravement mis en cause la probité du président lorsqu’il était secrétaire général de l’Elysée – et court-circuitait le ministre de l’Economie de l’époque, Arnaud Montebourg… avant de prendre sa place, en août 2014, à Bercy.

C’est depuis la portion du bâtiment qui enjambe la Seine que le futur candidat usera des « moyens de la République » (et des « dîners de Bercy ») pour orchestrer, avec de riches soutiens, son accession au pouvoir – dans le dos du président de l’époque, François Hollande, dont la confiance fut abusée ou trahie à plusieurs reprises.

Ainsi va le monde politique, où personne ne se fait de cadeaux… mais quand les manoeuvres des uns nuisent aux intérêts supérieurs de la nation, et que cela finit par se savoir, c’est le pouvoir qui remet ses subordonnés à leur place.

C’est ainsi que les choses se passent en Chine et se sont passées pour Jack Ma. C’est tout l’inverse de ce qui s’est passé en France, où des intérêts privés ont installé « leur candidat » à l’Elysée et se sont emparés de tous les leviers du pouvoir – et même du contre-pouvoir censé être incarné par les médias (en prenant leur contrôle de façon capitalistique).

C’est Xavier Niel qui l’explique le mieux :

« Quand les journalistes m’emmerdent, je prends une participation dans leur canard, et ensuite ils me foutent la paix. »

En Chine, les médias sont aux ordres du pouvoir, et nul intérêt privé ne saurait marcher sur les plates-bandes de Xi Jinping.

Et Donald Trump, qui critique beaucoup la Chine, démontre, par ses déclarations, qu’il se rêve en empereur tout-puissant… mais déplore de ne pas avoir tous les médias à sa botte, comme Xi Jinping ou le président français qu’il déteste, et dont il moque la propension à se mêler de tout, à se croire indispensable… et sa tendance à échouer dans tout ce qu’il entreprend dans le domaine économique et géopolitique.

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