Partons de « l’événement » : l’invitation de l’Indonésie, son armée à défiler sur les Champs Élysées le 14 juillet 2025 et d’un autre événement qui intervient cette semaine, le sommet Europe-Chine, pour mesurer la complexité de la relation aux BRICS. Un président indonésien oligarque, violemment anticommuniste, et qui prétend représenter les BRICS, les non alignés, l’esprit de Bandung. Autre actualité, un Trump bluffeur qui se vante d’une signature d’accords qui ne sont que vagues promesses, face au sang-froid chinois et aux rêves mégalomaniaques de Macron, qui a vu en lui le partenaire idéal du 14 juillet, parce qu’il avait promis l’achat de rafales… Macron qui se voit en faiseur de rois dans le Pacifique après avoir été débarqué en Afrique et au Moyen orient. Ce qu’il attribue à la Russie, ignorant le rôle joué par les USA et l’allié britannique qui lui aussi est en train de perdre pied en Australie avec le seul joker des Philippines. On mesure ce que ce jeu de poker menteur nous dit de la guerre de position qui se joue. Il nous semble néanmoins qu’à travers les errances dérisoires de Macron, les impasses assumées de l’UE, se révèle un début de réalité : celle d’une Europe profondément divisée, que ne maintient dans une apparence d’unité que le « front commun » (qui n’est pas celui des peuples) dans la russophobie, mais une Europe, contrainte à ce que tous les partenariats possibles se fassent désormais dans l’architecture multipolaire sous leadership chinois alors que la seule chose qui l’unit est justement cet acharnement à des sanctions de moins en moins opérantes. La seule issue pour la France, celle qui pourrait susciter des partenariats dans le monde multipolaire c’est de chercher résolument une alternative à la crise dans laquelle s’enfonce l’impérialisme US, le système occidental. C’est la thèse de notre livre « Quand la France s’éveillera à la Chine, la longue marche vers un monde multipolaire » (1)
(1) Danielle Bleitrach, Marianne Dunlop, Jean Jullien, Franck Marsal, préface de Fabien Roussel (Delga éditeur, avril 2025)


Les effets décroissants de la pression des Etats-Unis et de l’UE et le rôle des BRICS à travers le cas de l’Indonésie
L’Indonésie a rejoint le sommet des BRICS de cette année en tant que membre à part entière à Rio de Janeiro, une décision attendue de longue date. La nation d’Asie du Sud-Est aspire depuis longtemps à être plus qu’un acteur régional de premier plan ; elle cherche à être un leader mondial, et l’adhésion aux BRICS parait incontournable pour les pays qui ont de telles ambitions. Si comme nous l’avons souligné les BRICS représentent à la fois l’institution la plus originale de cet ordre multipolaire avec d’incontestables réalisations, sous l’impulsion de la Chine, elle est à la fois l’alternative incontournable de la participation des pays du sud, des forces émergentes à ce mouvement sud sud et dans le même temps elle reflète des orientations et ambitions très diverses. D’une très grande souplesse, elle ne se conçoit pas sur le modèle de l’ordre hégémonique et de ses coalitions impérialistes sous la direction des pays capitalistes du nord. Pour les nations qui ont elle-mêmes comme l’Indonésie mais aussi comme l’Inde des ambitions hégémoniques la présence au sein des BRICS est devenue incontournable, et la relation avec la Chine mais aussi la Russie pour l’aire asiatique (mais également Afrique, Pacifique, Amérique latine) une évidence.
Les puissances occidentales ont longtemps exercé une influence qui ignore ou exploite souvent les intérêts des pays du Sud. Les échecs sont réels – des promesses de financement climatique non tenues à l’indignation sélective face aux violations territoriales, en passant par un ordre fondé sur des règles appliqué de manière inégale. L’Indonésie comme les autres pays du sud ne manque pas de raisons de se regrouper pour exiger la fin d’un tel ordre.
Le président Prabowo Subianto lors de sa présence à Rio de Janeiro à saisi l’occasion pour appeler à un ordre multilatéral revitalisé, à une plus grande coopération Sud-Sud et à une gouvernance mondiale plus équitable. Il a invoqué l’esprit de Bandung – la conférence de 1955 que l’Indonésie a convoquée pour unir les nations nouvellement indépendantes sous la bannière de la paix, de la solidarité et du non-alignement. Ce qui peut paraitre un paradoxe pour un homme de l’oligarchie qui a participé avec enthousiasme aux massacres anticommunistes de l’Indonésie (2). Les BRICS ont avec ce président comme avec celui d’Arabie saoudite, de l’Égypte, et à des degrés divers celui de l’Inde, et même l’Algérie des représentants de nations ayant subi le colonialisme et continuant à se débattre contre ce passé tout en ayant refusé le socialisme et ayant parfois dérivé comme l’Inde vers un néolibéralisme sans frein. Ce qui brouille les cartes et explique à quel point l’occident, Trump, mais aussi Macron, les Britanniques, les Allemands et même les Italiens tentent avec eux une « troisième voie ». L’inquiétude est grande à la fois dans le blog (fissuré) occidental impérialiste et dans les oligarchies locales, de savoir si l’Indonésie de Prabowo ne dérive pas dans l’orbite de la Chine et de la Russie et s’éloigne de l’Occident.
Dans l’un de ses premiers gestes diplomatiques après avoir remporté la présidence, Prabowo s’est envolé pour Pékin – avant même de prendre officiellement ses fonctions. Il a ensuite signé une déclaration conjointe avec la Chine, que beaucoup dans la région ont considérée comme trop conciliante, en particulier en ce qui concerne la mer de Chine méridionale, où les deux nations ont des revendications qui se chevauchent.
Au Forum économique international de Saint-Pétersbourg, Prabowo a fait l’éloge de la Chine et de la Russie comme des pays « sans deux poids, deux mesures ». Son absence au sommet du G7 n’a fait qu’approfondir les inquiétudes des occidentaux, ce qui explique à la fois l’invitation au défilé du 14 juillet en France et le fait que Trump a annoncé à grand fracas la signature d’un accord assorti là aussi d’achats d’avions. Alors qu’il semble que rien n’ait été réellement signé.
Ceux qui ne veulent pas appartenir à un axe anti-occidental sont poussés vers un engagement politique… Bandung, la stratégie chinoise…
L’Indonésie ne veut pas être considérée comme faisant partie d’un « axe anti-occidental » : d’où la référence à Bandung, l’indépendance et l’engagement actif. Cette doctrine malgré le revirement violemment anticommuniste a toujours été le principe de sa politique étrangère, elle a permis à l’Indonésie de travailler avec toutes les parties sans servir aucune d’entre elles. C’est ce qui avait donné à Jakarta, alors en symbiose avec les communistes, la crédibilité nécessaire pour diriger le Mouvement des pays non alignés et accueillir la Conférence de Bandung. Et cela reste l’un des atouts diplomatiques les plus stratégiques de l’Indonésie. L’intérêt des BRICS est qu’à l’inverse de la plupart des liens y compris le G7, (le régime tarifaire n’a fait que l’accentuer), les BRICS et le monde multipolaire n’exigent pas l’alignement, mais offrent une protection.
Mieux ou pire, la plupart des nations émergentes qui par leur taille et leur force économique, aspirent à être les nations soit suzeraines, soit simplement leaders régionaux ont compris que leur ambition réside dans leur capacité à servir de pont entre le monde développé et le monde en développement, entre les grandes puissances et les puissances émergentes.
A ce titre, elles sont elles-mêmes soumises plus ou moins à la pression de leur propre peuple, la lutte des classes acquiert une double dimension, celle des nations pillées par l’impérialisme et celle des peuples qui ont souvent subi et continuent à subir des inégalités, et des formes d’exploitation qui parfois se combinent avec des minorités religieuses ou ethniques dans la relation avec l’occident qui a permis l’émergence mais l’a fait à travers une surexploitation de moins en moins supportable.
Cela est d’autant plus critique que les BRICS – désormais élargis pour inclure le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Égypte, l’Iran, les Émirats arabes unis et l’Indonésie, représentant ainsi plus de la moitié de la population mondiale – évoluent eux-mêmes.
Ce qui a commencé comme un bloc économique face la politique de l’occident, y compris les récentes menaces de Trump est maintenant contraire à l’identité politique. L’Indonésie ne souhaite visiblement pas amplifier cette tendance et il faut comprendre sa réponse aux propositions de Macron comme une tentative de créer un système tri-partite avec l’Europe, les Etats-Unis et la Chine, mais c’est la trajectoire belliciste des USA et les errances européennes qui peuvent comme d’autres pays les rapprocher, qu’ils soient membres des BRICS ou non (le cas de l’Afrique de l’Ouest comme du Moyen Orient peut relever de la même grille et comme par hasard il s’agit d’un monde musulman).
Au sommet de Rio, Prabowo a invoqué à juste titre l’héritage de Bandung. Il s’agissait d’un leadership audacieux de la part des pays du Sud – un leadership qui défiait le colonialisme, l’injustice et la domination sous toutes ses formes dans lequel des leaders comme Fidel Castro, Nassern Tito, N’Kruma, Ben Barka et bien d’autres ont jeté les bases d’un nouvel ordre dans lequel l’interprétation de la souveraineté, du socialisme, a participé d’un mouvement né de la victoire sur le nazisme, les programmes des résistances et le rôle joué par l’URSS. La fin de l’URSS a été précédée d’une stagnation de ce mouvement avec des répressions massacres massifs de communistes dont celui d’Indonésie. Mais aussi la disparition au combat de héros comme Che Guevara et Ben Barka ou encore Sankara ou Lumumba.
Aux BRICS, l’Indonésie a offert le témoignage de la réalité de ce que sont les BRICS en tant qu’alternative de justice et de développement, mais le chemin est encore long pour construire non pas un front anti-occidental mais bien ce que propose la Chine, un nouvel ordre multipolaire avec le retour à la charte de l’ONU et la coopération gagnant-gagnant pour résoudre les défis auxquels est confrontée l’humanité.
On peut considérer de ce fait que l’invitation de Macron à l’Indonésie, sa tentative de diviser les BRICS dans une vassalité assumée de la France et de l’UE aux USA, témoigne à la fois de l’impasse d’une telle ambition et dans le même temps suggère les possibilités d’une orientation dans laquelle la France accepterait à partir de la part la plus révolutionnaire d’elle-même d’accepter un nouveau partenariat avec le monde tel qu’il se présente déjà. Il est évident que l’on ne peut pas compter sur la classe qui porte depuis des décennies le personnel politique français, même si la classe capitaliste française est elle-même prise dans les contradictions de l’empire confronté à la débâcle …
La « stratégie » russophobe de l’UE accroit son isolement externe et ses divisions internes
Les Commissaires européens qui participaient à une réunion ministérielle européenne sur la politique migratoire au sommet du Zugspitze, en Allemagne, en ont profité pour en rajouter une couche dans les mesures voulues être antirusses mais qui s’avèrent largement inefficaces hors Europe et là il s’agit de se tirer une balle dans le pied.
La Commission européenne, l’organe exécutif de l’UE, avait proposé d’abaisser le plafond du prix du pétrole de 60 à 45 dollars, ce qui est inférieur au prix du marché, afin de cibler les vastes revenus énergétiques de la Russie, mais ce qui par parenthèse touche également des pays producteurs comme l’Indonésie. Les 27 pays membres ont décidé de fixer le prix du baril à un peu moins de 48 dollars. Notons le paradoxe : l’UE espérait que les grandes puissances internationales du Groupe des sept participeraient au plafonnement des prix afin d’en élargir l’impact, mais le premier d’entre eux l’administration Trump n’a pas pu être ralliée à sa cause.
Effectivement, paradoxalement ces brillants stratèges de l’UE avaient choisi d’appuyer l’orientation de l’OPEP+ impulsée par la Russie : obliger les pétroliers du Texas (un des appuis de Trump) de faire vendre à perte pétrole et gaz de schiste des Etats-Unis.
L’absence d’efficacité dans la cible est compensé par un discours qui exagère les mérites des mesures choisies et tente d’entraîner les Etats-Unis au moment où ils étranglent l’UE dans leur escalade. Comme dans le cas de l’OTAN, il n’y a plus de limite à la flagornerie et le ministre français des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a déclaré qu’il s’agissait d’une « excellente nouvelle » et que ce nouveau train de mesures allait « accroître la pression sur la Russie ». Lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue allemand vendredi, à Paris, M. Barrot a également félicité le président Trump d’avoir imposé un nouveau délai pour un cessez-le-feu en Ukraine.
Tout est parti du constat que la rente pétrolière est le pilier de l’économie russe, ce qui permet au président Vladimir Poutine d’injecter de l’argent dans les forces armées sans aggraver l’inflation pour les citoyens ordinaires et d’éviter un effondrement de la monnaie. Le seul problème est la puissance réelle de telles mesures sur non seulement la Russie, mais aussi la Chine et les pays producteurs dont l’Indonésie. D’abord on commence à menacer ce qui est déjà exécuté et qui a provoqué une crise économique dans l’UE. Une nouvelle interdiction d’importation a également été imposée pour tenter de combler une lacune permettant à la Russie d’exporter indirectement du pétrole brut via un certain nombre de pays non-membres de l’UE. L’UE a également ciblé les oléoducs Nord Stream entre la Russie et l’Allemagne afin d’empêcher M. Poutine d’en tirer des revenus à l’avenir, notamment en décourageant les investisseurs potentiels.
Les gazoducs ont été construits pour acheminer le gaz naturel russe vers l’Allemagne, mais ils ne sont pas en service.
En outre, les nouvelles sanctions de l’UE visent le secteur bancaire russe, dans le but de limiter la capacité du Kremlin à lever des fonds ou à effectuer des transactions financières. Deux banques chinoises ont été ajoutées à la liste. Et là les protestations chinoises avec mesures annoncées de rétorsion ne se sont pas fait attendre.
Lors de l’adoption par l’UE de son 18e paquet de sanctions contre la Russie, deux institutions financières chinoises se sont trouvées incluses, et le porte-parole de la Mission de la Chine auprès de l’Union européenne a déclaré vendredi soir, heure locale, que la Chine s’était toujours opposée aux sanctions unilatérales qui n’ont aucun fondement dans le droit international et qui n’ont pas été autorisées par le Conseil de sécurité de l’ONU. En inscrivant deux institutions financières chinoises sur la liste de son 18e paquet de sanctions, l’UE a agi d’une manière à la fois flagrante et néfaste. La Chine exprime un fort mécontentement et une opposition résolue, et a déjà déposé des représentations sévères auprès de l’UE. La Chine prendra des mesures fermes pour sauvegarder ses droits et intérêts légitimes, a déclaré le porte-parole. En ce qui concerne la question ukrainienne, la Chine a toujours appelé à la paix et au dialogue, s’est engagée à promouvoir un règlement politique de la crise, n’a jamais fourni d’armes létales à aucune des parties au conflit et contrôle strictement les exportations d’articles à double usage, a déclaré le porte-parole. Cette position de la Chine exprime bien la difficulté dans le monde multipolaire de pratiquer non seulement pour les USA mais surtout pour leurs vassaux européens une « extraterritorialité » qui n’a en fait aucun fondement dans l’ordre international. ET ce d’autant plus de la part d’Européens qui le font sans eux-mêmes respecter le fait que n’étant pas belligérants ils envoient néanmoins des armes et attisent le conflit russo-ukrainiens et tous les autres.
Notons qu’en plus de ce soutien multiforme, l’UE a choisi d’allouer 100 milliards pour la reconstruction de l’Ukraine dont un fort coup de pouce à son industrie de l’armement. Il est peu raisonnable de croire que sur des bases pareilles, l’UE et Macron vont obtenir des liens préférentiels par rapport aux Etats-Unis et à la Chine, surtout quand le deux poids, deux mesures par rapport à Gaza provoque une colère de la part d’une des plus grandes nations musulmanes.
L’esprit de Bandung est aussi celui d’un retour à la charte des Nations Unies avec sa transformation.
En ce qui concerne l’Indonésie, il suffit de relire notre article en notant les différentes manières dont ce pays peut malgré lui être impliqué pour comprendre que les précautions prises à la rigueur avec les USA n’ont pas lieu d’être avec l’UE, celle-ci n’étant intéressante que comme une alternative à la politique US.
Nous assistons à des rendements décroissants des sanctions, d’abord parce que chaque série de sanctions est de plus en plus difficile à accepter, car les mesures visant la Russie pèsent sur les économies des 27 pays membres. La Slovaquie a bloqué le dernier train de mesures parce qu’elle s’inquiétait des propositions visant à interrompre les livraisons de gaz russe, dont elle est tributaire.
Mais également parce que l’UE comme les Etats-Unis ont de plus en plus de difficultés à obliger les « clients » réels de la Russie à accepter d’appliquer leurs mesures. L’extraterritorialité est de moins en moins populaire et elle met en particulier en cause le caractère universel du dollar et la capacité pour les pays producteurs d’y laisser leur trésor de guerre libellé en dollar ou en Euros.
Est-ce bien raisonnable quand se prépare le sommet Chine-UE pour le 23 juillet, la semaine prochaine, est-il utile pour séduire les pays qui comme l’Indonésie revendique la forme de « neutralité » type non aligné, de paraître toujours plus les vassaux des USA, et de faire monter sous prétexte d’hypocrites défense de l’ordre international les profonds problèmes de l’hégémon occidental au cœur même de la relation des deux. Alors que les enjeux se concentrent sur le commerce et la sécurité qui tous deux nécessitent une capacité d’innovation et de volonté de coopération dont l’UE et ses « leaders » comme Macron sont totalement dépourvus alors qu’ils se sont laissés désindustrialiser et priver d’un grand nombre de leurs atouts initiaux…
Danielle Bleitrach
(2) A lire entre autres : L’extermination programmée des communistes indonésiens (1965-1966) : archives inédites Jess Melvin ; éditions Delga ; 10 Février 2023
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