Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Piège de Thucydide évité : rapidité de la Chine, données douteuses et action des Houthis

L’histoire bascule définitivement à travers des événements dont on mesure mal l’importance, l’éviction de l’Europe néocoloniale, celle de la guerre froide, celle de l’OTAN contre la Russie a basculé lors du bombardement des Etats-Unis en appui d’Israël, mais peut-être le moment le plus important est celui que nous avons déjà décrit, la manière dont la Chine est intervenue rapidement en lien avec l’Éthiopie pour peser sur tous les protagonistes y compris les USA pour empêcher une guerre mondiale(1). Si l’on met en regard ce moment où le piège de Thucydide a été déjoué avec l’imperméabilité à la guerre tarifaire ou aux menaces face au partenaire stratégique russe, sans s’impliquer réellement, nous avons une clé de la planification chinoise

Alors que les nations se rendent compte que les marines expéditionnaires sont obsolètes et rattrapent la croissance de la Chine, le réalignement sera étonnamment rapide

(1) nous avons décrit cette opération qui met en évidence l’architecture complexe de ce nouvel ordre multilatéral sur laquelle la Chine mais d’autres pays du sud et singulièrement ceux où existe la force d’un parti communiste rassemblant les forces progressistes, sont en train de construire un nouvel ordre mondial fait justement pour éviter le « piège de Thucydide ».

il y a également cet autre article qui notait simplement le FAIT de l’échec de la mise à feu voulue par les jusqu’auboutistes d’Israël, de l’Ukraine, des USA, pas des Israéliens, pas des citoyens américains, pas des Ukrainiens mais de ceux dont leur nation sont devenus les otages. Si les USA ne risquent pas un effacement de la carte ce n’est pas le cas d’Israël et surtout de l’Ukraine. Question où se place la France de Macron ?

https://histoireetsociete.com/2025/07/02/lechec-des-usa-en-mer-rouge/

par Han Feizi 16 juillet 2025

Vous pouvez dire que je suis un rêveur
Mais je ne suis pas le seul
J’espère qu’un jour vous vous joindrez à nous
Et que le monde ne fera qu’un

John Lennon

L’humanité a peut-être eu de la chance. La rapidité de la Chine, les données douteuses et les Houthis ont peut-être fait dérailler le piège de Thucydide du XXIe siècle.

Alors qu’Athènes et Sparte se précipitaient inexorablement vers la guerre du Péloponnèse, incapables d’apaiser les tensions croissantes, la Sparte d’aujourd’hui devrait s’estimer heureuse : elle ne peut pas gagner la guerre du Péloponnèse du XXIe siècle et, par conséquent, ne cherchera pas à la déclencher.

Le développement militaire le plus marquant de ces dernières années – et ils ont été nombreux – est la preuve empirique que les marines expéditionnaires sont obsolètes. La Chine l’a prouvé en mer de Chine méridionale. L’Ukraine l’a prouvé en mer Noire. Et les Houthis (les Houthis !) l’ont prouvé en mer Rouge.

À l’instar de la Blitzkrieg testée sur le terrain pendant la guerre civile espagnole et de la guerre des drones menée par l’Azerbaïdjan contre l’Arménie, les récents défis littoraux lancés aux marines expéditionnaires auront des conséquences plus importantes dans un théâtre d’opérations complètement différent. Mais dans le bon sens du terme, davantage pour prévenir de futurs conflits que pour tester de nouvelles tactiques.

Contrairement à la croyance populaire, la Chine ne convoite pas la mer de Chine méridionale pour de simples ressources telles que le pétrole, le gaz naturel ou le poisson. La Chine est tout à fait disposée à négocier avec les autres pays revendiquant des droits sur la mer de Chine méridionale afin d’exploiter ses ressources. Ce que la Chine veut dans la mer de Chine méridionale, ce sont des pistes d’atterrissage, des sites de missiles, des bases navales et des postes d’écoute électronique, afin d’étendre son périmètre de sécurité maritime vers le sud.

Ce que la Chine veut vraiment dans la mer de Chine méridionale, c’est un théâtre d’opérations, loin de tout ce qui a une réelle valeur (Taïwan, par exemple), afin de démontrer l’impuissance de la marine américaine à toute l’Asie.

La ligne en neuf traits de la Chine. Source: Facebook

La Chine n’agit pas tant qu’elle n’a pas établi un avantage stratégique et assuré sa domination en matière d’escalade. La Chine a commencé à construire à grande échelle des îles artificielles dans les Spratly, en mer de Chine méridionale, à la fin de 2013.

Cette initiative était une double déclaration :

  • que la Chine allait prendre au sérieux ses revendications sur la ligne en neuf (aujourd’hui dix) traits, et
  • que les missiles balistiques anti-navires (ASBM) de la Force de roquettes de l’APL avaient été testés de manière approfondie et étaient déployés et opérationnels.

Sans un bouclier antimissile lui assurant la domination en cas d’escalade, la marine américaine aurait pu mettre un terme à la construction des îles par la simple présence d’un groupe aéronaval (CSG).

En 1996, avant que la Chine ne puisse menacer les porte-avions américains, le président Clinton a envoyé deux CSG de la marine américaine dans le détroit de Taiwan alors que l’APL menait des essais de missiles pour influencer l’élection présidentielle à Taiwan. Surpassée par les CSG de la marine américaine, la tactique d’intimidation de la Chine a échoué et le président Lee Teng-hui, le « séparatiste » méprisé, a facilement remporté sa réélection.

La Chine a développé des ASBM pour empêcher la marine américaine de prendre le dessus sur l’APL lors de futurs affrontements. Grâce au parapluie antimissile de la Force de roquettes de l’APL au-dessus de la mer de Chine méridionale dans les années 2010, la Chine a pu construire et militariser sept îles artificielles sans rencontrer la moindre opposition.

Le 22 avril 2022, des chasseurs ukrainiens ont lancé deux missiles de croisière R-360 Neptune sur le croiseur Moskva, le navire amiral de la flotte russe en mer Noire. Il s’agissait du plus grand navire russe coulé depuis la Seconde Guerre mondiale. Le Moskva transportait des missiles S-300F qui assuraient la défense aérienne à longue portée de la flotte en mer Noire, puis bombardaient les positions ukrainiennes.

Les chasseurs ukrainiens ont ensuite coulé ou endommagé d’autres navires russes et un sous-marin à l’aide d’une combinaison de missiles et de drones navals. La Russie a depuis relocalisé sa flotte de la mer Noire vers l’est, de Sébastopol à Novorossiysk, la retirant ainsi en grande partie du combat.

En 2024, alors que la marine de l’APL est passée de 255 à 400 navires au cours de la dernière décennie et que la marine américaine a vu ses effectifs passer de plus de 300 à 299 navires, la Chine a commencé à faire valoir de manière agressive ses revendications sur un atoll occupé par un navire philippin délibérément échoué. Des navires de la garde côtière chinoise (CCG) ont harcelé des bateaux philippins qui approvisionnaient la poignée de marines stationnés sur l’épave en ruine.

Le monde a pu voir des images dramatiques montrant de grands navires de la garde côtière chinoise arrosant et éperonnant de petits bateaux de ravitaillement philippins. Lors d’un incident, des membres de la garde côtière chinoise ont abordé un bateau de ravitaillement philippin et se sont livrés à un combat au corps à corps à l’aide d’armes portatives. Un soldat philippin a perdu un pouce.

La marine américaine a réagi en redéployant le porte-avions USS Theodore Roosevelt et ses escortes d’Asie de l’Est vers le Moyen-Orient. Cela a laissé le Pacifique occidental sans groupe aéronaval au plus fort des tensions en mer de Chine méridionale impliquant un allié des États-Unis. Il est ainsi apparu que 1) la marine américaine était très dispersée et 2) qu’elle n’allait pas se laisser entraîner par les Philippines dans un affrontement avec la toute nouvelle marine et force de roquettes chinoises.

En mai de cette année, le président Trump a conclu un accord de cessez-le-feu insatisfaisant avec les Houthis après que des opérations de bombardement intensives se sont révélées inefficaces et ont été entachées d’incidents. Les opérations de la marine américaine contre les Houthis ont entraîné la perte de trois chasseurs F/A-18 (un à cause d’un « tir ami » et deux à cause d’« accidents »), plus d’une douzaine de drones MQ-9 Reaper et plus d’un milliard de dollars de munitions.

Le cessez-le-feu est loin de la promesse du président Trump d’« anéantir complètement » les Houthis. Les combattants yéménites ont seulement accepté de s’abstenir d’attaquer les navires de la marine américaine. Ils ont poursuivi leurs opérations contre les navires liés à Israël. Le cessez-le-feu a neutralisé la marine américaine en mer Rouge. Elle pourrait être là-bas. Ou elle pourrait ne pas y être. Cela ne fait aucune différence.

Le fait que les Houthis aient combattu la marine américaine jusqu’à l’égalité ne peut être considéré que comme une défaite humiliante pour l’Asie. Comparez le Japon (et la Corée du Sud/Taïwan/l’Australie) à une mannequin Instagram qui vient de voir son petit ami culturiste se faire tabasser par un travailleur migrant maigre.

Selon des fuites dans la presse, le sous-secrétaire à la Défense chargé de la politique, Elbridge Colby, a fait pression sur le Japon et l’Australie pour qu’ils clarifient leurs intentions en cas d’urgence à Taïwan. La divulgation de la demande de Colby met fin aux tactiques de pression de Washington en les exposant à l’opprobre politique nationale dans ces pays. Cette fuite n’était pas surprenante compte tenu des performances médiocres de la marine américaine en mer Rouge et en mer de Chine méridionale, qui démontrent le manque de confiance du Japon et de l’Australie dans la détermination et les capacités des États-Unis.

Pourquoi quelqu’un s’engagerait-il à défendre Taïwan si les États-Unis eux-mêmes refusent de le faire ? Pourquoi le Japon et l’Australie s’engageraient-ils à aider une marine qui a laissé tomber les Philippines pour finalement être humiliée par les Houthis ? Les missiles anti-navires et les drones chinois sont susceptibles d’être plus efficaces que ceux utilisés par les Houthis.

Ce à quoi nous assistons, c’est une tentative des États-Unis d’imposer leur hégémonie à moindre coût. Dans cette situation, les alliances sont structurellement fragiles. Les partenaires de l’alliance veulent profiter de la situation tandis qu’une puissance hégémonique en déclin tente de se décharger de ses responsabilités. Lorsque la puissance hégémonique n’a pas démontré sa détermination et n’est pas en mesure de démontrer sa capacité à assumer tous les coûts, les partisans n’ont guère d’intérêt à l’aider à alléger le fardeau. Et sans l’engagement des partenaires de l’alliance à entrer dans la mêlée, la détermination des États-Unis à faire cavalier seul s’en trouve également affaiblie.

Le piège de Thucydide postule que la guerre est probable lorsqu’une puissance montante défie une puissance dominante établie. La crainte inspirée par une puissance montante pousse la puissance dominante à tenter de réprimer le challenger, ce qui entraîne des tensions croissantes et mène inévitablement à la guerre.

Dans ce contexte, de nombreux articles de presse occidentaux sur la Chine commencent par la phrase type : « La Chine, deuxième économie mondiale… ». Si cette illusion statistique a entravé les efforts visant à contenir la Chine, elle pourrait bien s’avérer être une grande bénédiction pour l’humanité, court-circuitant le piège de Thucydide à chaque fois qu’elle est mentionnée.

Vaclav Havel a déclaré que l’essor économique de la Chine était si rapide que « nous n’avons pas encore eu le temps d’être étonnés ». Qualifier la Chine de deuxième économie mondiale est une habitude médiatique que l’Occident n’a pas encore abandonnée. Tout calcul correct de la puissance productive et consommatrice de la Chine aboutit à une économie deux fois plus importante que celle des États-Unis (voir ici).

En prenant quelques libertés avec le système de comptabilité nationale des Nations unies, la Chine est passée inaperçue, retardant ainsi le moment où l’Occident allait enfin s’étonner. La Chine n’est plus une puissance montante, mais une puissance établie. Tous les efforts visant à contenir la Chine, qu’il s’agisse de sanctions technologiques, de guerres commerciales ou de diffamation médiatique, ont été inefficaces, voire contre-productifs.

Le secteur manufacturier chinois est deux fois plus important que celui des États-Unis en termes de taux de change et trois fois plus important en termes de parité de pouvoir d’achat. Selon la plupart des indices (c’est-à-dire les revues les plus prestigieuses, les citations, les brevets), la production scientifique et technologique de la Chine est bien supérieure, voire plusieurs fois supérieure, à celle des États-Unis et connaît une croissance exponentielle. Le capital humain de la Chine est une force imparable, produisant 6 à 8 fois plus de diplômés en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STEM) que les États-Unis.

La Grèce antique n’avait pas à faire face à une Athènes qui aurait soudainement atteint le double de la taille de Sparte. La guerre du Péloponnèse aurait très bien pu être évitée si Athènes s’était développée si rapidement que Sparte « n’avait pas encore eu le temps d’être étonnée » et nous n’aurions jamais entendu parler de Thucydide, car son « Histoire de la guerre du Péloponnèse » aurait été un ouvrage ennuyeux à mourir.

Au cours des dernières semaines, la Sparte moderne semble se désagréger. Le Japon a dénoncé avec colère les efforts américains pour dicter son budget de défense. La Corée du Sud a élu un président pro-Chine. Les services de renseignement espagnols ont attribué leur contrat de communication à Huawei. Le Parlement français a publié un rapport poussant l’UE à se réaligner avec la Chine. Le Brésil va étudier la construction d’un chemin de fer transcontinental avec la Chine.

Lorsque les nations réaliseront que les marines expéditionnaires sont obsolètes et qu’elles manquent de souffle devant la croissance étonnante de la Chine, la vitesse du réalignement sera tout aussi étonnante. Cela ressemblera à une véritable déroute.

Cela devrait profiter à toutes les parties concernées, des Européens opprimés au Japon et à la Corée du Sud miniaturisés (voir ici), en passant par Taïwan LGBTQIAS2S+ (voir ici) et la République populaire de Chine légaliste à la manière de Qin, qui pourra enfin se détendre et retrouver sa forme confucéenne à la manière des Tang. Mais surtout, cela profitera aux États-Unis d’Amérique, qui pourront enfin rentrer chez eux, se regrouper, panser leurs blessures, planter des arbres et se remettre de huit décennies passées à supporter le coût de leur hégémonie.

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