Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Modi, les médias et la classe moyenne : la trinité infernale qui fait sombrer l’Inde

La stratégie chinoise est en train de remporter partout la mise. Non seulement Trump échoue dans l’imposition de ses tarifs douaniers comme dans ses menaces envers Poutine, mais ceux que l’occident au sein des BRICS, de l’OCS et dans les rapports sud-sud ont tenté de lui opposer comme des concurrents sont en train de perdre pied. Les nationalismes chauvins ne font pas le poids dans la réalité multipolaire. Ce qui fait la différence et que saluent les investisseurs c’est l’adhésion des peuples aux orientations d’un pouvoir. Le faux orgueil aveugle les gens à leurs propres défauts. Une leçon qui est valable pour notre mégalomane président qui a cru pouvoir jouer la vassalité totale aux USA tout en prétendant être une troisième voie que les nations du sud reconnaissent comme celle d’un néocolonialisme. La force de la Chine est que loin de jouer comme le ferait l’occident l’achèvement de l’Inde, elle table sur le long temps historique, sur le voisinage pour offrir au contraire un pacte qui au delà des gouvernants et de leur politique s’adresse aux peuples, à leurs intérêts économiques, aux combats communs de libération nationale et même à leurs origines mythiques pour créer des relations plus « harmonieuses » (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Photo d’avatar par Ravi Kant 17 juillet 2025

Presse indienne. Photo : BBC

« L’orgueil de la nation est l’orgueil le moins cher », a dit un jour le philosophe allemand Arthur Schopenhauer. En effet, les gens attachent souvent leur fierté personnelle à des notions extérieures telles que la nation, la religion, la race ou la caste afin de se sentir dignes alors qu’en réalité, ils manquent de véritables réalisations ou talents.

Être né dans un groupe suffit pour se sentir fier, car cela ne demande aucun effort. Pour cette raison, Schopenhauer considérait l’orgueil national comme le moins cher de tous les orgueils.

Le faux orgueil aveugle les gens à leurs propres défauts. La peur de remettre en question leur nation, leur religion ou leur culture remplace l’estime de soi authentique par l’illusion, les affaiblissant de l’intérieur. Au fil du temps, l’estime de soi authentique est remplacée par cette fausse fierté. L’histoire est jonchée d’exemples où l’orgueil emprunté ou symbolique sans réalisations réelles a conduit au déclin ou à la crise.

L’Empire ottoman, l’Union soviétique, le Japon impérial et l’Allemagne nazie se sont tous effondrés après s’être accrochés aux gloires passées, au nationalisme ou à l’idéologie tout en ignorant le déclin économique, la corruption et la dissidence.

Le Pakistan a suivi une voie similaire, privilégiant l’identité religieuse (l’islam) au progrès. La fierté de la nation était axée sur la foi religieuse plutôt que sur la prospérité ou le progrès, et l’opposition était qualifiée de non islamique. Aujourd’hui, il est confronté à l’effondrement économique, à la dépendance du FMI et à des troubles internes, malgré des revendications de supériorité morale.

L’Inde montre aujourd’hui des signes avant-coureurs similaires : la montée du nationalisme hindou, la suprématie culturelle imaginaire et les rêves du RSS d’un statut de Vishwaguru (enseignant mondial) portés par Modi, les médias et la classe moyenne.

Du Messie au monarque

L’ascension au pouvoir de Narendra Modi en Inde n’est pas le fruit du hasard ; elle a été soigneusement orchestrée à travers les mythes, les médias et la psychologie des masses. Sa vantardise au sujet de son « torse de 56 pouces » n’était pas seulement une remarque sur sa virilité ; c’était une mise en scène politique, une déclaration selon laquelle ce serait la force, et non le fond, qui définirait le futur leadership de l’Inde.

Mais diriger une nation diversifiée de 1,4 milliard d’habitants avec des ethnies multiples n’est pas le travail d’un homme fort mais d’un stratège. L’ascension de Modi a marqué le déclin de la crédibilité institutionnelle.

La Commission de planification a été supprimée, les critiques sont devenues anti-nationales et le pouvoir judiciaire a souffert d’un excès croissant de l’exécutif. Au fil du temps, le messie est devenu le message, éclipsant des institutions comme le Parlement, le système judiciaire et la presse.

Dans le rapport 2024 sur la démocratie des V-Dem, l’Inde a été classée comme une « autocratie électorale ». Plus de 10 000 personnes ont été arrêtées en vertu des lois sur la sédition dans un district en 2019.

Modi, comme de nombreux leaders charismatiques de l’histoire, de Mussolini à Perón, a trouvé sa plus grande arme non pas dans la gouvernance, mais dans le contrôle narratif. Et c’est là que le deuxième « M » devient crucial.

Les médias : de chien de garde à chien de poche

Le vrai journalisme défie le pouvoir ; Les médias indiens en font maintenant la promotion. Entre 2014 et 2022, le gouvernement BJP de Modi a dépensé plus de 6 491 crores (environ 800 millions de dollars) en publicité, transformant la presse en outil de propagande.

Autrefois la conscience de la démocratie, les médias indiens sont devenus le porte-parole de la propagande d’État motivée par le nationalisme et le communautarisme. En 2022, l’Inde se classait parmi les plus faibles au monde en matière de confiance du public dans les informations.

Vous trouverez ci-dessous le Classement mondial de la liberté de la presse 2022 établi par Reporters sans frontières :

La génération d’aujourd’hui est nourrie de propagande et de mensonges alors que des problèmes réels comme les suicides de 12 000+ agriculteurs (2021), le chômage de 7,8 % (2024) et les droits des minorités écrasés sont ignorés ou rebaptisés à travers le prisme du nationalisme. Dans un monde régi par le spectacle, la substance devient secondaire. Le troisième M, quant à lui, porte le coup de grâce.

De la conscience à la complicité

Le pilier le plus tragique de cette triade est peut-être la classe moyenne indienne – autrefois porte-flambeau de l’aspiration libérale, aujourd’hui facilitateur passif de la régression illibérale.

Ils sont les bénéficiaires de la libéralisation des années 1990 qui a sorti quelque 270 millions d’Indiens de la pauvreté entre 1991 et 2011. Aucun groupe ne s’est retourné contre Manmohan Singh plus rapidement que la classe qu’il a contribué à créer. C’est une cruelle ironie qu’une classe construite sur la politique se soit tournée vers le populisme pour se délivrer.

Les membres de cette classe se sont déjà moqués de Singh – l’architecte même qui a changé leur vie – en le qualifiant de « premier ministre accidentel » ou de « premier ministre silencieux ». Aujourd’hui, c’est la classe moyenne qui en paie le prix. Qu’il s’agisse de payer les taux d’imposition personnels effectifs les plus élevés sans profiter des biens publics de base ou de regarder les institutions s’effondrer tout en craignant de s’exprimer, la classe moyenne indienne découvre qu’on ne peut pas manger les chiffres du PIB pour dîner ou acheter la sécurité avec des slogans.

Autrefois le visage de l’indignation morale, que ce soit lors des manifestations de Nirbhaya en 2012 ou des marches anti-corruption de 2011, elle reste aujourd’hui silencieuse alors que les accidents de train, les bousculades et les accidents d’avion se produisent.

L’hypocrisie est flagrante. La classe moyenne indienne, autrefois une force de réforme, s’est sentie à l’aise dans son apathie alors que la fierté nationale de ses membres s’y oppose. Leur silence n’est pas neutre ; C’est l’approbation tacite du statu quo.

Tout au long de l’histoire, un dirigeant polarisant, des médias loyaux et une classe moyenne docile ont souvent formé une « trinité infernale » qui a conduit à la chute ou à l’effondrement de la nation.

En Inde, ce triangle – Modi, les médias et la classe moyenne – n’est pas le destin. Mais, si rien n’est fait sur la trajectoire actuelle, cela pourrait conduire à l’effondrement de la nation. Modi, qui personnifiait le pouvoir ; les médias, qui ont vendu leur âme ; et la classe moyenne, qui a échangé ses principes contre le confort.

L’histoire a déjà vu ce triangle auparavant. L’Allemagne d’Adolf Hitler, l’Italie de Benito Mussolini et le Chili d’Augusto Pinochet en sont d’excellents exemples, soutenus par une classe moyenne silencieuse et des médias de propagande bruyants. Rome n’est pas tombée à cause d’un empereur ; elle s’est effondrée parce que son peuple a cessé de défendre la République.

Views: 77

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.