Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Quand la France s’éveillera à la Chine : un article dans le Patriote de Paul Euzière

En préparation du débat qui aura lieu avec Danielle Bleitrach samedi 28 juin à Nice, lors de la fête du PCF au « château », le journal du PCF des Alpes Maritimes a consacré un excellent article de Paul Euzière à notre livre. Cet article témoigne à quel point il existait et il existe encore dans ce parti des gens qui savent lire, des médiateurs culturels qui ne se contentent pas de reproduire la quatrième de couverture mais qui savent introduire un débat plus nécessaire, plus argumenté que jamais. Le premier travail qui devrait être accompli quand il est question de formation, de culture et de commission internationale, ce serait de favoriser le lien entre toutes ces capacités au lieu de les exclure et laisser la place à des réflexions qui sur le fond en reviennent à affirmer « je ne sais pas lire et je ne veux pas que ceux qui lisent m’influencent », ce qui est le stade proche du fascisme, du dévoiement de la lutte des classes. Avec la volonté de systématiquement jouer sur l’ignorance voulue par le capital pour tenter de les marginaliser par rapport au consensus de la classe dominante. Il ne s’agit pas de se substituer au congrès, aux choix politiques qui appartiennent aux adhérents et militants mais de favoriser un espace de dialogue, ce qui devrait être le travail des commissions, de la presse, de ses quotidiens, hebdos et revues, alors qu’aujourd’hui l’ensemble fonctionne sur le mode de la censure et de l’exclusion par la rumeur qui n’a plus lieu d’être. Après les expériences de débats réussis dans lesquels les intervenants ont largement contribué à l’approfondissement comme ce qui s’est passé à Montpellier avec Franck Marsal, à Joyeuse en Ardèche avec Danielle Bleitrach, avec Bernet Genet et les trois auteurs Danielle Bleitrach, Jean Jullien, Franck Marsal (dont vous pouvez lire ici les compte-rendus et vidéos), on ne peut que se réjouir de la qualité et la force de ce qui se produit autour de ce livre. La manière dont il est compris, enrichi. Rendez-vous donc samedi 28 juin à Nice et le samedi 4 juillet à Vitry dans l’espace livre en lutte pour une signature avec Franck Marsal de 18 heures à 23 heures. Ce n’est que le début d’une série de rencontres avec le temps fort de l’université d’été et les nombreux débats prévus dans différents stands de la fête de l’Humanité. Merci à tous ceux qui ont œuvré partout pour que ces débats aient lieu avec une mention spéciale à l’infatigable Jéremie Ozog, le médiateur culturel par excellence. (note de Danielle Bleitrach histoireetsociete)

De Danielle Bleitrach, Marianne Dunlop, Jean Jullien et Franck Marsal

En 1973, dans un livre qui fit date : Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera (1)

.., Alain Peyrefitte, ancien ministre gaulliste, proposait une analyse prospective du développement de la Chine a partir des voyages effectués dans la Chine maoïste du début des années 1970. Il y observait une société en mutation, encore profondément rurale et marquée par la Révolution culturelle, mais déjà porteuse d’une dynamique susceptible de bouleverser l’ordre mondial. Le titre lui-même … le monde tremblera – trahissait une peur de l’Occident bourgeois face à la montée d’un concurrent non aligné, porteur d’un projet socialiste alors marqué par le radicalisme de la Révolution culturelle. Peyrefitte anticipait avec clairvoyance l’essor économique de la Chine. Cependant, sa vision était symptomatique d’un regard occidental qui entrevoyait un basculement historique, mais qui restait prisonnier de sa propre idéologie bourgeoise.

Ce livre reste un document idéologique précieux non pour sa rigueur analytique, mais pour ce qu’il révèle de la manière dont les milieux dirigeants français et au-delà une bonne partie des « élites » percevaient la Chine à l’aube d’une transformation titanesque.

Analysant le livre dans la « Revue de l’Est » (1974 vol 5), Tsien Tche hao qui était maître de recherche au CNRS : « Quoi qu’il en soit ce livre a, entre autres qualités, le mérite de secouer l’opinion publique française en lui faisant prendre conscience de la réalité très concrète d’une Chine qu’elle a trop souvent tendance à négliger au profit des mythes ».

Quelques années plus tard, Jacques Guillermaz, sinologue réputé, qui fut militaire et diplomate à Pékin et qui a vécu l’histoire de la Chine des « Seigneurs de la guerre », la guerre civile, la victoire communiste en 1949, jusqu’à la Révolution culturelle (1966-1976), relevait dans ses mémoires (2) les « misères de la sinologie française ».

À la fin des années 1970, « la France n’avait en rien ajusté la connaissance de ce pays à ces grands changements présents et à venir ».

Côté recherche communiste, ce sont surtout les travaux et livres de l’historien et sinologue, Alain Roux – notamment Le casse-tête chinois (3)- qui ont pu apporter un éclairage rigoureux sur le bilan des trente premières années de l’histoire politique, sociale et économique de la Chine socialiste. C’est dire que Quand la France s’éveillera à la Chine – La Longue Marche vers un monde multipolaire (4) tombe à point pour revoir et corriger des connaissances généralement lacunaires sur ce pays dont la superficie couvre près de 20 fois la France, l’un des cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU, et qui aujourd’hui est en passe d’être la première puissance économique du monde.

Mais l’intérêt de cet ouvrage collectif est aussi d’inviter, à partir des faits, à repenser notre relation avec les BRICS – qui ouvrent la porte à des alternatives politiques et permettent maintenant de rouvrir l’indispensable chantier d’un « socialisme aux couleurs de la France ».

S’ÉVEILLER À LA CHINE ET ROMPRE AVEC L’ATLANTISME IDÉOLOGIQUE ET POLITIQUE

Alors que l’Occident s’emploie à contenir la montée en puissance de la Chine, cet ouvrage collectif auquel ont contribué Danielle Bleitrach. Marianne Dunlop. Jean Jullien et Franck Marsal invite à réexaminer les fondements idéologiques de la diplomatie française et à penser une géopolitique indépendante. Sans jamais adhérer aveuglément à un supposé modèle que les dirigeants chinois n’évoquent jamais, les auteurs s’emploient à déconstruire les préjugés.

Dans un paysage intellectuel saturé de lieux communs sur la Chine, le livre Quand la France s’éveillera à la Chine propose un renversement salutaire. Loin des narrations anxiogènes où la Chine serait alternativement usine totalitaire, menace numérique et/ou impérialisme rampant, cet ouvrage postule une hypothèse simple : et si le véritable problème était notre incapacité à penser hors du cadre imposé par les puissances dominantes ?

Ce que les auteurs désignent comme « atlantisme » ne relève pas simplement d’un alignement diplomatique : il s’agit d’une matrice idéologique, profondément intériorisée, qui structure la perception française du monde, et en particulier de tout ce qui échappe aux codes « libéraux » occidentaux. Dans ce contexte, la Chine contemporaine devient un écran de projection des angoisses occidentales. Son développement est suspect, sa stabilité est interprétée comme oppression, ses succès industriels sont taxés de tricherie.

UNE CRITIQUE DE L’IMAGINAIRE POST-GUERRE-FROIDE

Le livre opère une relecture historique. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France – tout en affichant une autonomie gaullienne déclinante – a fini par intégrer les représentations forgées par l’hégémonie impérialiste étasunienne.

La Chine, dans cette grille, est d’abord l’Autre : opaque, autoritaire, manipulatrice. Peu importe que ses progrès en matière de réduction de la pauvreté ou de transition énergétique soient inédits à cette échelle. L’essentiel est de maintenir un récit dans lequel l’Occident incarnerait l’universel.

Mais, rappellent les auteurs, la réalité chinoise ne se laisse pas aisément réduire à cette caricature. Il ne s’agit pas pour eux de défendre un modèle, encore moins de l’exporter, mais d’observer que la République Populaire de Chine se construit selon des logiques historiques, culturelles et stratégiques qui lui sont propres. Elle associe planification étatique et capitalisme encadré, contrôle idéologique et efficacité technocratique dans une perspective de temps long. Ce système ne prétend pas convertir le monde, mais affirmer une souveraineté qui défie les canons libéraux.

REPENSER LA SOUVERAINETÉ FRANÇAISE

Quand la France s’éveillera à la Chine ne se contente pas d’une lecture externe. Le regard sur la Chine sert ici de révélateur : révélateur de ce que la France a cessé d’être.

À l’heure où l’industrie est délocalisée, où les décisions économiques se prennent à Francfort ou à Bruxelles, où les orientations diplomatiques se calent sur celles de l’OTAN, que reste-t-il du projet républicain et universaliste qui entendait faire de la France une nation indépendante ?

La question chinoise devient alors une question française : ce n’est pas tant la Chine qu’il faudrait craindre, mais l’impuissance de notre propre stratégie. Dans une inversion ironique du titre de l’essai d’Alain Peyrefitte Quand la Chine s’éveillera…, les auteurs appellent la France à s’éveiller à ce que la Chine révèle : la possibilité d’un autre rapport au développement, à l’État, au collectif : « La Chine est le premier pays anciennement dominé, à accéder au statut de centre industriel principal et à vaincre le néocolonialisme. La périphérie devient un nouveau centre, mais elle atteint une taille et une profondeur de développement qui change la perspective. La périphérie elle-même évolue et son aspiration à un réel développement ne peut plus être stoppée. La Chine elle-même est un exemple pour l’ensemble des pays en recherche de développement… ».

DE LA GÉOPOLITIQUE À L’ÉMANCIPATION INTELLECTUELLE

Porté par une écriture à la fois polémique et analytique, le livre conjugue références marxistes et critique de l’économie politique contemporaine. Il convoque Hegel, Gramsci, Marx – mais aussi les données les plus concrètes sur l’économie chinoise ou les mécanismes de la diplomatie. Il s’attaque aux pièges du moralisme occidental : celui qui prétend incarner la démocratie tout en soutenant des régimes autoritaires, celui qui dénonce la censure chinoise mais ferme les yeux sur les surveillances massives opérées par les GAFAM.

Plus encore, le livre invite à penser autrement : à sortir des catégories binaires, à revaloriser le politique, à renouer avec l’idée de souveraineté populaire. Dans cette perspective, la Chine ne représente pas une menace, mais une altérité féconde, que l’on peut interroger, critiquer, mais aussi d’où l’on peut tirer des enseignements.

UN OUVRAGE SALUTAIRE

L’ouvrage ne dissimule pas son orientation. Il s’inscrit dans une tradition marxiste assumée.

Il privilégie l’analyse factuelle sur les discours sur les libertés individuelles, et il cherche moins à convaincre qu’à éveiller. Mais ce choix même constitue sa force : dans un monde intellectuel dominé par les analyses sécuritaires ou néolibérales, Quand la France s’éveillera à la Chine… fait entendre une voix dissonante et nécessaire.

Loin de la fascination ou de la diabolisation, il propose une démarche plus exigeante : comprendre. Comprendre pourquoi la Chine inquiète autant, comprendre ce que cela dit de nos propres aveuglements, et comprendre comment une nation peut encore échapper à l’uniformisation et répondre aux défis humains, sociaux et environnementaux du XXIe siècle, et, sans prétendre être un modèle, ouvrir un espace qui permet des alternatives non capitalistes pour les autres pays.

Paul Euzière

1) Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera… Alain Peyrefitte – Ed. Fayard.

2) Une vie pour la Chine – Mémoires 1937-1989. Jacques Guillermaz – Ed. Robert Laffont (1989).

3) Le casse-tête chinois – Alain Roux – Éditions Sociales (1980).

4) Quand la France s’éveillera à la Chine – La Longue Marche vers un monde multipolaire, Danielle Bleitrach, Marianne Dunlop, Jean Jullien, Franck Marsal – Éd. Delga – 22 euros.

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