Dans la guerre de l’Occident collectif contre la Russie, les Russes sont particulièrement choqués et déçus par l’attitude de la France, leur modèle de toujours, avec Voltaire et Rousseau, la révolution française, la Commune, l’art de vivre et le chic français. Comment la France a-t-elle pu tomber si bas ? Ne devrions-nous pas renoncer à nos illusions et voir la réalité en face, ôter nos lunettes roses et affronter la vérité historique ? – se disent-ils. Mais à travers ce dépit, se lit un immense espoir de voir la France retrouver son amour de la liberté et développer un puissant mouvement contre le fascisme (note et traduction de Marianne Dunlop pour Histoire et Société)
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Vladimir Markovchine
Au tout début de la Seconde Guerre mondiale, Hitler a rapidement écrasé et conquis l’Europe. Aucun pays n’a pu résister longtemps : les combats dans les États voisins de l’Allemagne se sont terminés en faveur de cette dernière, et ce dans un délai n’excédant pas six semaines. Des troupes allemandes bien entraînées ont défilé en formation serrée sur les plus grandes places et avenues des capitales européennes, y compris les Champs-Élysées à Paris.
Une partie non négligeable de la population occupée adhérait au nazisme. De plus, des centaines de milliers de Français, de Polonais, de Danois, de Néerlandais et de Belges s’engagèrent volontiers dans les rangs de la Wehrmacht.
Les Français belliqueux, qui avaient perdu après la Première Guerre mondiale la capacité de se battre pour leur propre liberté, ont également décidé d’apporter leur contribution à la lutte contre le bolchevisme. Le 638e régiment d’infanterie volontaire français de la Wehrmacht a été l’un des premiers à prendre part aux combats près de Moscou, mais il n’a pas réussi à remporter la moindre victoire.
Il fut suivi par la « Légion tricolore » et la division SS « Charlemagne », qui ne remportèrent pas non plus de gloire particulière.
Un nombre encore plus important de Français se sont « dissous » dans les unités purement allemandes, car selon la législation nazie, tous les pays occupés par l’Allemagne étaient soumis à la conscription dans l’armée allemande, indépendamment de la volonté des conscrits et de leur nationalité allemande ou non. Selon les estimations des historiens, plus de 300 000 Français ont combattu pour Hitler.
La « Légion tricolore » a pris une part active aux opérations punitives dans les forêts de Briansk et en Biélorussie, se « distinguant » particulièrement lors de la célèbre opération « Baron tzigane », menée à l’été 1943 près de Briansk, au cours de laquelle plusieurs centaines de localités ont été détruites et leur population déportée vers l’Ouest.
Outre les mesures punitives, les Français se livraient à d’autres opérations dans les territoires occupés, dont nous pouvons juger sur la base de documents saisis et établis par l’état-major du 638e régiment d’infanterie français le 7 janvier 1944, alors commandé par le colonel Puaud.
À cette époque, le Légion étrangère française faisait partie de la 286e division de sécurité de la Wehrmacht, qui se trouvait alors en Biélorussie.
Dans les instructions préparées par le service de renseignement de la division, l’attention des soldats et des officiers du 638e régiment était particulièrement attirée sur les circonstances suivantes :
« À Moguilev, plusieurs soldats allemands ont été tués après être entrés dans des maisons russes avec de jeunes filles russes et y avoir laissé leurs armes. Il est rappelé une fois de plus qu’à la tombée de la nuit, il est strictement interdit de se rendre dans les maisons où vivent des Russes, sauf pour des raisons de service. Il est d’autant plus interdit d’y laisser ses armes »…
Le service de renseignement allemand donne ensuite des instructions aux Français.
« Défendre, c’est prévenir, anticiper et empêcher les actes de sabotage et de diversion. Pour cela, il est nécessaire de disposer d’agents ».
La marche à suivre est décrite avec une minutie toute allemande, l’accent étant mis sur la lutte contre les partisans :
« A) Ne faites pas confiance aux bourgmestres locaux, aux traducteurs, aux Russes parlant allemand, et ne faites pas non plus aveuglément confiance aux personnes qui vantent les mérites des Allemands. Lors de la sélection des agents, il faut se méfier des Russes trop instruits, qui sont, dans une certaine mesure, des partisans du système soviétique. Il n’est pas recommandé de recruter comme agents des personnes qui jouissent de la confiance des Allemands, car elles sont déjà connues de tous.
Lors du choix d’un agent, il faut lui faire comprendre immédiatement qu’il ne doit pas s’attendre à des lauriers futurs. Il faut clairement dire à l’agent ce que l’on attend de lui. Il faut d’abord lui donner des instructions générales, puis des missions spécifiques… Il convient de mettre en place une surveillance régulière pour remplacer les agents.
B) Les agents ne travaillent pas pour le tabac et la vodka, et encore moins par dévouement à la cause allemande. Dans la plupart des cas, ils travaillent par amour de leur chef, avec lequel ils ont des liens personnels.
C) Il faut prêter attention aux rumeurs, car les Russes y croient.
D) Ne pas dévoiler les agents en nouant des relations trop intenses avec eux et en recourant inutilement à leur témoignage lors des interrogatoires.
E) Mettre en place un contrôle de la correspondance (la correspondance postale a récemment été rétablie pour les auxiliaires volontaires), des journaux et des textes codés dans les lettres.
F) Surveiller les relations des auxiliaires volontaires, en particulier avec les femmes.
G) Les auxiliaires volontaires peuvent partir en vacances en Allemagne s’ils sont accompagnés par des soldats allemands.
H) Il est nécessaire de purger les rangs des assistants volontaires (hiwi) des éléments douteux. Les anciens officiers russes ne doivent pas être utilisés comme assistants volontaires.
I) Il est nécessaire de prêter attention aux assistants volontaires dans le cadre des changements en cours dans l’application des sanctions.
Coopération des services de renseignement russes avec les bandes
On sait que les services secrets russes ont ordonné d’organiser et de mener des attaques surprises contre des véhicules, en particulier des voitures particulières. À cet égard, la saisie de documents permettant, entre autres, d’obtenir des informations sur la composition personnelle de l’ennemi revêt une importance particulière.
Prime pour la capture de chefs de bandes
Une réponse à une demande adressée au quartier général de la 4e armée a été reçue, selon laquelle la population civile, les membres de la police et d’autres organisations locales orientales se voient promettre des primes pour la capture de chefs de grandes bandes. La division a pris des mesures pour que les personnes intéressées reçoivent une récompense sous forme de jumelles, de vélos, de bottes et de montres. Les biens distribués sont répartis par la division conformément aux exigences, à titre de récompenses spéciales pour la capture de chefs de bandes ou l’éventuel enlèvement d’autres membres importants de bandes.
Pour le commandant de la division, le 1er officier d’état-major – Jungmann ».
Ce document, traduit du français, est révélateur à bien des égards. Premièrement, il montre de manière très fiable le degré d’implication des « volontaires » français dans tous les processus « d’activité » des structures d’occupation allemandes sur le territoire occupé de l’Union soviétique.
Deuxièmement, il reproduit l’expérience allemande de la lutte contre les partisans, y compris dans un domaine aussi spécifique que le travail d’agent secret. Troisièmement, il est rédigé selon le modèle allemand et ne présente aucune particularité propre aux Français.
Mais les Français ne seraient pas les Français s’il n’y avait pas parmi eux des personnes qui ont radicalement changé leur opinion sur le camp dans lequel ils devaient se battre. À cet égard, une lettre envoyée à la fin de l’année 1943 en Corse est très révélatrice.
Ce serait une lettre ordinaire d’un soldat français si elle n’avait pas été envoyée depuis une unité de partisans combattant les nazis près de la ville de Smolevitchi, dans la région de Minsk.
Le soldat Marcel a quitté son unité à la suite du décès de son frère, tombé sur le front sud de la poche de Koursk :
« À Bezzani, Corse.
Russie,
Chers Pierre et Henriette !
Aujourd’hui, je vais essayer de vous envoyer ces quelques lignes. J’espère que vous êtes tous en bonne santé…
Vous serez surpris d’apprendre que je ne suis plus dans l’armée allemande. C’est pourtant vrai : depuis deux mois, je suis dans la forêt avec les partisans russes et je combats les Allemands.
Maintenant, à propos de François : je ne sais pas comment vous allez accueillir cette terrible nouvelle, mais je dois vous la donner. Notre cher François n’est plus. Il a été tué le 4 août 1943 au combat près de Belgorod.
Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai cru que j’allais devenir fou de chagrin, mais on ne m’a même pas autorisé à aller réconforter ma mère. J’ai alors décidé que, puisque notre cher François n’était plus là, je n’avais plus rien à faire dans l’armée allemande et je me suis enfui pour rejoindre les partisans, qui sont très nombreux ici. Je vous assure que je me bats avec courage et ardeur. Mais les Allemands pourront-ils un jour expier le malheur qu’ils nous ont causé en envoyant notre cher jeune ami à l’abattoir ?
Mes chers amis, j’attends avec impatience que l’Armée rouge arrive ici pour que je puisse rejoindre Moscou, m’engager dans l’armée de De Gaulle et contribuer à la libération de notre patrie, notre France. Cela ne devrait plus tarder. L’Armée rouge est arrivée à Orcha, à 150 km de Smolevitchi, où je me trouve actuellement.
Je termine ma lettre et j’espère que vous la recevrez en bonne santé. Je vous en supplie, Maurice et Pierre, vous qui avez les armes, combattez de toutes vos forces. Nous devons maintenant venger notre cher François. Pierre, en tant que Corse, comprendra ce qu’est le devoir du sang. Marcel. »
Nous ignorons ce qu’il est advenu de Marcel. Mais nous savons bien qu’il n’était pas le seul Français à avoir combattu les fascistes dans notre pays.
En Russie, on connaît la bravoure des pilotes du régiment d’aviation « Normandie-Niemen », qui ont contribué aux victoires sur le front de Koursk, dans les opérations de Prusse orientale et de Gumbinnen-Goldap, dans la libération de la Biélorussie soviétique… C’est-à-dire dans les mêmes endroits où se trouvaient à l’époque les soldats du 638e régiment d’infanterie français et de la division SS « Charlemagne », qui subirent une nouvelle défaite honteuse.
Les restes des formations françaises qui ont combattu aux côtés des nazis se rendront dès 1945, et leurs organisateurs seront jugés dans leur pays d’origine. Les pilotes de « Normandie-Niemen » ont quant à eux des monuments en Russie et dans d’autres pays, en signe de reconnaissance de leur bravoure militaire (1).
Beaucoup de Français ont pleuré en regardant le défilé des fascistes sur les Champs-Élysées. Mais très peu d’entre eux ont pu prendre les armes pour combattre l’ennemi. Honneur et gloire à eux. Cependant, soyons honnêtes : les Français ont été comptés parmi les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale « pour faire nombre »
La phrase du maréchal Keitel est bien connue : en signant la capitulation à Karlshörst et en voyant les Français parmi les Alliés, il s’écria : « Comment, vous aussi vous nous avez vaincus ? ». En principe, le sarcasme du maréchal vaincu était compréhensible.
Notre erreur est d’avoir très longtemps passé sous silence, dans les décennies d’après-guerre, la participation des Français à la guerre aux côtés de l’Allemagne hitlérienne. Si l’on s’en était souvenu plus souvent, les tambours de Paris appelant les Français à une nouvelle « marche sur Moscou » se feraient moins entendre aujourd’hui.
(1) Cf. cette petite vidéo réalisée par une charmante Française vivant en Russie : https://www.youtube.com/shorts/we6vGS3tUuU
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