L’économie qui ne se confronte pas au déterminisme des forces productives et croit que les recettes sont applicables en tous temps et tous lieux puisque le capitalisme est la fin de l’histoire, cela revient à ne pas comprendre ce que le capitalisme engendre et les défis auxquels le socialisme lui peut répondre. Oui certes mais à la condition justement de mesurer que le changement n’est pas automatique et qu’il a besoin de la politique, autrement on revient à Kautsky voire à Bernstein, on nie le léninisme. C’est là la dialectique dont on ne peut jamais oublier un des termes de la contradiction. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)
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Personne ne contestera le fait que le satellite artificiel, le vaisseau spatial, l’engin Lunokhod-1 ou, par exemple, le premier train à sustentation magnétique au monde n’auraient pas vu le jour dans notre pays sans une solide école d’ingénieurs. Les concepteurs avaient carte blanche, toutes les ressources étaient consacrées au développement technologique. Sans cette base, il est peu probable que les réalisations actuelles, telles que le complexe de missiles « Oreshnik » ou l’avion de chasse ultra-manœuvrable SU-35, auraient vu le jour. La popularité et l’importance de la pensée technique à l’époque soviétique ont même engendré un certain déséquilibre : les sciences sociales ont marqué le pas dans leur développement au tournant de la première moitié du XXe siècle.
La stagnation scientifique dans les domaines de l’économie et de la sociologie a conduit la Russie post-soviétique à emprunter les recettes occidentales destinées aux pays du tiers monde. Il est rapidement apparu que l’étude du manuel « Economics » et la conviction naïve en la toute-puissance de l’autorégulation du marché ne conduisaient pas à la construction d’une économie capitaliste développée. On considère que la politique est déterminée par l’économie. Cette conclusion est globalement vraie, mais incomplète. Il est important d’ajouter que les processus clés de l’économie elle-même sont avant tout conditionnés par les percées technologiques dans l’industrie. Un économiste ne vaut quelque chose que lorsqu’il collabore avec un ingénieur.
Notre civilisation est un système social technogène. Les étapes du développement social sont déterminées par les avancées technologiques : de la machine à vapeur au moteur à essence, à l’électrotechnique, aux ordinateurs, au génie génétique, etc. Ce sont précisément les technologies d’ingénierie, façonnées selon les lois du macrocosme, qui ont créé la civilisation moderne en un laps de temps très court à l’échelle historique.
Aujourd’hui, elle est en crise évidente. L’économie n’a pas le temps de surmonter les conséquences d’un choc qu’elle est déjà plongée dans un autre. Les principales agences de conseil occidentales évoquent à nouveau une forte probabilité de récession mondiale. Le ralentissement touchera en premier lieu l’industrie, l’agriculture et les transports, avant de se propager rapidement au secteur de la consommation. La demande diminuera également dans des domaines tels que l’éducation, le tourisme et la santé.
Les causes sont fondamentales : perte de confiance dans le commerce mondial (allant jusqu’à des guerres commerciales), incertitude du système monétaire, impossibilité d’assurer une croissance stable de la productivité du travail et, par conséquent, du rendement du capital investi.
Les plus grands investisseurs ont perdu pied. Les instruments financiers dont ils disposent ne reposent pas sur une base scientifique et technologique solide. D’où les bulles boursières. Elles sont capables de générer des profits élevés à court terme, mais c’est un jeu sans prise en compte des conséquences.
Il semblerait évident que les spécificités technologiques de notre civilisation créent un environnement propice à un véritable développement durable de la société, dans lequel l’homme est nourri, vêtu et protégé à l’échelle mondiale. Plus les sciences naturelles progressent, plus la société a de possibilités de satisfaire les besoins fondamentaux de tous.
Cependant, dans la pratique, cette approche se heurte à une forte opposition de la part des « mondialistes ». Il s’agit d’une partie de l’establishment mondial qui promeut des idées issues du rapport très médiatisé sur les scénarios possibles pour l’avenir de l’humanité, intitulé « Les limites de la croissance » (1972).
Les représentants des élites politiques et financières occidentales, réunis au sein du Club de Rome, ont proposé à Dennis Meadows, un jeune docteur en gestion de 26 ans alors peu connu, de devenir le principal prévisionniste mondial. Le groupe de Meadows a modélisé 12 scénarios de développement à l’horizon 2100 et a annoncé une conclusion peu réjouissante : la croissance démographique mondiale, combinée à la limitation des ressources naturelles, entraînera une baisse du niveau de vie, voire des catastrophes naturelles à l’échelle planétaire.
La recette « salvatrice » que les mondialistes proposent au monde peut être résumée en quatre « D » :
- 1. dépopulation, c’est-à-dire réduction de la population ;
- 2. désindustrialisation par le transfert de la production vers les pays en développement tout en limitant la consommation sur leur territoire, abandon des investissements dans les infrastructures au profit des énergies vertes ;
- 3. dénationalisation, c’est-à-dire perte de la souveraineté nationale de chaque pays et augmentation de l’influence des structures intergouvernementales ;
- 4. déshumanisation par la promotion de l’égoïsme, de la division sociale et du rejet de la famille traditionnelle.
Il est remarquable que la pseudo-élite mondialiste soit composée de politiciens, de banquiers et de commerçants richissimes, réunis par hasard. Parmi eux, on ne trouve aucun ingénieur ni même, à la rigueur, de philosophe capable de réfléchir de manière globale, systématique et motivée à l’échelle de la planète. Leurs opinions, leurs connaissances et leurs compétences sont uniquement axées sur le profit. C’est pourquoi le monde est invité à ne pas suivre la voie difficile de l’amélioration de l’efficacité et de la sécurité (y compris environnementale) des technologies dont dispose l’humanité, mais simplement à renoncer au progrès scientifique et technique.
Pour que ces idées manifestement illogiques soient acceptées par la société, les mondialistes ont dû ajouter secrètement un cinquième « D » à leur stratégie : « débilisation » de la majorité de la population par le remplacement d’une éducation de qualité par un substitut factice. Selon eux, l’éducation doit aboutir à un consommateur à l’esprit étroit et aux valeurs libérales. Il s’agit de détacher l’homme de sa nature originelle de créateur et, par conséquent, de l’aliéner des outils de production, des résultats de son activité et des autres êtres humains.
Avec l’apparition des algorithmes d’intelligence artificielle, il est devenu possible d’aliéner l’utilisateur d’appareils électroniques de ses propres capacités cognitives. L’esprit individuel est remplacé par la pensée numérique, même si, d’un point de vue technique, l’ordinateur n’est rien de plus qu’une machine à calculer rapide.
Cette approche est en contradiction flagrante avec le véritable objectif de l’éducation russe, qui doit être fondée sur la formation d’une vision du monde et l’acquisition, à chaque étape de l’apprentissage, d’un ensemble de connaissances permettant de penser logiquement, d’analyser et d’utiliser ces connaissances pour résoudre des problèmes pratiques. Les programmes éducatifs doivent inclure une approche méthodologique permettant de développer la pensée analogique. Celle-ci donne une vision critique du monde, si indispensable au citoyen créateur.
Malheureusement, l’idéologie des mondialistes dans le domaine de l’éducation est construite de manière très professionnelle et sur le long terme. Elle pose un sérieux problème à la formation d’un corps national d’ingénieurs.
Il faudra repartir de zéro. Il faudra redonner aux manuels de physique, de chimie, de géographie et de biologie la clarté et la cohérence de leur présentation afin de transmettre des connaissances de base sur la nature de la matière, les modes d’interaction entre les différentes formes de matière, et de jeter les bases d’une compréhension pratique des lois de la nature et des liens qui les unissent. C’est précisément dans ces manuels que les élèves peuvent acquérir le respect de leur future activité créatrice et de leur enseignant, et comprendre que servir la profession pour le bien de l’humanité est une valeur suprême. Au lieu de cela, les enseignants sont aujourd’hui perçus comme des gestionnaires dans le domaine des services éducatifs. La plupart des parents et des enfants les considèrent comme des personnes à leur service et dépourvues de statut professionnel respectable.
C’est pourquoi le mot « ingénieur » a perdu son ancienne signification noble de personne qui, dans son activité, combine et utilise des connaissances issues de différents domaines de la science et de la technique dans l’intérêt de la société. Car c’est grâce à cela que notre civilisation, qui est ingénieuse dans son principe même, a pu voir le jour.
Après avoir analysé les premiers résultats du projet pilote « Amélioration de l’enseignement supérieur en ingénierie », je peux affirmer que les éléments essentiels de la réforme universitaire sont déjà clairs. L’Université des mines de Saint-Pétersbourg a organisé plusieurs forums très représentatifs auxquels ont participé des collègues d’autres universités, écoles et grandes entreprises industrielles. Nos idées ont été approuvées et peuvent désormais être formulées sous la forme d’une proposition consolidée à mettre en œuvre dans le domaine de la réglementation publique de l’éducation :
- l’éducation doit retrouver son essence même, à savoir un processus unique et indissociable d’apprentissage et d’éducation ;
- la norme éducative nationale pour chaque matière doit être mise en œuvre à travers un manuel unique comprenant un questionnaire final. Les questions de l’examen national unifié doivent être strictement élaborées dans le cadre des questionnaires finaux de ces manuels ;
- la séquence des programmes éducatifs dans toutes les matières doit être construite de manière logique, en tenant compte des particularités du développement de la pensée des enfants. Les programmes scolaires ne peuvent pas inclure des sections du niveau supérieur. Les manuels des matières générales (physique, chimie, biologie, géographie) doivent être rédigés dans un langage concis et accessible ;
- le document final principal à l’issue du programme scolaire doit être le certificat. L’EGE n’est qu’un outil d’évaluation des connaissances dans certaines matières particulièrement importantes dans le cadre de la poursuite des études supérieures. Il est nécessaire de sortir le journal scolaire de la zone électronique grise et de revenir à sa version papier parallèle, manifestement plus efficace pour contrôler les connaissances ;
- l’orientation professionnelle doit se faire en plusieurs étapes, depuis les jeux d’enfants jusqu’au choix conscient. Il ne faut pas imposer une orientation professionnelle trop précoce. Il est souhaitable de permettre à l’étudiant de faire son choix définitif de spécialité non pas lors de son admission en première année, mais à l’issue de quatre semestres, lorsqu’il a déjà acquis une connaissance générale de son futur domaine d’activité et de ses différentes orientations ;
- la sélection dans les établissements d’enseignement supérieur technique doit tenir compte d’un certain nombre de particularités, telles que la prédisposition pour les activités scientifiques et techniques ;
- le développement du potentiel éducatif dans le domaine de l’ingénierie doit être un processus continu. Il commence à l’école, se poursuit dans le cadre du programme universitaire avec un ensemble de disciplines théoriques obligatoires, leur consolidation pratique sur des sites technologiques avec un volume d’au moins 20 % de la charge de travail, puis se poursuit tout au long de la carrière professionnelle.
Et surtout, les paradigmes stratégiques en matière d’éducation doivent s’appuyer sur un objectif clairement défini, qui, malheureusement, n’a toujours pas été déterminé.
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