Ce témoignage d’un lecteur qui vit en Chine, cette anthologie des écrits d’Aragon sur le « réalisme socialiste », la censure de notre livre par ceux qui n’en finissent pas de me refuser le procès auquel tout accusé a droit, puisque l’affaire est jugée… Donc ce lecteur qui explique comment alors qu’en France il se désintéressait de la politique, il est devenu communiste en Chine et il résume le sens de cette expérience : « on a plus de patience quand on est convaincu que malgré les difficultés on va dans le bon sens« . Ce que comprennent ceux qui comme Marianne et d’autres ont vécu l’expérience du socialisme non pas en touriste mais en étant réellement associés à la vie des peuples qui sont entrés dans cette aventure dont Fidel disait le caractère totalement innovant. L’humanité depuis des millénaires vit la condition humaine en relation avec la propriété de certains sur d’autres, par l’esclavage, le servage, l’exploitation du travail, alors que l’expérience du socialisme est totalement nouvelle, même si elle plonge ses racines dans l’origine de la civilisation humaine… Comment mesurer cette enfance de l’expérience de la coopération, de la mise en commun, une telle nouveauté… Marianne a deux expérience l’URSS et la Chine. Moi une seule Cuba, mais le parti fut aussi une relation jadis qui laissait entrevoir ce monde-là et dont même les plus anticommunistes conservent une bizarre nostalgie, celle où l’individu se réalise dans un projet dans lequel il peut enfin s’oublier pour exister. J’en profite pour vous annoncer que je prends un temps non pas de vacances mais d’approfondissement dans la présentation de notre livre. Mardi je serai à Paris dans une émission de Sud radio, ils font des vidéos, je la publierai ultérieurement, puis je pars pour une expédition dans l’Ardèche à la rencontre de lecteurs et d’un monde encore inconnu… pendant une dizaine de jours… à mon retour le 11 juin émission de radio galère… à 87 ans, en tous les cas ça conserve, ça et Ambroise Croizat et la sécurité sociale… Marianne prend le relais pour ce qui lui semble utile de vous faire partager…
Premier constat : nous sommes elle et moi éloignées de toute vision « paradisiaque » et je pourrais écrire des pages et des pages sur les problèmes de la vie quotidienne dans Cuba sous blocus, le besoin étrange, irrépréhensible tout à coup d’un objet de ma civilisation européenne et qui s’avère introuvable, en l’occurrence un stylo qui marche et un papier qui ne soit pas poreux et buvard, l’écriture qui le perce et en fait un chiffon. Les files d’attente auxquelles on se met d’office sans savoir ce qui est ainsi espéré et ce plat de pommes de terre germées que l’on a enfourné en profitant de l’absence de panne de l’électricité, avec une cuillère à café d’huile et qui s’avère le repas le plus exquis de votre vie. Cuba en période spéciale sous toutes les rigueurs du blocus, à la chute de l’URSS et qui avait décidé de tenir bon…
C’est autre chose qui m’a attachée à cette expérience, c’est la tentative permanente et parfois cocasse pour résoudre d’une manière « humaine » les problèmes du quotidien. Les débats permanents autour des recherches de solution et la conviction que ce que l’on fait est juste et digne, les relations de lutte et d’idéal dans l’amitié comme dans la passion amoureuse, un fuerte abrazzo comme étreinte. L’arrivée en avion sur l’aéroport de la Havane, l’air si doux et tiède de la nuit, l’amie qui vous attend et à qui vous demandez comment ça va et qui vous répond ‘plus ou moins bien’, ce qui en langage havanais signifie que c’est catastrophique et qui ajoute aussitôt : « Oui mais Bush est chez lui et moi je suis chez moi! » et ça n’a pas de prix.
S’il s’agissait simplement d’une méthode pour « dresser » les gens à d’autres comportements, à résister, cela ne présenterait pas d’intérêt, ce serait même inquiétant, mais ce qui est attachant c’est l’effort pour apprendre à agir consciemment. Alors bien sûr cela suppose un contexte idéologique dans lequel l’histoire joue un rôle essentiel, celui de la nation avec son exemplarité mais dans une histoire universelle et celle de l’humanité. Cela aide à élargir les questions que l’on se pose sur ses propres actions, sur ce qu’est un citoyen socialiste, un révolutionnaire. On retrouve quelque chose de ce qu’a été la formation républicaine par les héritiers de la révolution française. Donc la conscience du communiste comme celle du républicain embrassait le passé pour avoir le pas assorti à ses camarades au présent vers le futur.
En lisant l’interprétation de Hegel par Alexandre Kojeve on est frappé de la manière dont il relie de ce fait le marxisme, léninisme, stalinisme au projet de connaissance de soi de la philosophie. « Enfin, l’ensemble du socialisme, dit scientifique de marx-lénine-staline peut se lire comme une tentative grandiose d’élargir la « prise de conscience » humaine jusqu’à ses limites naturelles et donner à l’homme en personne la possibilité maximale de parler de façon convaincante et sensée de lui-même ». Il y a là un accès à la philosophie, à la connaissance de soi dont on repousse sans cesse les murs. Le socialisme serait l’accès à la philosophie par tous, chacun à sa manière dans des coopérations inconnues partout ailleurs…
Il y a la force de ceux qui n’en peuvent plus, qui n’ont pas d’autre issue au sort qui leur est fait, mais ce n’est pas gagné d’avance, la peur n’engendre pas toujours le courage, il faut quelque chose de plus, cette exigence de la conscience de soi, de sa vraie place dans l’humanité…
Voila tout ce que j’ai à dire pour le moment à ceux qui voient dans ma fidélité au communisme un effet de mon stalinisme supposé… Non c’est ce moment où j’ai été authentique et si libre d’être moi même que je ne l’ai jamais oublié. Alors on se dit que mes amis m’entourent et que mes ennemis m’ignorent c’est plus sûr et rien ne vaut ce sentiment d’être enfin là où l’on doit être..
Danielle Bleitrach
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