Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Aragon et « l’esclavage atroce des esprits », la politique et le mentir faux, par Danielle Bleitrach

Hier j’écrivais un article pour ce blog intitulé « Comment vieillir avec curiosité dans un monde inconnu »(1) sujet qui ne cessera pour moi d’être d’actualité et qui m’invite toujours plus à la curiosité face à la familière étrangeté de mes contemporains qui appartiennent déjà à l’inconnu. Tout à coup j’ai été frappée par le fait que certains mots que j’alignais spontanément, par exemple  » ce qui se cache dans les replis d’une phrase, et en constitue la révélation », me semblaient appartenir à Aragon. J’ai alors feuilleté fiévreusement un volume de la pléiade qui vient de sortir et rassemble d’importants essais littéraires d’Aragon jusqu’ici épars et j’ai retrouvé le texte qui m’avait marquée. Le pourquoi importe. Il s’agit d’une série d’articles intitulés « A la lumière de Stendhal ». plus précisément « savoir lire Stendhal et Louis Delluc. une relecture des classiques de la littérature à travers les événements de l’époque, celle de la guerre froide en 1952, le maccarthysme; les Rosenberg, la célébration des deux mille ans de Paris sous la présidence d’Einsenhower et de mademoiselle Truman considérés déjà comme les seuls vainqueurs de la deuxième guerre mondiale. Aragon reprend l’Histoire à travers les non dits de la littérature mais il nous confronte aussi au « mentir faux » de la politique, à l’esclavage des esprits aliénés. (2) :

« Ceux qui n’ont pas connu cette époque (1915, l’union sacrée, la première année de boucherie note de DB) ne peuvent imaginer le degré de bassesse, de flagornerie et de sottise auquel était tombée la presse, l’atmosphère qui permettait la poursuite du massacre, l’esclavage atroce des esprits. En ce temps-là, Guillaume Apollinaire avait dû cacher à la cave ses Picasso, parce qu’une toile suffisait à vous faire passer pour un espion allemand. Les voisins appelaient la police parce qu’ils avaient cru reconnaitre Wagner ou Schumann dans le morceau de piano qu’étudiait la petite fille d’à côté. Albert Thomas visitait les usines de pyrotechnie et parlait aux munitionnistes la main sur le cœur. Les listes de proscription faites avant la guerre par Maurras et Léon Daudet dans leur journal servaient à persécuter les professeurs suspects de pacifisme, à prendre la revanche des anciens dreyfusards devenus agents de Guillaume II pour les défenseurs d’Esterhazy. Que pouvait-on écrire ? « (p.917 et 918)

OUi la question est là: que peut-on écrire ? Et d’où peut-on encore écrire, ajouterai-je? ça dépend s’il s’agit de littérature ou de politique? De fiction dans laquelle chacun se retrouve ou dans une politique dans laquelle plus personne ne s’y reconnait.

Est-ce que Trump est un personnage de fiction, le mensonge suffit-il pour être un personnage de roman. Encore faut-il mentir VRAI. As-tu remarqué, ai-je dit à Marianne la voie de fausset qu’ont les représentantes de l’Ukraine sur le plateau de LCI? C’est parce qu’elles savent qu’elles mentent m’a affirmé Marianne et elle geignent pour se plaindre de ne pas être crues…

Le mensonge tel que le pratique Trump correspond à ces temps de bassesse et de flagornerie, d’esclavage atroce des esprits où l’expression du doute est interdit parce qu’autrement tout l’édifice s’effondrerait. Il en est ainsi de l’affirmation que les Américains, ou plutôt les Etats-Unis ont fourni le principal effort de guerre. Ce mensonge n’est pas une simple fanfaronnade.

Les Russes, enfin certains d’entre eux ont parfaitement compris jusqu’où allait la dérive de Trump qui lui aussi a un ton étrange, mielleux inquiétant, il parait sucer un bonbon et se délecter de ces trouvailles.

Xi et Poutine ont pris ça au sérieux et ont décidé de faire front uni contre « le harcèlement hégémonique » …

Le harcèlement : le mot est précis et n’a rien d’un hasard : Trump, l’esprit du temps ressemble à s’y méprendre l’un de ces écoliers vicieux qui arrachent les pattes des mouches et martyrisent le plus faible de la classe. Beaucoup de narcissisme dans cette jouissance répétitive. Un autre terme s’impose : l’idiosyncrasie (du grec ancien ἰδιοσυγκρασία / idiosunkrasia (« tempérament particulier ») en France le mot relève de ce qui est le propre d’un individu, d’un point de vue littéraire André Gide s’y réfère dans son roman Paludes paru en 1895 : « Nous ne valons que par ce qui nous distingue des autres ; l’idiosyncrasie est notre maladie de valeur face aux influences de divers agents extérieurs », en médecine, la référence va jusqu’aux comportements « troublants », hors norme. Parce qu’il en est de ce qui nous est propre en occident, cela relève aisément de la mode, chacun croit se distinguer en ressemblant aux autres, ce que l’air du temps lui impose. L’air du temps est au narcissisme, au harcèlement pour espérer exister au dépend de la destruction d’autrui. Les réseaux sociaux sont utilisés pour favoriser ce comble de l’individualisme pathologique et la coïncidence entre X et Elon Musk n’en est pas une. D’ailleurs en Amérique latine, à Cuba, l’idiosyncrasie désigne une sorte de personnalité nationale qui s’impose aux individus jusque dans la gestuelle et si l’on en croit José Marti, les Etats-Unis ont une avidité, une jalousie qui dans le soleil ne leur fait voir que les taches. Cette incapacité à s’unir, cette anomie est le ventre du monstre, celui dont ne cesse de surgir « la bête immonde », le capitalisme et son alter ego le fascisme.

Est-ce qu’on peut se résigner à un monde qui ressemble à ça… Ce qui se passe sur les réseaux sociaux est de cet ordre là et traduit l’anomie contemporaine… Mes « convulsionnaires » de hier appartiennent ou semblent appartenir à cette catégorie là…L’exigence fébrile que ces individus qui m’étaient totalement inconnus t à exiger que l’université me bannisse, puis à m’exiler parce que j’avais osé placer une photo du défilé du « régiment héroïque » devant l’ambassade de Russie à Pékin en 2013, je le reconnaissaient, ils venaient de loin et ils étaient de même nature que ceux qui avaient aussi la manie d’écrire, les auteurs de ces lettres anonymes harcelant ma famille durant la IIe guerre mondiale. Il y a quelques individus qui se conduisent ainsi dans ce blog et que j’élimine quelles que soient leurs tentatives pour avoir un langage moins troublant, ils en reviennent toujours à mon judaïsme supposé déterminer ce qu’est ce blog. Trump est un maquignon avec des idées fixes sur ce qui est légitime et ce qui l’empêche de « respirer » qu’il faut anéantir mais qu’il feint parfois de plaindre…

Les crimes qui légitiment le harcèlement semblent évoluer, en fait la cible reste la même…

Dans la première période de la mobilisation, celle de « l’étrange défaite » avec une armée française, l’arme au pied attendant du côté de la ligne Maginot, celle de ma naissance, on guettait l’espion allemand. Mon père, né de parents juifs polonais, à Metz, en 1915, était apatride en fait. Être allemand n’était possible que par le droit du sang pourtant son père Nuchim, avait été charrié par ses parents avec ses six frères et sa sœur, en 1884 (Karl Marx mourait) pour repeupler une Alsace Lorraine qu’avaient fuit les patriotes français, dont pas mal de juifs. L’arrière grand père, Moise, sur l’unique photo conservée de lui a l’air absent, avec ses yeux bleus enfoncés dans des orbites si profondes qu’il en devient fantomatique, le corps enfoui dans un caftan, avec comme seule loi et savoir la Thora et le talmud. Mon père était blond aux yeux verts, il avait l’accent du nord et parlait l’allemand avec les tonalités yiddish. Ma mère une superbe créature méditerranéenne tranchait résolument dans ce paysage d’Europe centrale, sa source était une famille de prolétaires communistes dans le quartier des chartreux ou j’ai fini par atterrir actuellement. Pauvres mais honorablement connus malgré les opinions extrémistes de mon grand père. Mais lui aussi était un patriote, il s’est éteint trois mois après ma naissance des suites de coups reçus dans une manif sur un organisme asphyxié par les gaz de Verdun, l’inutile massacre. Il n’avait pas 40 ans et ma grand mère apprenait l’espéranto parce qu’elle croyait en la fraternité universelle. Donc ma mère, en 1939, avait été appelée par le commissariat de Police du quartier. Le commissaire lui a montré une lettre de dénonciation. Mon père y était décrit comme un espion allemand puisqu’il n’était pas à l’armée. En rentrant ma mère est allée flanquer une raclée à la voisine dénonciatrice et a forcé mon père à s’engager, il devait se conduire comme un bon français… A peine arrivé sur le front, il a été fait prisonnier par les Allemands alors que le gros de l’Armée française fuyait en débâcle sur les routes de France et c’est une autre histoire…

En février 1943, alors que commencent les opérations de dynamitage du quartier Saint-Jean de Marseille qui dureront plus de deux semaines, en faisant flotter sur Marseille un épais nuage de poussière. 1 500 immeubles sont détruits et dans le centre de la ville à deux pas de la rue de la Madeleine d’alors devenue depuis rue de la libération quatorze hectares de ruines bordent désormais le Vieux-Port. cette destruction est destinée à traquer les juifs mais aussi les résistants qui sont nombreux dans ses rues étroites, dans cet enchevêtrement qu’étaient les vieux quartier… Au milieu de ces gravats et de ces déportations, la lettre anonyme qui nous a obligé à fuir était collée devant notre porte, un porche qui s’ouvrait sur une cour et de petits appartements où nous étions terrés, et elle indiquait « il y a des juifs cachés ici »… L’espion était devenu le juif, comme le capitaine Dreyfus, la réaction avait gagné, elle prenait sa revanche sur ceux qui avaient obtenu qu’il soit gracié mais jamais rétabli dans son honneur, celui de l’armée en dépendait et jamais on n’a épuré, ni en France, ni en Allemagne nazie, une armée, sauf en URSS. La traque était la même mais la qualité attribuée et qui la légitimait évoluait au gré des circonstances.

Il faut toujours contextualiser les œuvres littéraires comme les formes de la bassesse humaine…

C’est d’ailleurs parce que ce texte d’Aragon sur Louis delluc réveillait des peurs enfantines que sans doute j’en avais gardé en mémoire des passages entiers. Louis delluc était un cinéaste, sur le front, faute de camera, il avait écrit un texte intitulé « la guerre est morte‘ Et Aragon revient sur l’accueil fait à ce livre :« Ce roman, qui se passe dans la journée du 27 novembre 1915, qui fut écrit alors, ne devait paraître qu’en 1917, après bien des avatars. La censure ne l’avait pas autorisé d’abord. Guillaume Apollinaire censeur au ministère, avait refusé son visa. Avait-il tort? La guerre est morte était-il un livre « défaitiste »? En tous cas, c’était un livre où, malgré les précautions, la sourdine mise aux sentiments profonds, on entendait battre le coeur de la paix. Et c’était déjà trop »(P.918)

Et là Aragon nous donne une précieuse leçon de contextualisation. La mémoire a des ressemblances troublantes avec le cinéma muet. Le piano qui accompagnait la projection était nécessaire pour que l’image de l’écran ne soit pas trop fantomatique. C’est d’ailleurs ce qui fait le charme irrésistible de ce cinéma et lui confère un langage universel de l’aventure et des émois comme à Guignol. Aragon a les mots pour en décrire les aspects fantomatiques ceux qui nous ont fait tant aimer Mabuse et Fritz lang… et la censure en plus « On peut jouer à le deviner et il est certain que le lecteur de la guerre est morte, pendant la plus grande part du roman, s’il se souvient de 1915, s’il se remet dans cette atmosphère étouffante , s’il retrouve en lui le désir de paix retrouvée qui secrètement hantait les nuits du grand nombre, rendu muet, le lecteur suit les personnages de Delluc comme dans un conte fantastique et réel, et sa sympathie va à ceux qui veulent arrêter la guerre, qui l’arrêteront si seulement un jour un ministre et un général se taisent , si un seul journal annonce l’armistice, si… « (P.918)

Revenons en aujourd’hui à ce 8 mai 2025.. toute notre sympathie va à ceux qui célèbrent la paix, mais avez vous ressenti comme moi dans les célébrations françaises quelque chose qui sonnaient faux ? Une absence de capacité à mordre sur l’actualité, les périls de l’heure. Il y avait les rendez-vous de l’Elysée avec un terroriste reconnu que l’on légitimait, suivi d’un retour en force du couple allemand en route vers le surarmement, une obéissance de fait aux souhaits de Trump et une pseudo indépendance derrière le pitre Zelensky dans la foulée de la reconnaissance du syrien, tous contre la Russie. les cérémonies officielles devant les monuments aux morts étaient pour la plupart inspirés des discours sur la paix de la première guerre mondiale, en dehors du rappel des victimes de la barbarie nazie, on avait l’impression qu’il s’agissait de la célébration du 11 novembre, avec une vague dénonciation des « factieux » de l’extreme-droite qui commencent à vouloir la guerre… Aucune leçon ne paraissait avoir été tirée des combats contre le nazisme et ce qui l’engendre, comment le vaincre dans ses formes actuelles… Cela ne risquait pas de contredire Trump qui veut être le seul à avoir été le héros de la guerre, cela était dans la lignée de la manière dont déjà la Russie a été interdite au débarquement de Normandie, ni d’ailleurs à la libération d’Auschwitz…

« Tout dépend de quelques paroles. Que les peuples croient à la paix, et on pourra plus continuer la guerre. telle est la certitude de Delluc porte en lui et dont il anime ses héros. Mais s’il écrit cela, son livre pas plus que le journal annonçant la paix, ne paraîtra. Il faut donc ruser. Il faut renoncer à une part de son rêve. L’excuser. »(p918 et 919)

Renoncer à la part de son rêve d’une véritable paix, condition de la liberté est-ce du réalisme, une nécessité ? …

C’est vrai pour les malheureux scribouillards que nous sommes et combien de chef d’oeuvre sont sortis de la contrebande avec les interdits. Mais qu’en est-il quand il s’agit d’un parti, et plus encore d’un parti communiste ? J’admets qu’il faille ruser et j’ai ici même défendu le droit du PCF à ruser dans un terrain pourri par trente ans de liquidation de tous les fondamentaux. On peut ruser et ne pas tout dire mais ce qu’on dit doit être vrai et à nos yeux le mensonge commence quand on met sur le même plan Gaza et l’Ukraine en oubliant où se trouve l’OTAN … Ce mensonge était à l’ouverture de l’Université du PCF et il est intolérable.

Comme lors de cette université d’été, quand on revendique le savoir, on ne peut pas cautionner le négationnisme historique, celui de la grande guerre patriotique comme le disent les Russes, ce qui avait été promis en matière de charte des Nations unies, toutes les interventions des USA, l’avancée de l’OTAN après la dissolution du pacte de Varsovie, ce que fut le drame de la fin de l’URSS pour les peuples, et j’en passe… le dirigeant du PCF porte un lourd fardeau celui d’un parti révolutionnaire, celui qui ne doit pas tout dire mais il ne doit pas mentir. C’est difficile et en général Fabien Roussel s’en sort en disant la vérité sur les intérêts réels de la classe ouvrière et ceux de la nation. et en se taisant sur la géopolitique, rien à redire c’est même le levier qui va aider à recréer y compris une conscience des capacités réelles de l’action.

Oui la ruse est politique, mais voilà, il ne faut pas aller au-delà surtout quand on n’est même pas sollicité, mentir, entretenir la confusion en espérant y gagner de l’audience pour l’essentiel est un leurre…

IL est utile pour lire un livre de connaitre ce qui était alors nécessaire dans la flatterie des goûts du public « si bien entretenu alors dans sa peur des espions « Taisez vous, méfiez -vous ! des oreilles ennemies vous écoutent… » (p. 919) Qu’est ce que l’époque oblige à sacrifier et ce que l’on offre à l’adversaire en sus.. C’est là que mon âge me gêne et ma mémoire me crée des raideurs… je voudrais bien ne pas savoir, mais ce savoir est dans ma chair et tant que celle-ci ne disparaitra pas en cendre elle ne pourra feindre d’ignorer.

Non Paris ne vaut pas cette messe-là …

Comment vous expliquez, il y avait non seulement ces affiches placardées en 1939 elles étaient tricolores et elles expliquaient « comme il y a 25 ans l’ennemi allemand a des espions ». J’entends je ne sais d’où une voix qui me répète « des oreilles ennemis vous écoutent »…Même si je le voulais cette mémoire là revient…

Lundi 26 mai 2025, j’ai rendez-vous avec un jeune cinéaste je crois qu’il fait son diplôme de fin d’étude. Il a trouvé dans mes mémoires un fait qui est encore occulté : la milice était installée dans une partie du lycée Thiers dans le centre de Marseille, derrière le lycée Thiers. Ce fait est désormais ignoré, je me heurte à l’étonnement général quand je l’évoque. Mais il a trouvé d’autres témoignages qui corroborent mes souvenirs. revenons-en à ces souvenirs. C’était à la veille du débarquement allié, mes parents qui appartenaient aux FTP-MOI (toujours le statut d’apatride de mon père) ont été arrêtés et conduit à la milice. Mon père, avant la guerre, et encore au temps où la voisine le prenait pour un espion allemand, jouait au poker dans l’arrière salle d’un bar des chartreux (là où il y a maintenant un petit théâtre) c’était le bar Guiramand… Il jouait avec ceux qui allaient devenir des chefs de la Milice Corseti et Villemus et qui en tant que suppôt de Doriot faisait encore illusion. Ils passaient alors pour des patriotes gueulards un peu antisémites certes, mais qui ne l’était pas ? Même mon père s’y était habitué. C’est ce qui l’a sauvé, Quand ma mère et lui ont été arrêtés et conduits au Lycée Thiers, les deux chefs locaux de la milice ont pris mon père à part : » si on te fais fuir tu témoigneras que nous avons sauvé de Juifs? », ce que mon père a promis et on lui a collé un balais en main et tout en balayant il en a profité pour s’enfuir. Ma mère était à l’infirmerie attendant son tour. On m’a conduit la voir pour que je l’embrasse en ne sachant plus très bien si c’était la dernière fois de tout cela je suis assurée mais… et c’est là que le souvenir devient fantomatique, je suis convaincue d’avoir couru, d’avoir ouvert une porte et vu un corps nu pendu par les mains et les pieds que l’on battait… peu de temps après, quelqu’un a raconté qu’un jeune communiste pour ne pas parler s’était coupé la langue et en était mort… Et dans ma tête, les deux images se sont surimpressionnées avec en son une voix, celle d’un documentaire d’actualité qui disait : « Méfiez-vous, taisez-vous, des oreilles ennemies vous écoutent! »…

Donc quand, il y a quelques jours, le jeune cinéaste m’a téléphoné je lui ai expliqué que j’étais sûre que la milice était au lycée Thiers mais que beaucoup de mes souvenirs, en particulier ce spectacle de la torture et du jeune communiste étaient peut-être une pure invention, un film avait pris la place de mes souvenirs. C’est alors qu’il m’a proposé avec l’accord de la directrice du Lycée Thiers de me faire repasser dans les lieux en question pour tenter de réactiver mes souvenirs. C’est ce que je vais faire ce lundi 26 mai, j’y vais comme à un rendez-vous avec cette enfant qui était moi…

C’est dire si cette référence d’Aragon à Louis Delluc et à ce qui peut et doit être dit pour mentir vrai m’importe…

Dans nos grandes conversations avec Marianne sur ce blog, sur notre engagement, nous avançons également depuis quelques jours, à cause de ce 8 et 9 mai, parce que nous sommes apaisées sur ce qui nous a tant bouleversées … Marianne est plus jeune, elle a d’autres adhérences historiques, familiales… Mais nous partageons le fait d’avoir une reconnaissance forte au peuple russe et chinois, et moi cubain de surcroit… Cette expérience, les communistes français ne l’ont pas et le peuple non plus, il marche à son rythme…

J’ai découvert peu à peu pourquoi je veux que tout le monde adhère au PCF mais pas moi, surtout pas moi… C’est parce que je pense que c’est encore la seule organisation en capacité de créer un résistance, d’arriver avec beaucoup d’effort de faire que le désir de paix s’incarne dans une réalité qui reste à construire…

Mais avec Marianne qui elle a acquis de l’indulgence face à ce qui la blessait au sein de ce parti, et voit les efforts, nous avons convenu que ce blog, notre travail d’information et y compris notre livre n’avait pas à ruser sur nos convictions parce qu’autrement nous ne cesserions de sentir ces pincements de coeur, ces déceptions et cette tristesse qui nous emplit des jours entiers à savoir des compagnons de lutte si loin de nous.

Il arrive des moments où l’on doit écrire ce que l’on ressent pas par provocation mais parce qu’il est impossible de faire autrement…

cela répond à l’interrogation « Comment vieillir avec curiosité dans un monde inconnu?  » Ne pas sacrifier la liberté si chèrement acquise au nom d’une discipline qui n’est plus utile à personne… Ne pas souffrir si notre témoignage n’est pas utile… La littérature c’est la souffrance en nous de cette liberté humaine qui ne geint jamais tant dans les barreaux de la prison des temps que quand ceux-ci prétendent exalter le narcissisme…

Aragon, après Delluc revient à Stendhal, et note que dans le manuscrit d’Henri Brulard qui est à la bibliothèque de Grenoble faisait précéder chacun des trois cahiers d’une mention dans laquelle il insiste sur la fiction « ceci est un roman » dans le premier, « rien de politique » dans le second, rien de politique répétait-il en tête du troisième: le plan est : un exalté dans tous les genres qui, dégoûté et éclairé, peu à peu, finit par se consacrer au culte des hôtels. » (faute d’orthographe finale il s’agit des « autels »). Et Aragon de noter que toute sa vie Stendhal a affirmé son éloignement de la politique dans ses romans, d’ailleurs les deux seuls qui abordaient ce vice Lucien leuwen et lamiel sont inachevés.

Pourtant c’est précisément l’insistance de ce Rien de politique-là, à l’adresse de la police, qui nous fait relire Stendhal avec de tout autres yeux, les yeux de cent après, et Stendhal prend une autre perspective, une autre résonance en raison de ce que ce Rien de politique devient une simple défense, un camouflage, et qu’au delà de la lettre, l’esprit stendhalien nous apparait comme un homme traqué, brimé, qui avait encore à nous dire bien autre chose, et qui derrière les barreaux de son temps, nous fait les signes muets et complices du grand drame humain de la liberté (p.940)

Je suis effrayée de la légèreté des politiques. Moi personne ne se souviendra de moi, mais eux qui ont accepté d’être le collectif, il sera repris leurs paroles et nul n’aura en ce qui les concerne la même lecture indulgente que celle pour Stendhal qui était seul et sut en contrebande s’exprimer au nom de tous.

Quand j’interrogeais Louis Aragon justement à cause des ressemblances que je croyais voir entre Lucien Loewen et la Semaine sainte, en lui demandant naïvement « quel effet cela vous fait d’être Stendhal » Il éclatait de rire et malicieusement me répondait « Je ne suis pas Stendhal, je suis Louis Aragon ». Il avait retrouvé d’autres voies pour lui aussi derrière les barreaux de son temps (ceux de la guerre froide) avancer dans le grand drame humain de la liberté. le parti de Maurice Thorez, l’épopée de l’URSS, la résistance, c’était si proche de l’émancipation humaine… La rencontre des avant-gardes…

Jamais cette liberté là ne se passera des masses et de leur conviction, d’un parti… Jamais je n’ai eu le moindre doute là-dessus… Nous avons connu des Fidel Castro qui entendait l’herbe pousser . Ils savaient ruser en armant leur peuple… Nous avons Marianne et moi connu le socialisme, son apport d’intelligence et de dignité, de respect du savoir et nous ne pouvons pas nous résigner à accepter que l’on se taise devant les atroces esclavages de l’esprit infligés à la mémoire, mais nous n’avons rien à proposer si ce n’est des textes qui ne sont publiés nulle part ailleurs…

Donc surtout ne croyez pas que nous prétendions entrer dans ce jeu politicien dont un livre sans doute très vite oublié sous le nom de « la meute » décrit les mœurs… C’est un exemple pas un sujet de rêveries, par quels chemins passent les révoltes… par quel signal en contrebande?

Parler des Brics, proposer d’y adhérer qui peut y croire n’est-ce pas? Ce qui se passe en ce moment à Moscou n’a aucune importance, on vous le dit , on vous le répète avec Zelensky, en revanche il est normal de recevoir le chancelier allemand pour décider de notre sort alors qu’à Berlin on interdit non seulement les drapeaux qui jadis ont flotté sur le Reichstag mais le journal marxiste junge Welt qui se moque de cette interdiction…

Danielle Bleitrach

(1) https://histoireetsociete.com/2025/05/08/comment-veillir-avec-curiosite-dans-un-monde-inconnu/

(2) Aragon . essais littéraires ; édition publiée sous la direction d’olivier barbarant avec la collaboration de marie thérèse eychart et de dominique massonaud. Gallimard 2025

danielle Bleitrach

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2 Commentaires

  • Michel BEYER
    Michel BEYER

    Supermenteur…. vous vous rappelez la marionnette des « guignols de l’info » Cette marionnette était censée représenter Jacques Chirac.
    Qui à notre époque pourrait détenir le titre de SUPERMENTEUR. J’hésite entre Trump et Macron. Mais à la réflexion je vais l’attribuer à Macron.
    Vous avez vu avec quel aplomb il se permet de qualifier V.Poutine de « menteur ». Pour apparaître comme un champion de la vérité, il inverse les textes des accords de Minsk . Il avait semblé ne pas les avoir lus et étudiés. Depuis il s’est rattrapé pour mieux trahir les textes.
    Le 13 Mai, il a prévu un interview pour les français. Merci du cadeau !!! Soyons certains que les journalistes ( peut-on les appeler encore comme cela) mettront toute leur servilité au service de ce personnage; L’athmosphère devient irrespirable.

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  • Georges Rodi
    Georges Rodi

    Danielle Bleitrach, sa vie est un roman.
    (Pas étonnant qu’elle ait pu avoir des conflits d’autorité avec l’appareil du parti, l’université, les médias, les camarades…)

    Je me souviens des étudiants de Hong-Kong, défilant sous les drapeaux anglais et américains au nom des libertés démocratiques.
    Le tout après 150 ans d’occupation coloniale pendant lesquels ni leurs parents, ni leurs grands-parents n’auront jamais eu le moindre droit de vote.
    Une histoire vite oubliée.

    Et Beijing a commis la même erreur au Xinjiang.
    L’esclavage des esprits, c’est assez facile à obtenir, il suffit de réécrire l’Histoire, contrôler les écoles, les livres scolaires, les universités, les médias…
    La jeunesse de Taïwan posera elle aussi un problème, pour la même raison.

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