Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Comment veillir avec curiosité dans un monde inconnu…

Depuis quelques jours, je me demande si je ne vais pas ouvrir une rubrique du week end sous ce titre. Un monde inconnu, nous éprouvons tous, enfin ceux qui ont un minimum de lucidité, le sentiment de pénétrer dans l’inconnu, c’est pas faux. Mais quand on est né en 1938, cela se double de l’incontestable difficulté à dire adieu à civilisation qui remonte à l’aube de l’écriture et s’arrête à vous: la planète Gutenberg. La lecture au-delà d’un post de trois lignes, dans mon cas la capacité à lire un livre ou presque par jour et de le mémoriser n’existe plus, même pour moi, j’en suis seulement à une centaine de pages par jour, pratique diminuée, compensée il est vrai par toute la lecture sur ordinateur pour alimenter ce blog. Ce n’est pas pareil, ce qui se fixe dans votre esprit est différent. En revanche, il y a le mystère des mains agiles qui glissent sur la surface d’un téléphone, envoient en quelques secondes des messages, alors que mes doigts débordent les touches. Pire, je n’arrive jamais à utiliser les fonctions de ces foutus appareils qui tout à coup se transforment en torche lumineuse au fond de mon sac ou se mettent à sonner au milieu d’une scéance collective de yoga sous l’oeil indigné de la créature dominante qui elle vous berce en fin de séance avec un jeu de bol et de bambous à l’écho apaisant ou censés l’être…

Parce que je pratique toutes les mises en forme que la mairie de Marseille, le département des Bouches du Rhône offre aux « seniors », je suis désormais la plus âgée de tous les groupes, le recit de ces activités mériterait à lui seul un ou deux futurs articles du week end. Mais le plus grand plaisir est de partir à l’aube vers la mer avec mes batons nordiques, un sac à dos, de quoi boire et un livre. S’arrêter sur un banc, lire quelques pages et repartir en poursuivant un colloque singulier. Mais revenons en au supposé conflit de génération.

Certes la presse et le sieur Retanaillou vous abreuve de faits divers sanglants dans lesquels il semble que les ados ne rêvent que de devenir des serial killers dans nos établissements scolaires, mais moi je suis plutôt frappée la trés grande gentillesse des jeunes générations, la plupart des jeunes femmes (les garçons en général sont ailleurs mais quand ils reviennent sur terre ils sont également serviables) me traitent comme une porcelaine fragile dans le métro, ou dans mon immeuble dans lequel chaque étage est désormais occupée par des locations collectives.

Le seul problème est que nous n’avons plus du tout les mêmes références et c’est pareil dans les réseaux sociaux. Là les gens sont nettement moins gentils mais le point commun est qu’ils ont tous une mémoire de poisson rouge.

L’autre jour j’ai eu droit à une folle furieuse qui, à cause de mes sympathies pour la Chine et la Russie, proposait non seulement que je sois inscrite à un index quasi vatican, frappé de l’herem, ou exclusion excommunication de l’université (qui ne se souvient pas plus de mon existence que je ne me préoccupe réellement de l’homo academicus) et qui s’étranglait que dans l’état de censure généralisé il existat encore une créature de mon espèce. Cette amie de la liberté me proposait bien sur en outre d’aller m’installer à Moscou ou à Pékin ayant une conception du territoire national propre comme un sou neuf, lavé de ses nuisibles. Face à un sujet consacré aux victimes du massacre d’Odessa, elle s’étranglait d’indignation à l’idée que l’on puisse défendre pareille engeance. Brûler vif un gamin de vingt ans était pourtant normal n’est-ce pas vu que c’était un communiste, un pro-russe et Poutine lui enlevait bien les enfants ukrainiens pour les amener dans la taiga. Pourquoi pas le goulag, comme il en usait avec les divines créatures du régiment Azov tatoués des pieds à la tête de croix gammés. Ils avaient bien le droit ces amateurs de folklore de massacrer pendant dix ans leurs compatriotes dans le Donbass, eux aussi des pro-russes.

Comment le leur reprocher quand les communistes français parlent certes des victimes de la shoah mais pas un mot sur les 26 millions de russes il est vrai que c’étaient des communistes des Staliniens, ils méritaient de mourir sans doute… Mon mari qui avat été torturé par la gestapo, s’était révolté à Eysses et avait été déporté à Dachau, me racontait comment mourraient les soviétiques du camp qui s’étaient emparé de la nourriture et l’avaient distribuée. Ils étaient pendus pendant qu’un orchestre nazi jouait « viens poupoule, viens! ». Ils se jetaient eux-mêmes dans le licol en criant « Vive l’URSS, Vive Staline!’ oui désormais pour la « dmocratie » ils avaient mérité leur sort et il ne fallait pas en parler..

Je résume mais paradoxalement ce qui m’a paru le plus étrange chez cette femme et ses pareils; deux ou trois allumés qui désormais me suivent et gratifient tout ce que je publie d’un petit signe d’hilarité… est autre chose, un renvoi à cette rupture de civilisation. Ces gens sont dogmatiques, ils vous font la leçon comme des maîtres d’école, sentencieux et à mes yeux totalement incultes. Un exemple, j’étais fascinée par la forme inquisitoire de la mise en accusation de cette femme, le côté Torquemada convaincu de son bon droit moral à faire subir à ses ennemis, sans autre procès que celui d’hérésie par rapport à la norme politico-médiatique, et j’ai commenté une de ses affirmations par la remarque, je le reconnais un peu désuète: à ce stade là il ne vous reste plus que les convulsions. La docte créature m’a rétorqué : « vous ne savez même pas parler français , vous voulez dire sans doute qu’il ne me reste plus que les electro-chocs.  » En fait, ma référence était différente,

Le terme de convulsionnaire a été attribué médicalement à des formes d’hystéries et de maladie mentale mais ce qui m’intéressait était de faire le lien entre les réseaux sociaux une pratique populaire et la foi parfois absurde, la recherche d’une morale intransigeante. parce que ce terme a été appliqué dès 1731 à un mouvement politico-religieux né dans le contexte de l’opposition janséniste à la bulle Unigenitus et à la répression politique et religieuse des prêtres revendiquant la foi janséniste. Ce mouvement est défini par ses acteurs comme l’« Œuvre des convulsions ».C’est à la mort du diacre Paris, dans le quartier parisien de Saint Médard que l’on a vu se multiplier sur la tombe du diacre ces phénomènes d’hystérie collective. Donc je m’interrogeais sur la soif d’absolu de cette femme qui la faisait s’emparer de la cause jugée sacrée de Zelensky (une vraie fripouille à mes yeux) et je vous assure que si vous connaissiez le mouvement janséniste et toutes ses dérives, les débats politiques, l’annonce déjà des ébranlements révolutionnaires ma remarque vous ouvrirait des perspectives. C’est pareil d’ailleurs toujours dans les réseaux sociaux pour les fanatiques antivaccins… Carlos Ginzburg a étudié ces phénomènes dans les transitions de la renaissance, à travers les procès de l’inquisition face aux croyances hérésiarques populaires.

J’étais avec cette remarque partie dans le mode de pensée qui est justement celui de la marche avec arrêt sur un banc pour un dialogue véritable avec un livre… Les discours de cette femme m’inspiraient beaucoup d’intérêt… C’est en général au moment où les gens me passionnent réellement parce qu’ils m’aident à mieux percevoir un mécanisme societal qu’ils se mettent en colère et me reprochent de ne pas les entendre, voir de les mépriser… Quand je méprise, c’est facile de s’en apercevoir, je me mets en colère non seulement contre l’autre mais par cet inconfort, parce que c’est un sentiment qui vous brouille la clarté du plaisir de vivre et qui raye comme la craie sur le tableau noir…

Et cette femme qui me faisait la leçon en m’expliquant que je parlais d’électrochoc m’était apparue comme un oracle des temps nouveaux. Des temps, néanmoins où je risquais de terminer sur le bûcher, parce que le juge qui m’interrogeait ignorerait tout de ce qui avait précédé la Révolution française dans une fronde dans laquelle se rassemblaient les grands féodaux mécontents de l’absolutisme royal, les bourgeois industrieux comme Blaise Pascal et le peuple en proie à la religiosité du salut… Mais mon interlocutrice avait vaguement et étonnement perçu que l’origine du terme était la perception sociale de la maladie mentale, une sorte de point de capiton qui me laissait espérer que tout n’était pas perdu…

C’est alors une sensation étrange que j’éprouve depuis l’enfance mais qui s’est amplifiée dans la vieillesse, il faut que je trouve un langage commun avec mon interlocuteur, parce que bizarrement le malentendu grandit tandis que je me sens emportée dans un monde de références qui n’a plus de contemporains… J’ai volontairement choisi un exemple qui renvoie la transition que nous vivons, les interprétations des réseaux sociaux à un autre temps long celui qui précède la révolution française et qui se présente comme la crise de la monarchie absolue mais dans lequel ce qui envahit ce sont les formes régressives, la révolte des féodalités, des corporations et la religiosité…

Ce qui est nouveau et qui est l’aliment vital dont j’ai plus que jamais besoin, se présente dans cet amas de détritus parce que les mots eux mêmes sont usés et portent l’angoisse de ne plus pouvoir rendre compte de la réalité, le vif, le bel aujourd’hui… Cela je l’ai éprouvé toute ma vie, j’ai même fait des cauchemars dans lesquels j’attendais d’être arrêtée par les nazis, et je déblayais des monceaux de têtes de poupées, victimes des bombardement, ce ce dont m’avait délivrée l’armée rouge… mais ce qui caractérise la vieillesse, ma vieillesse du moins telle qu’elle se présente aujourd’hui, dans un temps où grâce aux héros de la deuxième guerre mondiale nous avons bénéficié des soins de santé et d’une des périodes les plus heureuses de l’histoire de l’humanité, de l’accès au savoir, à la culture, et où nous jouissons d’une forme physique sans équivalent depuis le temps des chasseurs cueilleurs , il y a un appetit de comprendre, de participer qui est la seule richesse véritable. Le tout avec une sorte de sagesse des possibles qui apaise les appetits en bons épicuriens…

« La vieille divague » a déclaré un copain de la femme parce que ça aussi c’est intéressant, cet utime reproche quand il n’y a plus d’autre argument de la part de ces inquisiteurs, me renvoyer en boomerang ce gâtisme précoce devenu idéologie dominante…j’ai le tort d’avoir 87 ans et suis disqualifiée, l’interdiction de la transmission entre générations… rend sénile.

Qu’est-ce que d’autre que de la sénilité que cet esprit bigot, apeuré qui m’interdit ma curiosité ultime pour ce monde en train de naître … Il y avait dans les révolutions du mysticisme, l’audace de celui qui monte à l’assaut du ciel, là c’est la peur de la damnation, de la sentence qui tombe du ciel et nous interdit de sortir du cercle étroit de leur révélation « démocratique » qui vire a son contraire sans que personne ne paraisse s’en apercevoir… personne sauf moi ..

Moi qui ai encore la chance de vivre en contrebande dans des sentiments interdits avec les paroles autorisées… et le politique, le vrai se refugiera-t-il dans des histoires d’almanachs…d’où peut leur venir dans ce monde qui nous cerne d »interdits, l’idée pourtant évidente qu’il n’yaura plus de guerre quand les peuples ne l’accepteront plus dans les termes où on la leur impose, l’enemi « naturel », sentir dans le replis d’une phrase une liberté potentielle sera bientôt une grande science. Il me semble qu’Aragon a dit des choses assez proches, je ne me souviens plus…

Un été, j’ai alimenté ce blog de recettes culinaires et dès que je le peux je multiplie les critiques de cinéma, d’exposition… Tout ce qui est important dans la vie vous tombe dessus sans que personne vous y ait réellement préparé, et on en trouve les fragments dans ces « chants de l’ordinaire »… la vieillesse est un sport de combat, ce qui vous semblait évident hier doit être repensé, il m’arrive de m’arrêter pour observer des gamins courir, éblouie par l’aisance et la force de ces enfants (pour me protéger aussi ce sont des projectils vivants). Parfois, il est des moment où quelqu’un parait avoir pris la peine de vous lire c’est ce qui est arrivé ce matin au courrier des lecteurs avec ce mot de PAM à propos de notre livre « Quans la France s’éveillera à la Chine, la longue marche vers un monde multipolaire.

Voici notre échange :

je viens de finir la partie danielle marianne du livre..
merci ! on attendait bien sûr, mais c’est encore plus que prévu… commencer par ce texte de marx que je découvre montre la force d’une analyse concrète matérialiste qui nettoie le fatras politicien dont le système idéologique nous abreuve. Et la comparaison des incendies de LA et du séisme du Xijang est extraordinaire !
Je prends des notes, et j’ai trouvé un titre de commentaire… »quand les communistes s’éveilleront…  »
encore merci, et avoir la préface de fabien est un atout génial pour réveiller le parti ! PAM

MA REPONSE EN CONCLUSION DE CET ARTICLE

merci Pam,
tu tombes en pleine dépression en ce qui me concerne et j’en parlai avec Marianne dans nos habituelles conférences quotidiennes…


1) oui ce que nous avons écrit avec Marianne dans ce livre n’a jamais été dit, les textes de Marx sont inconnus de tous et comme je dois être un des derniers individus vivants à avoir lu le capital en entier (et avoir bien ri à certains moments parce que Marx est féroce) sans parler de sa correspondance, de ses écrits politiques, journalisme compris, cela a permis ce que tu as découvert… il n’y a pas qu’un texte de Marx, j’en cite d’autres.. de même qui connait Mike Davis et sait ce que cet admirateur d’Engels, camionneur, a écrit sur Los Angeles la cité de Cristal ? sans parler des trois chapitres sur la relation entre l’URSS, la Chine, l’Asie centrale le grand jeu revu par Primakov… et bien tout ça tout le monde s’en fout… je dirai même que ce qui a été emmagasiné de savoir et de connaissances théorico pratiques à errer sur les routes, tout ce que nous avons vécu et affronté Marianne et moi dans les livres mais aussi sur les routes et dans des combats, tout le monde s’en fout royalement..

2) nous avons des gens en France et dans le parti, qui ne lisent plus et qui ne comprennent plus un mot de ce qu’on leur raconte, ils n’ont plus qu’une idée c’est la faute à Staline et il en deviennent fous depuis des années, comme on dit se chient dans leur froc et ne cherchent plus qu’à se faire accepter en évitant de lire …Sans parler de ceux qui se proclament stalinien et que Staline aurait viré, parce que ce sont des braillards, qui n’en foutent pas une rame en matière d’organisation…

3) Entre ceux qui ne lisent plus et les maniaques des réseaux sociaux qui se croient révolutionnaires parce qu’is en ont après les vaccins et les juifs … et les juifs qui se croient obligés de s’identifier à netanayoun et qui vous excommunient si vous déviez d’un pouce c’est l’asphyxie intégrale…
4) et si tu veux le savoir je ne crois pas que la signature de fabien Roussel ouvrira les clés de l’entendement du parti en quoi que ce soit. Dans ma fédération des Bouches du rhône ce serait pluttôt un malus, entre ceux qui sont jaloux, ceux qui veulent liquder Fabien Roussel sans le dire ou en le disant, et les autres qui se signent en me voyant et ceux qui me parlent en cachette, tout fiérots d’avoir eu le courage de me serrer la main en public et qui exigent que je sois reconnaissante… ce serait même plutôt pire…

Heureusement de temps en temps il y a quelqu’un comme toi qui a lu … alors merci pour ce verre d’eau fraiche …
danielle Bleitrach

Views: 40

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.