Ce jour-là le 30 avril le drapeau soviétique flotta sur le Reichstag… Et quelques années plus tard l’armée populaire du Vietnam renversait les grilles du palais présidentiel de Saïgon, un 29 avril… un 17 avril, il y eut la victoire cubaine de la Baie des Cochons… Aujourd’hui encore quoiqu’on vous raconte ils sont du bon côté de l’histoire face à l’effondrement de l’impérialisme qui continue à générer la guerre, la misère partout… Comme le dit Régis de Castelnau cette histoire n’intéresse plus grand monde, peut-être est-ce dû aux vainqueurs eux-mêmes : ils n’ont pas voulu cultiver le ressentiment. C’est vrai pour la Russie qui continue à être le pays où la mémoire des « héros » est le plus célébrée mais on n’a pas dit toutes les trahisons. De même en Chine et au Vietnam, le ressentiment est absent et Régis de Castelnau l’analyse très bien, ce sont des vieilles civilisations pour qui il ne s’agit que d’un épisode et ce qui compte est l’avenir, ce que l’on peut faire maintenant ensemble.
Ce jour-là, le 30 avril, les militaires de l’Armée rouge le Russe Alexei Berest, l’Ukrainien Mikhaïl Egorov et le Géorgien Meliton Kantaria ont hissé le drapeau d’assaut du 150e ordre de Koutouzov II de la division de fusiliers Idritsa sur le toit du bâtiment du Reichstag dans la ville de Berlin.
Ce jour-là le 29 avril, et on aurait pu remonter au 17 avril de la baie des cochons, à la révolution des œillets au Portugal, nous avons vécu tant de jours des merveilles, Régis de Castelnau nous dit la folie de l’oubli et de la soumission à leurs immondes fables… Mais aussi qu’il ne faut jamais les laisser gagner et entretenir des divisions inutiles. Il faut savoir faire comme si cette manipulation n’avait pas eu des complices au sein de ce qui fut la grande maison, et comme si on ignorait qu’ils sont toujours là… Il faut avancer mais ne pas oublier, mais comme les Chinois, les Vietnamiens que tu décris si bien mesurer le temps de l’histoire, celui de la condition humaine… Tu le dis toi-même : regarde l’état dans lequel sont ces gens-là, ceux qui trouvaient que nous le PC nous étions trop faibles parce que nous réclamions la paix pour élargir le front… Est-ce que nous avons envie de leur ressembler, d’être un Glucksmann, et d’autres? Nous n’attendons rien d’autre que l’honneur de participer à un juste combat… et ça nous l’avons eu à profusion et dans le monde actuel si passionnant, si dangereux il nous reste à conserver notre place de libération et de paix.
Danielle Bleitrach

Regis de Castelnau : Et l’armée populaire du Vietnam renversait les grilles du palais présidentiel de Saigon…
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Tous les 30 avril, je revois cette séquence des chars de l’Armée Populaire du Vietnam renversant les grilles du palais présidentiel de Saïgon. Mettant un terme à une guerre de libération de 30 ans où un petit peuple d’Asie avait mis en échec la France d’abord, puis la première puissance du monde, ainsi que le point final à l’ère des empires occidentaux initiée au XIXe siècle. Au prix de sacrifices inouïs et d’un courage sans faille le Vietnam, pays de vieille civilisation venait enfin de reconquérir son indépendance. La guerre du Vietnam a hanté ma jeunesse, et chaque fois que je me repasse l’ouverture du film de Coppola et la chanson de Jim Morrison, que je relis des pages du formidable «Putain de mort » de Michaël Herr, je replonge, ému, dans l’ambiance de folie qui baignait cette époque. Dont Morrison est pour moi probablement l’étrange fantôme principal. Lui dont le père amiral de l’U.S. Navy fut l’organisateur du faux drapeau nommé « incident du golfe du Tonkin », mensonge qui en août 1964, servit de prétexte au président américain Johnson pour officiellement déclarer la guerre au Nord Vietnam et faire basculer les États-Unis dans une intervention massive et destructrice. Il se trouve que ce fantôme, je l’ai côtoyé, puisque j’ai habité de longues années dans l’appartement parisien précédemment occupé par Morrison lui-même et où il fut retrouvé mort le 3 juillet 1971 au matin.
Vietnam : « petit à petit nous somme devenu fous »
Écoutons ce que disait Coppola en présentant son film : si « Apocalypse Now n’est pas un film sur le Viêt Nam, c’est le Viêt Nam. Et la façon dont nous avons réalisé Apocalypse Now ressemble à ce qu’étaient les Américains au Viêt Nam. Nous étions dans la jungle, nous étions trop nombreux, nous avions trop d’argent, trop de matériel et petit à petit, nous sommes devenus fous »
Tous les jours pendant ces années-là, les journaux télévisés commençaient par un point sur cette guerre filmée, photographiée comme jamais ne l’avait été un conflit. Et nous recevions ces images en temps réel, le paroxysme étant atteint au moment de l’offensive du Têt en février 1968. Dans cette année terrible qui vit l’assassinat de Martin Luther King, celui de Robert Kennedy, les révoltes étudiantes en Occident, le mai français, l’intervention soviétique à Prague, le premier tour de la lune d’Apollo 8, le spectacle de ces divisions blindées nord-vietnamiennes sortant soudain de la jungle à 10 km des grandes villes fut le plus grand choc.
Et il y eut la fin, l’effondrement et le spectacle de la panique et de la débandade qui saisit Saïgon, le ballet des hélicoptères, le pont des porte-avions d’où on les jetait à la mer pour faire de la place. Le symbole de cette terrible défaite fut l’image de l’ambassadeur américain montant dans un de ces hélicoptères son drapeau plié à la main. Je garde aussi de ce moment un souvenir personnel, celui de mon père rentré d’Indochine après la défaite française et plein de respect pour les nord-vietnamiens qu’il comparait aux prussiens et pour Giap leur chef militaire. Et anticommunisme ou pas, l’humiliation américaine, relativisant la défaite française, ne lui provoquait pas un chagrin fou. Lors de leur offensive du début 1975, les dirigeants nord-vietnamiens prévoyaient une victoire pour l’année suivante. Il suivait les opérations sur des cartes et lorsqu’il apprit la prise de Buôn Ma Thuột par l‘APV en mars, il me dit simplement : « c’est fini ».
Bizarrement, ce traumatisme est aujourd’hui enfoui, les pages sont tournées, et cette histoire n’intéresse plus grand monde. Je l’ai ressenti en 2015 au moment du 40e anniversaire. J’étais alors en Chine, et j’ai pu constater que, même là-bas, ce que nous avions vécu comme un événement majeur avait disparu des mémoires. Les États-Unis aussi, ont tourné la page et dès le début des années 80 avec Ronald Reagan retrouvé leur confiance. Et ce n’était pas l’effondrement de l’URSS quelques années plus tard qui allait l’entamer. Des vétérans qui avaient défilé contre la guerre du Vietnam et jeté leurs médailles ont pu, comme John Kerry, devenir vice-président ou secrétaire d’État. Le Vietnam, appliquant la stratégie de Deng Xiaoping, a pris son virage économique et entretient les meilleures relations avec les États-Unis, probablement aussi à cause de leur méfiance commune vis-à-vis de la Chine. On ne rencontre pas le ressentiment aigre qui hante souvent les relations de la France avec ses anciennes colonies. De la même façon, le Vietnam qui a pourtant payé le prix fort pour sa libération et subi une colonisation particulièrement dure, n’éprouve pas le besoin de se poser en permanence en victime, et il ne viendrait pas à l’idée de ses ressortissants en France, pourtant assez nombreux, de se prétendre victime d’un racisme colonial. Une des raisons de cette résilience, trouve probablement son origine dans le fait que le Vietnam est un pays de vieille civilisation et qu’il perçoit la tragédie dont il vient de sortir comme une péripétie d’une longue Histoire.
Le reniement des donneurs de leçons
Ce qui me revient au moment de ce 50e anniversaire me renvoie, et cela ne va pas surprendre, à tous ces révolutionnaires purs et durs, trotskistes, maoïstes, anarchistes qui passaient leur temps à donner des leçons à la classe ouvrière et à cracher sur le PCF. Eh bien, tous ceux-là, à l’exception de l’unique Alain Krivine se sont renié et ont changé de camp. Pour peupler les conseils d’administration, les cabinets ministériels, et les comités de rédaction des chiens de garde.
La première manifestation de cette trahison, le Vietnam en fut victime. Comme me l’avait dit un vieil ami, haut magistrat vietnamien qui avait tout vécu : « nous n’imaginions pas qu’il serait à ce point plus difficile de construire la paix que de faire la guerre ».
Voilà un pays qui avait eu à déplorer près de 2 millions de morts, reçu sur son territoire, plus de bombes que tous les théâtres de la deuxième guerre mondiale réunis, vu ses campagnes ravagées par le napalm et l’agent orange, fut déchiré par ce qui fut aussi une guerre civile, devant se reconstruire dans un environnement hostile et soumis à un embargo sévère. Cela ne dissuada pas nos révolutionnaires de salon reconvertis, de lui tirer dans le dos. On assista au moment de la tragédie des boat-people fuyant leur pays dévasté à un déferlement de propagande haineuse qui culmina avec la sinistre pantalonnade organisée par Glucksmann père. Celui-ci spécialiste des mauvaises causes, et jamais en retard d’une abjection, conduisant les deux vieillards cacochymes, Sartre et Aron qui se réconcilièrent dans le bureau élyséen de Giscard sur le dos du peuple vietnamien.
Reconvertis dans le service des puissants, tous ces petits-bourgeois s’étaient mis avec aisance au service de l’empire américain. Ils avaient auparavant pris la pose en applaudissant la révolution culturelle, puis été d’une discrétion de violettes sur l’abomination « Khmers rouges ». Après la défaite américaine au Vietnam, on les vit relayer les campagnes contre le pays martyr, ne mégotant pas leur appui, en particulier au soutien occidental aux Khmers rouges pourtant chassés grâce à l’intervention vietnamienne qui avait mis fin au génocide.
50 ans après sa victoire sur la première puissance du monde, malgré le terrible prix payé, grâce à sa dignité et sa souveraineté retrouvées, force est de constater que le Vietnam s’est relevé.
Et que son peuple a donné au monde une sacrée leçon.
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