Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le « parti-pris du travail », un fil menant vers la société socialiste par Franck Marsal

J’ai lu avec plaisir et grand intérêt le le « Parti-pris du travail », dernier livre de Fabien Roussel. Le livre est bâti sur les échanges profonds que le secrétaire national du PCF a entretenus avec des travailleurs de tous milieux et de toutes professions. Il est rédigé avec son franc-parler habituel. Partant des réalités concrètes, des contradictions criantes du capitalisme, du vécu des travailleurs, et posant la question centrale du travail, Fabien Roussel tire un fil fructueux. Il relie les problématiques de notre société française et porte loin la réflexion, vers le travail pour tous entraînant la fin du chômage et du RSA, vers un travail émancipateur et non plus aliénant, car cessant d’être inscrit dans un rapport « alimentaire » pour retrouver sa pleine dimension de créativité. En saisissant ce fil et un certain nombre de ses ramifications, il dégage une perspective nouvelle, une société radicalement transformée, de la réalité concrète de la crise capitaliste, vers une société répondant aux aspirations populaires profondes, du présent, vers un futur non pas à imaginer, mais à construire dès aujourd’hui, collectivement. Il suit ainsi le conseil de Lenine : saisir le maillon qui permet de faire bouger l’ensemble de la chaîne.

Ce fil du travail renoue avec la conception historique portée par les communistes (comme Ambroise Croizat) lors de la modernisation de la France en 1945 – 1946. La création de la sécurité sociale est basée sur le travail. Le travail ouvre les droits : la participation à la production collective est la clé de l’acquisition de la protection sociale. La cotisation sociale prélevée sur le produit du travail, et ouvrant, à partir du travail, les droits à la retraite, à la santé en est le symbole. Sur France Inter, il y a quelques jours, un auditeur, se disant partisan de Bernard Friot (qui promeut un « salaire à vie » déconnecté du travail et de l’emploi) lui en a fait reproche, la « vraie liberté » serait le salaire sans le travail. Mais qu’achète le salaire sans la production apportée par le travail collectif organisé ? L’auditeur soutenait que le projet, porté par Fabien Roussei, maintenait le « marché du travail », institution capitaliste. Or, c’est précisément le point de rupture : en proposant de faire du travail non seulement un droit (ce que prévoit déjà la constitution française) mais une réalité effective, Fabien Roussel attaque la notion même de marché : toute personne en âge de travailler a soit un emploi, soit une formation. Ce serait un fait et plus seulement un droit « théorique ». Dans le marché capitaliste, nous dit Marx, le prolétaire n’a rien pour vivre, sauf la vente de sa force de travail. Cette vente (forcée) s’effectue sur un marché tenu par et pour la classe capitaliste. N’ayant rien d’autre pour vivre, le prolétaire est contraint de se vendre aux conditions fixées, celles de la rentabilité du capital. C’est de cette contrainte dont Fabien Roussei suggère de sortir et cela supprime l’organisation de l’accès au travail comme marché capitaliste : « Pour le capitalisme, les chômeurs, les précaires, les travailleurs sans-papiers représentent une armée de réserve, utilisée pour peser sur le coût et les conditions de travail. Dans notre projet de société, cette armée sera supprimée en garantissant à chacun un emploi ou une formation, sans perte de revenu ». Le travail, cessant d’être soumis et alimentaire, devient créateur et émancipateur. En mettant cette question au centre de sa perspective politique, Fabien Roussel rejoint Marx, pour qui le travail, dans la perspective de la société communiste, doit progressivement cesser d’être une obligation et devenir le premier besoin vital.

Cette proposition, appelée « sécurité emploi formation » fiigure déjà au programme du PCF. Fabien Roussel rappelle sa formulation initiale par Paul Boccara et son évolution, notamment lors du dernier congrès. Ce qui est proposé, c’est « une véritable sécurité sociale professionnelle, financée par les cotisations des salariés et des entreprises, comme c’est le cas pour la santé ou les retraites ». Fabien Roussel en fait un levier de questionnement général des rapports sociaux.

Il remet par cela en cause la politique des 40 dernières années, celle de la désindustrialisation et du chômage de masse, de la financiarisation, de la déréglementation de la mondialisation, de l’évasion fiscale, de la subordination de la politique à la toute-puissance de ce capital libéré de toute règle (ou presque). La réalisation de ce nouveau rapport au travail implique de sortir de cette destruction néo-libérale. Là aussi, le « Parti-pris du travail » nous ramène à la modernisation de 1945-1946 : les communistes menèrent alors une intense campagne liant l’avenir et l’indépendance de la nation à celle du développement des forces productives: la « bataille de la production ». Les mineurs mènent la bataille du charbon, Marcel Paul crée EdF et Frédéric Joliot-Curie le Commissariat à l’Energie Atomique. Le PCF opposait l’indépendance de la nation à toute subordination économique. La France devait se développer sur ses propres bases, en coopération ouverte avec le monde et non cadenassée dans le système euro-atlantique dont les USA entamaient la construction pour défendre le capitalisme face au socialisme soviétique. La bourgeoisie française renaissant de la honte de la collaboration était alors passée de la soumission à l’Allemagne à celle aux USA. Les accords Blum-Byrnes, le plan Marshall ont ouvert le marché aux produits US. La RFA a été crée comme « rempart face au communisme » et sa reconstruction industrielle placée (déjà) en priorité. La CECA, la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (ancêtre de l’UE) assurait l’alimentation de ce potentiel industriel allemand en matières premières (notamment en minerai de fer, le fer lorrain étant en partie envoyé en Allemagne). La création de l’OTAN acheva l’édifice. Les communistes, écartés du pouvoir et les travailleurs réprimés dans le sang en 1947 – 1948 ne cesseront de s’opposer à cette politique qui reprendra de plus belle après l’éviction de De Gaulle en 1969 et la Mitterrandisation de la « gauche ». On sait où cela nous a mené.

Fabien Roussel reprend cette ligne. Il faut produire en France, il faut investir massivement et développer les forces productives, comme base incontournable de l’amélioration des conditions de vie, de la modernisation nationale et de l’émancipation sociale. Fabien Roussel rejoint ici un autre fil, déjà posé par le PCF ces dernières années, le Plan Climat. Les militants, les ingénieurs et techniciens ont accompli un remarquable travail sur la transition écologique et la décarbonation de l’économie française. Ils en ont tiré un plan qui démontre que celle ci est possible, non dans une perspective régressive, mais dans le développement d’énergies et de modes de vies nouveaux, par un puissant élan de modernisation et de transformation sociale. La mise en place d’une planification économique d’ensemble, la nationalisation des filières stratégiques, un immense plan éducatif et de formation, le changement radical des rapports au sein de la production pour redonner l’initiative à la créativité des collectifs de travail permettraient d’accroître massivement la production électrique, de décarboner l’industrie et le logement et d’améliorer considérablement la qualité de vie. Fabien Roussel tisse ce fil avec celui du travail comme socle social collectif. Nouveau rapports de travail, fin du chômage, nouvelle politique énergétique, réindustrialisation, planification et nationalisation des actifs stratégiques, c’est bien plus qu’un programme ponctuel, ça devient un projet de nouvelle société.

Pour y parvenir, il faut s’appuyer sur les forces sociales, la classe ouvrière, le peuple de France. Fabien Roussel l’exprime avec clarté : pour changer les choses, il faut une prise de conscience de classe : « Prendre conscience que nous appartenons à une même classe et que nous avons des intérêts communs à défendre est déterminant pour pouvoir reprendre en main notre destin. Cette conscience de classe ne se décrète pas. Elle se construit. C’est le rôle des syndicats, quand ils unissent les salariés à partir de ce qui leur est commun, autour de leurs revendications. C’est le rôle du Parti communiste français. » Le parti communiste a tout son rôle à jouer, en se saisissant de ces fils qui, la popularité de Fabien Roussel le confirme, rencontrent des échos significatifs dans la population. Saisissons-nous collectivement de cet ouvrage pour porter ce débat du travail (en l’adaptant à chaque contexte) le plus largement possible dans la société, dans les villes, villages et quartiers, dans les collectifs de travail, dans les organisations des travailleurs et les associations populaires. Le livre est riche de réflexions et de propositions. Il faut le lire, le partager, le faire lire et encourager à l’acheter largement.

Cette construction peut s’enraciner autour du livre. Il ouvre de nombreuses perspectives que ce seul article est loin de résumer. De nombreuses questions peuvent être collectivement travaillées pour ouvrir et animer le débat, lutter et préparer l’avenir. Donnons quelques pistes, non exhaustives :

Le travail, les collectifs de travail et l’unité des professions, des cultures et des métiers ;

Les attaques contre le monde du travail et contre l’unité des travailleurs n’ont pas été que juridiques ou économiques. Le sens du travail, le sentiment de solidarité et la confiance entre les travailleurs, entre les professions ont été violemment attaqués. L’instinct et la conscience d’utilité du travail est, dans la société capitaliste, constamment rejetée par l’autorité de direction du capital pour être remplacée par la recherche du profit maximal, y compris, jusqu’à la destruction d’usines ou d’installations jugées superflues ou insuffisamment rentables mais aussi, au quotidien dans des décisions constantes sur chaque détail de la production et du service. C’est également détaillé dans le livre . Le sens profond du travail, c’est la satisfaction des besoins par la production de biens et services utiles et de qualité. La contradiction avec la recherche de profit est permanente. Les véritables services publics ne sont pas autres choses que des secteurs dans lesquels, le sens de l’utité générale a été mis au dessus de la recherche de profit. C’est pourquoi les (véritables) services publics doivent légitimement être placés hors de la propriété capitaliste. La reconquête collective du véritable sens, de la véritable utilité du travail est à mener dans tous les secteurs et à partager. Elle est la base de la réaffirmation de la conscience de classe et le point d’appui nécessaire pour toutes les transformations à venir.

Il faudra imposer dans les colllectifs de travail ce vrai sens du travail. Il faudra aussi imposer et organiser l’embauche des jeunes ou adultes après leur formation. Cela ne peut se faire « d’en haut », ou par des seules lois (pensons aux difficultés d’application des lois existantes imposant par exemple 5 % de travailleurs en situation de handicap dans les entreprises). Seul le collectif de travail pourra redonner du sens au travail collectif, réorganiser la production sur des bases plus rationnelles, créer les conditions d’intégrer des jeunes ou des adultes en formation, des salariés en situation de handicap ou des personnes en précarité sociale. Débattre de ces questions, c’est déjà trouver des leviers pour combattre les mesures anti-sociales, tout en créant déjà les conditions pour la profonde transformation nécessaire.

Planifier et contrôler la réindustrialisation :

De la même manière, les réinvestissements majeurs dans l’industrie, les infrastructures, les capacités de production ne peuvent être totalement laissé ni au marché, ni à l’état capitaliste actuel, ni à des banques, fussent-elles contrôlées par ce même état, c’est à dire par le ministère des finances, dans ces rapports là, on voit tous les jours qui contrôle, et dans l’intérêt de qui …

Le développement industriel est un écosystème. Une industrie ne va jamais isolée des autres. L’industrie de base (acier, métallurgie, chimie …) a besoin des débouchés que lui offre l’industrie finale, et réciproquement. Les deux doivent être reliées par des moyens logistiques performants, au sein desquels le fret ferroviaire joue un rôle essentiel. L’ensemble doit être soutenu par une production énergétique adaptée. Tout cela est pensé et mis en mouvement par l’énergie et la clairvoyance de millions de travailleurs professionnels, compétents, conscients et engagés dans leur travail. Eux-même ont besoin de se loger avec leur famille, de nourriture, d’éducation, de santé etc. Si un maillon est affaibli, l’ensemble de la chaîne est bloquée. Fabien Roussel, présent sur tous les terrains de lutte en donne de multiples exemples. A l’inverse, s’il s’agit de développer, de réindustrialiser, il faut penser ensemble chacun des développement nécessaires et les coordonner dans leur développement en nouant les relations internationales nécessaies.

Aujourd’hui, les décisions stratégiques de l’état sont limitées et engluées par les intérêts particuliers des principaux secteurs de la classe bourgeoise et les abandons sucessifs de souveraineté. Les décisions des banques et des groupe industriels sont centrées sur le profit de court terme. Il faut ici revenir aux enseignements de la Commune de Paris, qui n’avait pas osé saisir la Banque de France. Pour changer le cours des choses, il faudra que la classe du travail ait la main sur les centres de décisions, pas seulement au parlement mais aussi sur le terrain, dans les entreprises et dans les banques, dans les organes de planification, au niveau central et dans les branches stratégiques. C’est cela « se réapproprier l »outil de travail » et cela passe aussi par des changements dans les rapports de propriété. De celà aussi, il va falloir ouvrir le débat dans chaque entreprise.

L’état et le pouvoir de classe

Tout cela pose une question clé qu’on ne peut éluder, celle du pouvoir d’état, du pouvoir politique comme pouvoir de classe. « La nationalisation se pratique dans un état capitaliste, la socialisation nécessite un état socialiste », disait Benoît Frachon. Le peuple est la seule source de créativité, disait Mao. Il est la seule force capable de résoudre les contradictions. Les expériences socialistes du 20ème siècle ont abouti à l’idée généralement admise aujoud’hui que l’état, fut-il populaire et démocratique et la planification ne peuvent pas régler toutes les questions économiques. Que laisser une place, même importante à des formes d’économies de marchés est nécessaire et favorable au développement. A l’inverse, l’expérience des dernières décennies montre que la puissance du capital ( et ses appuis étrangers) lui permet de subvertir dangereusement l’état capitaliste, la presse et les médias ainsi que les différents rouages et institutions parlementaires, juridiques, culturelles … Le capital est hautement corrosif et corruptif. Pour remettre la France sur la voie du développement et des « jours heureux », il faudra envisager d’expulser la classe bourgeoise de son rôle dirigeant (qu’elle n’a en réalité jamais lâché depuis plus de 200 ans) et substituer une véritable démocratie socialiste, dans laquelle la classe du travail assume la direction de la société.

C’est reprendre l’ouvrage historique de la Commune de Paris. Les changements mondiaux qui s’accélèrent rendent, chaque jour davantage, cette perspective à la fois possible et nécessaire.

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