La sentence est tombée : le tribunal de commerce a validé la cession du chimiste Vencorex au groupe Wanhua. le repreneur gardera une cinquantaine d’emplois sur les 464. La proposition des salariés d’une coopérative d’intérêt collectif a été écartée « faute d’un plan de financement abouti ». L’affaire intervient alors que Macron feint de prendre la tête de « l’autonomie » européenne et Bayrou met en garde l’Europe à l’idée des investissements chinois. Dans un tel contexte, nul doute que va être incriminé le fait que le repreneur est chinois, pourtant le fait est qu’à l’inverse des USA et même de l’UE, nulle part la Chine n’invente le droit et n’impose sa propre conception, ses hommes d’affaire et elle-même se contentent d’appliquer ceux du pays dans lequel se traitent les affaires. Et il est absurde d’exiger des sociétés chinoises qu’elles fassent en s’installant le travail politique que leur propre socialisme impose en Chine, la Chine n’exporte pas son socialisme, en revanche avec les institutions multipolaires, la transformation de celles existantes il peut y avoir là une opportunité d’autres négociations souveraines.
Dans le cas de Vencorex, l’usine de cette commune de l’Isère était en redressement judiciaire depuis le 10 septembre, à la demande de son unique actionnaire, le groupe thaïlandais de pétrochimie PTT GC. Cette société souffrait de la concurrence chinoise et elle mettait en avant un marché devenu « hyper concurrentiel » depuis 2022. Les quelque 300 employés restants (ils étaient 450 en septembre 2024) craignaient pour leur avenir, et cette crainte était totalement justifiée d’autant plus que Wanhua entend conserver seulement entre 50 et 60 salariés. C’est ce scenario que vient d’approuver le tribunal de commerce alors qu’il y en avait un autre qu’a refusé d’aider le gouvernement. Il existait un plan des salariés.
Si l’on suit le dossier et si l’on mesure à quel point le plan des salariés avait bénéficié d’une « dynamique locale » et même du double discours de l’actuel ministre du commerce et de l’industrie Marc Ferraci, on a là une démonstration de la nécessité de sortir de la logique actuelle de l’UE. Nous voudrions face au repreneur chinois envisager une tout autre logique, celle du « gagnant-gagnant » dans lequel la France conserverait la maitrise de ses choix fondamentaux. Ce qui est bien réel également, et l’on peut pousser la démonstration plus loin encore, est le fait que sous la guerre tarifaire imbécile, ce qui est en cause, comme le dit Fabien Roussel, c’est la poursuite et l’amplification d’une guerre livrée aux travailleurs, à leur emploi et à leur niveau de vie, c’est la loi de la Bourse et des marchés.
C’est le gouvernement français qui a sacrifié les Travailleurs et l’Intérêt national
On connait un peu le dossier, grâce à Fabien Roussel et pour une fois à l’ensemble de la gauche, qui a soutenu la mobilisation d’un département (l’Isère), d’une municipalité (celle de Pont-de-Clais) et de la métropole grenobloise, autour d’une entreprise, qui outre des composants pour les peintures et vernis, avait une activité cruciale pour deux filières stratégiques : le nucléaire civil et la défense. Mais c’est peu dire que de voir le peu de publicité dont il a bénéficié par rapport à d’autres dans les médias et dans les affrontements politiciens.
Fabien Roussel n’a cessé d’aller sur les plateaux de télévision pour expliquer à quel point la chimie dans toute la région reposait sur un équilibre dont dépendait un millier d’emplois des plateformes dans lequel les sites de production étaient alternativement producteurs et fournisseurs. Il y avait là tout un monde de compétences, de qualification qui s’était mobilisé avec le syndicat CGT et les élus locaux en général de gauche pour défendre l’emploi industriel de toute une région. Le secrétaire du parti communiste avait proposé que l’Etat assume une nationalisation fut-elle temporaire mais qui permettrait de définir un choix définitif dans lequel serait imposé aux repreneurs un cahier des charges tenant compte de l’intérêt de la région et celui de la nation. C’est exactement ce que l’on peut attendre d’une véritable planification et c’est ce que le « socialisme de marché » chinois défend pour son propre compte en Chine alors qu’ici il serait une victime d’un marché devenu « hyperconcurrentiel », et auquel le gouvernement Bayrou a choisi de se soumettre sans songer même à défendre un bassin d’emploi et des filières stratégiques tout en feignant de défendre la ré-industrialisation de la France y compris par le surarmement. Ce que l’on pourrait négocier avec tout repreneur et qui n’a pas été fait. Le peu qui peut être sauvé aujourd’hui est seulement le fruit des luttes des travailleurs.
En ce qui concerne par exemple la défense, le nucléaire, la mobilisation s’était étendue au delà de Vencorex. L’usine chimique Vencorex de Pont-de-Clais utilise comme matière première du sel purifié avant d’être revendu à l’usine Arkema de Jarrie, à quelques kilomètres, un industriel français qui fabrique du chlore par électrolyse, lequel est notamment revendu à Framatome toujours à Jarrie. Ce dernier fabrique ainsi du zirconium, un métal présent au cœur des centrales nucléaires. Arkéma produit aussi à Jarrie du perchlorate d’ammonium, le carburant de la fusée Ariane ainsi que des missiles M 51 de dissuasion nucléaire française.
Il faut savoir qu’à cause de la « l’arrêt brutal de livraison de sel de la part de Vencorex depuis octobre 2024, Arkema a annoncé fin janvier un plan de recentrage de ses activités sur place entraînant la suppression de 154 emplois sur les 344 de Jarrie. Les travailleurs se sont mis en grève et la production est repartie permettant un approvisionnement partiel en Chlore du site de Framatome de Jarrie. Grace à ces luttes des travailleurs, Arkema ouvrirait de nouveaux postes localement reprenant ainsi 50 employés et proposant des emplois sur d’autres sites en France. Mais en ce qui concerne le sel l’entreprise assure avoir trouvé une solution pérenne avec une societe polonaise qui lui vendra de la matière première allemande.
Nous avons là un exemple parlant de la manière dont tandis que Macron joue à offrir le parapluie nucléaire français à l’encan et à une Europe fédérale, son gouvernement brade l’industrie française et Bayrou met en garde l’Europe et la France contre la Chine, tandis que les travailleurs eux se battent pour tenter de sauver ce qu’un gouvernement soumis aux marchés financiers abandonne.
Parce qu’effectivement c’est une societe chinoise, concurrente directe de Vencorex (qui était déjà au mains des Thaïlandais), accusée d’avoir précipitée sa chute qui reprend via sa filiale hongroise Borsodchem une partie des actifs concernant seulement les peintures et vernis, c’est-à-dire une cinquantaine d’emplois sur les 464 que comptait Vencorex (seuls 30 emplois sont garantis et 24 ont la liberté du choix). Mais ce qu’il faut mesurer c’est que les emplois sacrifiés sont justement ceux qui alimentent la chaine industrielle décrite ci-dessus et qui concerne le nucléaire civil et la défense.
Il y a là une logique de désindustrialisation qui n’est pas isolée et qui partout à tiré de nombreuses professions vers la commercialisation.
il y avait on le sait un projet porté par les salariés CGT qui bénéficiait de compétences et de soutien de la gauche pour une fois unie. Nous avons vu une des interdépendances avec le site de Jarrie, mais en fait les plateformes chimiques de la région concernent des milliers d’emplois où chacun est parfois client, parfois fournisseur. La demande de nationalisation temporaire a été écartée par le gouvernement Barnier, Bayrou et le ministre de l’industrie et du commerce Marc Ferraci. Ce dernier s’était néanmoins décidé sous la pression a participer à la sauvegarde si le tribunal soutenait l’offre des salariés. Devant le jugement, le cabinet du ministre a déclaré « ne pas être forcément satisfait de ce jugement mais des solutions seraient trouvées pour circonscrire l’impact de la crise« . Il s’agirait comme nous venons de le voir de ce que la lutte des travailleurs d’Arkema a permis de « sauver » et de la solution « pérenne » trouvée avec la Pologne livrant de la matière première allemande.
Ce qui est sûr c’est que jamais la Chine n’aurait laissé en Chine même s’opérer un tel bradage d’une entreprise indispensable à deux filières stratégiques, le nucléaire civil et la défense. La Chine a pour règle de laisser ses entrepreneurs utiliser les lois de chaque pays et même à Hong Kong comme on l’a vu avec l’affaire des ports au Panama, elle laisse les lois spécifiques de Hong Kong jouer mais en revanche, elle fait pression à partir de son propre marché intérieur et des règles qu’elle a instituées en particulier sur les filières stratégiques dans lesquelles les investissements étrangers peuvent être interdits ou acceptés mais minoritaires.
Le problème n’est donc pas la Chine, mais bien le gouvernement français et cela ne concerne pas seulement sa relation avec les investisseurs chinois mais bien sa vision de la place de l’industrie française en Europe.
Quand dans notre livre, nous nous prononçons pour l’intégration de la France dans les BRICS c’est en mesurant bien qu’il y a justement dans ce marché alternatif qui se constitue sur un mode multipolaire une autre logique que celle qui a fait depuis des années de la France le pays le plus désindustrialisé d’Europe parce qu’il a été soumis depuis des décennies à la logique des marchés financiers qui est celle de l’UE. Cette logique de la réindustrialisation française doit partir du maintien de ce qui existe déjà et elle ne peut pas être menée au niveau de l’UE, alors que comme nous le commentons par ailleurs la France est désormais le pays le plus désindustrialisé de l’UE, cette situation est le produit de gouvernements successifs qui ont accepté une telle désindustrialisation, avec des délocalisations et des filières qui étaient menées dans le cadre de l’UE et pas par rapport à la Chine en priorité. La singulière faiblesse de l’industrie en France a une conséquence : les enjeux de l’industrie européenne ne lui correspondent pas nécessairement. Certes, nous partageons ceux de la compétitivité, de l’autonomie, de la digitalisation ou encore de la décarbonisation, mais pas celui de la reconstitution d’une base productive. Aussi cessons de nous retrancher derrière l’Europe. Si la France souhaite peser au sein du peloton industriel un jour prochain, elle doit assumer une ambition nationale rehaussée et des plans nationaux. Nous n’avons pas d’autre choix. Naturellement, les plans européens (automobile, chimie, sidérurgie, etc.) sont les bienvenus, mais ils ne sont pas conçus pour la singularité de notre situation.
Ce n’est pas la voie qui a été choisie pour Vencorex et paradoxalement elle sera plus facile à envisager dans la logique des BRICS que dans celle de l’UE à l’œuvre pour Vencorex comme d’autres destructions industrielles actuelles.
Danielle Bleitrach
PS. Au titre des catastrophes de la logique qui s’est imposée à la France depuis des décennies il y a pour la municipalité du Pont de Clais (Isère) avec le site de Vencorex et même la communauté de la Métropole de Grenoble confrontée à plus d’une centaine d’hectares parmi les plus pollués de France. Et ce n’est pas le seul cas, le ministre interrogé a eu l’audace de répondre « privilégier un travail de revitalisation de la plateforme » en expliquant que la mobilisation des salariés autour du projet de coopérative avait enclenché une dynamique augurant de nouvelles activités au Pont de Clais » (cité par les Échos). Partout nous avons cette incroyable démission d’un gouvernement et ce qui est encore vivant et sauvé l’est par l’initiative des travailleurs en lutte.
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