Si la France veut à nouveau peser, elle doit assumer une ambition nationale rehaussée par des plans hexagonaux. Cet article paru dans les Échos du 11 et 12 avril 2025 n’est pas une opinion isolée et il a le mérite de placer l’ambition de l’industrialisation française en perspective des politiques qui depuis une trentaine d’années et plus ont effectivement désindustrialisé la France plus qu’aucun pays européen. Ceux qui aujourd’hui sont les premiers à tenter de nous intégrer dans une Europe fédérale ont été également ceux qui ont dépouillé notre pays et ses territoires. Par ailleurs, nous faisons état du cas Vencorex, il est trop facile de dénoncer les investisseurs étrangers et la manière dont ils contribueraient à cette désertification, ce sont les gouvernements, les intérêts qu’ils n’ont cessé de servir qui sont les premiers responsables de cette situation. Il faut une volonté politique capable y compris d’imposer un intérêt national et même de l’assumer. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
L’enthousiasme partagé pour la réindustrialisation de notre pays ne doit jamais amener à sous-estimer la singularité de la position française en Europe. Grande dans l’imaginaire collectif français avec les centrales nucléaires, le TGV, les Airbus et Ariane,etc. , notre industrie manufacturière ne pèse que 9,5% de notre création de richesse, très loin derrière la moyenne européenne de 15%, sans mentionner les 12% de la Belgique ou de l’Espagne, les 16% de l’Italie, les 18% de la Suisse, et les 19% de l’Allemagne.
C’est pourquoi l’Europe est restée exportatrice nette de biens manufacturés, tandis que la France souffre d’une balance commerciale abyssale. Aussi est-il inexact d’affirmer qu’il faut « réindustrialiser l’Europe ». L’Europe est restée une puissance industrielle à laquelle il faut veiller, alors que la France, elle, s’est profondément désindustrialisée.
Queue de Peloton européen
Ce constat est acté depuis les États généraux de l’industrie en 2009, mais notre contre-offensive tarde à se concrétiser. Car, depuis quinze ans, la part de la richesse manufacturière dans la création de richesse en France n’augmente pas, elle décline même légèrement.
La France se situe ainsi toujours en queue du peloton au même niveau que la Grèce, et ne devançant en Europe que Malte, Chypre et le Luxembourg. Mais peut-on vraiment les comparer à la France? Cette double singularité nous oblige, notamment face à cette question fondamentale : de la France ou de l’Europe, quelle est l’échelle pertinente en matière de politique industrielle ?
Par sa dimension, le marché européen (18% du PIB mondial) constitue un véritable levier dans les négociations internationales avec lesquelles l’hexagone ne peut rivaliser en représentant seulement 3% du PIB mondial. Technologiquement, le raisonnement est le même.
Du fait de sa taille, la France sera en difficulté pour maitriser l’ensemble des technologies clés. Dans un monde où « les économies continents » se livrent des combats de titans, l’échelle pertinente est donc l’Europe. En partie seulement.
Car la singulière faiblesse de l’industrie en France a une autre conséquence : les enjeux de l’industrie européenne ne lui correspondent pas nécessairement. Certes, nous partageons ceux de la compétitivité, de l’autonomie, de la digitalisation ou encore de la décarbonisation, mais non pas celui de la reconstitution d’une base productive.
Aussi cessons de nous retrancher derrière l’Europe. Si la France souhaite peser au sein du peloton industriel un jour prochain, elle doit assumer une ambition nationale rehaussée et des plans nationaux. Nous n’avons pas d’autre choix. Naturellement, les plans européens (automobile, chimie, sidérurgie, etc.) sont les bienvenus, mais ils ne sont pas conçus pour la singularité de notre situation.
Promouvoir le made in France
Pour réussir notre politique de réindustrialisation et faire écho au « désir d’industrie » des Français, nous devons accélérer la mise en œuvre d’initiatives nationales à court terme, indépendantes des politiques européennes: image de l’industrie, promotion du « made in France », ancrage territorial, formation, foncier, financement, compétitivité, dérogations administratives, auxquelles s’ajoute une liste des productions prioritaires car essentielles. les pays de l’Union européenne, grands ou moyens, et même certains « petits », disposent d’une industrie manufacturière à 12% ou plus de leur création de richesse.
Alors la France doit commencer par se positionner sur cette trajectoire, en « balayant devant sa porte », en s’appuyant sur une véritable politique industrielle franco-française, avant de promouvoir les plans européens ou, pire, de donner des leçons aux autres. Nous démontrerions alors la réalité de notre ambition adaptée à notre spécificité nationale.
*Olivier Llunasi est professeur au conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et auteur de « réindustrialiser, le défi d’une génération ».
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