On parle beaucoup des BRICS et de l’alternative qu’ils représentent, c’est vrai mais il faut mesurer que les BRICS ne sont pas les seules voies par lesquelles la Chine est en train de modeler le marché mondial, la BRI, la route des échanges, les ports, l’installation de zones manufacturières, et aussi l’ouverture d’autres possibles pour le Sud, tout cela est arrivé au point désormais de contraindre les Etats-Unis à l’ère Trump de s’intégrer à cette logique pour tenter de la faire exploser de l’intérieur. Parce que la rivalité avec la Chine n’a de sens que par rapport à la crise intérieure de plus en plus explosive du modèle hégémonique impulsé par les USA. Nous voudrions montrer à quel point Trump doit régler une situation catastrophique et prétend se sauver en noyant le reste de la planète, sans savoir où cela le mène d’ailleurs. Au grand dam de ses alliés européens qui jusque là ont joué les parasites et le double jeu, comme il le leur reproche, et qui surtout ont accepté sous Obama de sacrifier leurs intérêts au bellicisme américain. Mais voyons la réalité, convenons d’abord que depuis la grande crise des années 1980 et l’ébranlement de 2008 il y a eu quelques modifications dans les mondes émergents dont la Chine fait partie et même chez le vaincu de la guerre froide, la Russie. Tous ces enjeux sont à concevoir par rapport à ce que nous appellerons l’économie réelle, celle de la production, de l’échange de produits matériels, et l’économie virtuelle celle du flux des capitaux avec le bouleversement du numérique qui oblige à repenser leur relation. Il semble que les atouts du socialisme, une planification d’État axée vers la relation avec l’humain soit un facteur décisif à condition de penser à chaque moment selon le schéma léniniste : que veut l’adversaire, qu’est ce que je veux moi, quels sont ses points forts, ses points faibles et les miens.

Trump est devant une situation proche de la banqueroute avec un monde qui a totalement changé depuis les années 90.
Trump n’est pas totalement irresponsable : les États-Unis ne peuvent continuer à enregistrer des déficits commerciaux de mille milliards de dollars sans conséquences désastreuses. La position extérieure globale nette des États-Unis est tombée à -25 000 milliards de dollars, soit à peu près la somme des déficits américains au cours des 30 dernières années. C’est une situation proche de la banqueroute et c’est la chose dont tous nos idéologues ont le plus de mal à se persuader. Ils voient bien l’échec sur le champ de bataille, les retraites en catastrophe mais ils ne voient pas la relation entre les dépenses militaires et l’économie. Là encore Roussel est un des rares à lier la défense nationale à la capacité industrielle et énergétique, son talon d’Achille c’est la volonté d’ignorer le contexte géopolitique qui est déterminant. En particulier cette double caractéristique des flux financiers et de l’économie réelle, il la perçoit au plan intérieur mais veut l’ignorer en particulier en renvoyant dos à dos la Russie et Trump ce qui est complètement idiot tant en ce qui concerne les personnages, leurs buts que dans ce qu’ils représentent d’opportunités.
Parce que l’économie américaine n’est pas totalement liée à des flux de capitaux financiarisés spéculatifs. Il y a la nécessité d’acheter en dollars en particulier l’énergie. Sur ce plan, très tôt et presque malgré lui, Poutine a représenté un danger en jouant l’émancipation des pays producteurs qui est une des bases des BRICS. D’où l’alternative de séduction et de colère de Trump qui mesure bien que Poutine continue à avoir cette arme-là y compris avec l’Inde et d’autres pays émergents. Il y a le militaire et si Trump arrive avec la militarisation de l’Europe à ce que la guerre en Ukraine lui rapporte un boom industriel il sera prêt à poursuivre la guerre tant qu’il pourra siphonner les « alliés » européens. C’est bien parti avec toute l’Europe qui à la fois n’a pas envie d’un conflit ouvert avec la Russie et est prête à se lancer dans un surarmement qui lui parait une réponse au gouffre creusé par sa rupture avec l’énergie et le marché russe. Mais au-delà du militaire et souvent lié à lui, il y a la suprématie technologique. Au cours de la dernière décennie, les pays étrangers en particulier ceux comme l’Arabie saoudite ou du Golfe ont afflué vers les valeurs technologiques américaines. Musk est l’illustration de ce boom et en même temps il en perçu la fragilité, celle de la Silicon Valley qu’il attribue au « gauchisme » des démocrates. Si le boom technologique s’estompe, parce que la Chine est en train de l’emporter et c’est le cas, les États-Unis devront persuader les étrangers d’acheter des obligations, ce qui implique des taux d’intérêt plus élevés pour attirer des fonds.
Les stratégies du Sud pour survivre à la capacité de couler les pays fragilisés par la méthode Soros
Les économies du Sud après avoir subi de plein fouet le modèle « libéral » ont plus ou moins tenté des stabilisations. Les économies émergentes sont celles qui ont mis en place des formes de résistance comme par exemple l’Amérique latine à travers le bolivarisme de Chavez, un contrôle de leurs ressources réelles par rapport aux flux financiers et aux majors du pétrole. C’est d’ailleurs ce contrôle sur l’OPEP qui rapproche la Russie de Poutine de celle de Chavez. Comme maîtriser l’explosion sociale post soviétique en Asie centrale unit la Chine et la Russie de Poutine. Et le fait pour ce dernier qu’il ne maintient son rôle de puissance internationale qu’en assumant l’héritage soviétique. La plupart des pays émergents ont tiré des leçons de la crise de 2008, c’est la Chine usine du monde qui empêche la catastrophe d’une crise financière généralisée en achetant du dollar et des obligations. A partir de là si la Chine joue un tel rôle de modèle c’est qu’elle est passée maitre dans la manière de jouer avec ce qui est apparu clairement avec cette crise : la distinction entre la mondialisation financière, qui au cours des dernières décennies a créé un espace pour une augmentation des flux de capitaux volatils, les spéculations et de l’autre côté la mondialisation réelle, qui, au cours de la même période, a ouvert la voie à une augmentation des échanges matériels de ressources mais aussi de forces de travail y compris dans leur qualification.

FACE A LA NOUVELLE PRESSION DE L’HÉGÉMONIE POURQUOI LA CHINE EST-ELLE UN MODÈLE ?
Il y a certes les flux des capitaux, le rôle des marchés financiers et pour se prémunir des jeux à la Soros, de la facilité à couler une économie fragilisée par sa dette, il y a ce qui est préconisé par le FMI et qui consiste à ne pas avoir un trop gros fardeau de la dette et beaucoup de réserve en monnaie forte comme le dollar ou à la rigueur l’euro. Ce qui semble être la stratégie choisie par l’Argentine, et dans un degré moindre l’Égypte et la Turquie.
La Chine qui elle aussi accumule les capitaux, n’a pas un gros fardeau de la dette et pourtant a besoin de matières premières va jouer sa capacité manufacturière, l’économie réelle. Tandis que les pays émergents qui ont réussi sur le mode de Chavez à créer une solidarité « bolivarienne » et des pays producteurs développe sa population, les services publics. La politique de sanction, blocus, est destinée à empêcher ce mode de croissance et il est plus que jamais à l’œuvre avec Rubio. Mais la Chine va à travers les BRICS adopter un mixte de développement d’économie réelle et de limitation des effets des pétrodollars. Et surtout en ce moment nous assistons à une nouvelle phase qui joue sur deux atouts : la capacité de la Chine à créer des formes de délocalisations, des comptoirs industriels qui sont dans le contexte de la stratégie d’asphyxie de Trump une véritable aubaine pour les pays d’accueil (nous avons publié un article qui étudie ce phénomène). Là où les Etats-Unis installent des bases militaires, la Chine installe des comptoirs commerciaux et industriels, en général portuaires. Par parenthèse on a attribué abusivement l’endettement et la faillite du Sri Lanka à une de ces installations alors qu’elle était le fruit du lien entre l’Inde et le FMI. Mais c’est surtout dans sa maitrise de l’innovation que la Chine est aujourd’hui en train de saper la politique de Trump et d’Elon Musk. Comme d’habitude les idéologues ont attribué la chute des actions de TESLA à un châtiment mérité pour sa méchanceté à l’égard de l’Europe et du wokisme, mais cela va plus loin.
Le plus gros problème aujourd’hui semble être la manière dont Trump prétend peser sur la mondialisation réelle par les jeux tarifaires, puisque le mélange militarisation du dollar et déstabilisation par des guerres et des terrorismes n’y suffit plus : la croissance du commerce mondial a été nettement faible par rapport à la croissance du PIB au cours des deux dernières années, comme elle l’a été pendant une grande partie de la dernière décennie, c’est-à-dire que l’économie réelle a été enrayée alors que le flux des capitaux ponctionnant ladite économie augmentait, ce qui ne peut qu’engendrer l’inflation. Et la politique de blocage du commerce mondial par l’augmentation des droits de douanes y compris destinés à sanctionner ceux qui oseraient choisir les BRICS ou acheter du pétrole à l’Iran et au Venezuela ne peut qu’accélérer la tendance. Cela rend les exportations moins fiables en tant que voie de croissance pour les économies de marché émergentes, du moins dans les circuits habituels, ceux contrôlés par les flux financiers dominés par les USA. Cet affaiblissement du commerce extérieur encourage les pays qui ont une économie considérée comme solide ce qui est le cas du Brésil, du Mexique, mais aussi de l’Indonésie à stimuler le marché intérieur en utilisant leur solvabilité. Les exigences de la transition climatique et de la défense nationale ne peuvent qu’amplifier cette tendance. Et cela ne parait pas un mauvais choix quand il est de fait garanti par la Chine. La Russie dans une certaine mesure avec ses ressources illimitées a fait une démonstration assez semblable.
En revanche l’UE a cumulé tous les désavantages puisque son économie réelle en particulier celle de l’Allemagne reposant en particulier sur l’énergie à bon marché de la Russie a été coulée par les sanctions et par la rupture avec la Russie. Le choix de la guerre en Ukraine semble avoir été sciemment fait par l’équipe Obama, Biden dans le cadre du pivot asiatique. Et actuellement comme cette bande ne sait plus quoi faire, elle en est à l’économie de guerre dont on peut espérer qu’elle sera une folie de plus totalement inefficace mais qui ne peut qu’accélérer la crise économique.
Pour en revenir à l’influence de la Chine, la prudence chinoise est un exemple de modération, qui stimule la productivité en jouant justement sur le développement scientifique et technique, tablant à la fois sur les politiques des marchés émergents qui doivent trouver leur propre équilibre face à la financiarisation, la nécessité d’accorder leur soutien à la pression sur l’emploi, l’inflation générée par cette financiarisation et ses menaces extraterritoriales, et elle ne peut le faire que grâce au développement du marché intérieur chinois qui ne soit pas que l’armement. C’est une voie originale et exemplaire. Il y a là ce que les économistes définissent comme un « trafic à double sens » des capitaux avec un contrôle de l’amélioration des services publics qui réponde toujours à la fois au développement du marché intérieur mais aussi à l’innovation en contrôlant tous les effets spéculatifs pour tenter d’éviter ce qui s’est passé dans l’immobilier.
Il est symptomatique que la propagande de l’hégémonisme tende à attribuer à « l’endettement » supposé de certains pays à l’égard de la Chine, l’obligation faite audit pays d’être toujours plus dépendant du FMI. Un bon exemple est le Sri Lanka qui tenait des discours progressistes et accueillait dans un port la Chine mais qui dans toute sa politique économique était lié à l’Inde et au FMI, ce qui a engendré l’exigence des marchés et une crise sociale aggravée par les oppositions ethniques traditionnelles. Ce n’est pas la Chine mais plutôt l’Occident qui est à la manœuvre, y compris avec « une aide » militaire qui coûte une part toujours accrue du maigre budget que laisse le pillage des ressources par l’ancienne puissance coloniale.
La Chine réajuste par l’innovation le flux des investissements
Il y a désormais tout un rôle de conseil dans l’architecture des BRICS qui doit tenir compte de ce qu’est le capitalisme financiarisé et la capacité qu’il a d’engendrer des flux : échanges réels d’hommes et de marchandises, et flux spéculatifs, qu’il s’agisse de l’économie de guerre ou de la spéculation boursière. Et qui doit aussi ne pas négliger la nécessité d’avoir un appareil productif à un niveau compétitif par l’innovation et par la formation des travailleurs.
Cette stratégie d’investissement à l’étranger permettait d’anticiper ce qui était attendu de Trump, l’augmentation des tarifs. Cependant ces avantages que nous venons de décrire avaient leur revers. Les investissements étrangers en Chine avaient atteint un sommet historique de 344 milliards de dollars américains en 2021, mais depuis ils n’ont cessé de chuter depuis en particulier avec la crise du Covid. Les investisseurs étrangers n’ont envoyé que 4,5 milliards de dollars en Chine, tandis que les entreprises chinoises ont investi 173 milliards de dollars à l’étranger en 2024. Ce qui également présentait l’inconvénient de risquer une affaire comparable à celle de la vente des ports du Panama et que l’on ne pouvait bloquer que par les installations des mêmes capitalistes en Chine. Donc il fallait rediriger les investissements vers l’innovation chinoise.
La Chine a fait une démonstration de son avancée
Selon les médias chinois, le bond en avant spectaculaire de l’innovation est dû aux six petits dragons de Hangzhou que sont DeepSeek, Unitree Robotics, Game Science, Deep Robotics, Brain-Computer Interface (BCI) et Manycore Tech. Les PDG sont comme Liang Wenfeng, de jeunes diplômés sortis de l’Université du Zhejiang, en décembre 2023. Le 20 janvier de cette année, la société a lancé DeepSeek-R1, qui a dépassé en quelques jours ChatGPT pour devenir n ° 1 sur le classement des téléchargements d’applications gratuites aux États-Unis. Hangzhou Yushu Technology, connue sous le nom d’Unitree, a été fondée par Wang Xingxing en 2016. Ses robots dansants ont été applaudis lors du gala du Festival du printemps de China Central TV le 28 janvier 2025.
Face aux turbulences et aux inquiétudes que suscite la stratégie tarifaire de Trump, la Chine a lancé un signal aux entreprises et aux chercheurs du monde entier : l’innovation technologique est ici et pour que le signal soit clair on a ostensiblement sorti Ma et Alibaba de son purgatoire à Tokyo. Ce qui pèse non seulement sur les actions de Tesla, autour desquelles il est fait grand bruit, mais sur ce que nous avons décrit comme un des piliers de l’actionnariat des Etats-Unis, celui de l’innovation qui d’ailleurs traverse une crise et a connu des faillites bancaires en 2024. Le ralliement à Trump de certaines figures comme Jeff Bezos se comprend dans ce contexte. Par parenthèse c’est aussi à partir de ces questions de l’innovation technologique qu’il faudrait analyser ce qui se passe en Israël.
Le saut en avant qu’ont représenté les créations de la robotique n’est pas le seul, il y les mêmes avancées dans la maitrise de l’énergie, de la fusion nucléaire, de l’exploration de l’espace.
Le message est économique mais il est aussi politique, écologique, civilisationnel
Par ailleurs ce signal envoyé aux chefs d’entreprise – qui est aussi celui que Poutine envoie dans son admirable texte (que nous avons publié hier) sur les opportunités de l’Arctique se double de deux autres adresses :
– celle aux chefs d’État, inquiets de la politique de Trump, chefs d’États du Sud, mais aussi les alliés traditionnels des Etats-Unis dont nous voyons aujourd’hui à quel point la Corée du Sud et le japon ne souhaitent pas à la fois assumer le poids de l’OTAN asiatique et subir les effets de la politique tarifaire des USA. De même, l’Inde ne parait pas décidée à renoncer à la proie (ses avantages énergétiques avec la Russie) pour l’ombre de relations soumis à un chantage permanent sans investissements correspondants. La plupart des pays qui tentent d’émerger dans ce chaos en sont arrivés à pratiquer le double jeu systématique comme la Turquie.
Ce qui parait être le cas de l’Europe et de la France en particulier par rapport à la Chine.
Enfin, au-delà des chefs d’entreprises et des États, la Chine et les Brics, la Russie elle-même adresse un message totalement différent qui est celui de l’humain d’abord, du respect de la nature et d’une confiance dans le progrès que peut représenter la révolution technologique. Un message culturel et de civilisation qui insiste sur le fait que la politique des USA, celle de l’occident est destructrice des êtres humains et de l’environnement.
Le socialisme à la française et même la lutte contre le déclin programmé ne peut ignorer ce contexte international…
Si l’on veut mobiliser l’opinion publique contre la politique de Macron et vers une alternative du socialisme à la française, il faut certes comme le fait Fabien Roussel présenter une alternative à l’économie de guerre qui aborde la question autrement que soit en prétendant que les immigrés volent le pain des Français, soit en voyant dans le RSA l’avenir d’un modèle de décroissance, le tout en ne bougeant le capitalisme que sur un plan moral ou au contraire en faisant la seule moralité face au totalitarisme, j’en passe et des meilleures, il faut reprendre pied dans le monde du travail et de la production mais il faut aussi ce qui lui manque cruellement se situer dans ce contexte géopolitique et y choisir le positionnement de la France
Honnêtement je pense que c’est sur ces bases qu’il a accepté de faire la préface de notre livre… il ne lui reste plus qu’à se débarrasser de Zelenski pour envisager comme le recommande la Chine que nous allions vers l’unité de coopérations souveraines avec l’autre nation européenne qu’est la Russie, de l’Atlantique à l’Oural comme le proposait De Gaulle quand il était bien inspiré…
Danielle Bleitrach

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Michel BEYER
Dire que je suis impatient de parvenir à la sortie de votre livre, c’est un euphémisme.
Je viens d’écouter une video réalisée par Regis de Castelnau, avec l’interview de Laurent Michelon qui vit et travaille en Chine . C’est ahurissant les progrès réalisés. La Chine avance à pas de géants au moment ou les pays occidentaux semblent faire du surplace :
https://www.youtube.com/watch?v=OZ1N3Uwt1bk