Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

L’OTAN asiatique est dans le même état de désarroi que celle de l’Europe, par Dmitri Kossyrev

L’analyse met l’accent sur un événement qui marque les difficultés de la stratégie du pivot asiatique devenue encore plus brutale sous Trump, à savoir de moins en moins d’avantages en matière de coopération économique et l’exigence en revanche de financer l’installation de bases militaires des Etats-Unis, plus une politique de surarmement. Ce que découvrent non sans stupéfaction les Européens dont les gouvernement sont shootés à l’atlantisme sous différents modes. La pseudo défense européenne qui continue le surarmement contre l’ennemi supposé alors qu’on a coupé ladite Europe de l’énergie bon marché pour l’obliger à s’alimenter à un cout prohibitif aux USA, et qu’on incite à acheter les armes aux Etats-Unis, tandis que d’autres pays ne voient leur salut que dans le maintien d’un OTAN dirigé par les Etats-Unis et financés par les Européens. Le Japon et la Corée du Sud sous la pression de leurs populations se tournent vers le marché chinois. Les Etats-Unis confrontés à d’autres résistances comme l’Indonésie, le Vietnam cherchent dans les Philippines ou des pays asservis sous domination britannique de nouvelles bases. (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)

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Tout le monde sait que la Chine est le principal concurrent stratégique de l’ancienne et de l’actuelle administration américaine. Tout le monde a entendu dire que l’équipe de Trump tente de se débarrasser du boulet au pied qu’est le conflit en Ukraine, pour pouvoir ensuite se concentrer sur la Chine. N’est-il pas vrai ?

Oui, mais c’est le tableau général. Mais en quoi cela consiste-t-il concrètement ? Et surtout – à propos d’une alliance faite pour « contrer » la Chine ? Il est intéressant de se pencher sur le voyage actuel du secrétaire américain à la défense, Pete Hegseth. Le voyage a commencé à Hawaï et à Guam, puis s’est poursuivi en Asie, en particulier vendredi, lorsque le ministre s’est rendu à Manille, la capitale des Philippines.

Mais pourquoi le rituel qui veut que les ministres de la défense en tournée en Asie se rendent en Corée du Sud et au Japon a-t-il été enfreint ? M. Hegseth suit bien les traditions : il a d’abord rendu visite aux alliés de l’OTAN en Europe (en février), mais en Asie, il n’y a pas de Corée du Sud au programme, mais plutôt les Philippines et tout de même le Japon.

Qu’est-ce qui ne va pas avec la Corée du Sud ? Absolument tout. Nous assistons à une crise systémique, non seulement de la machine politique, mais aussi de l’ensemble de la trajectoire future du pays. Et cette crise est née précisément parce que les administrations américaines précédentes voulaient orienter Séoul vers l’objectif susmentionné, à savoir la confrontation avec la Chine.

Le résultat a été que Hegseth n’avait tout simplement plus personne à qui parler. La crise au sommet a commencé le 3 décembre, lorsque le président Yoon Seok-yeol a tenté de dissoudre le parlement, mais a échoué et a été destitué. À ce jour, son procès se poursuit – sans grand succès – et des manifestations de deux forces politiques à peu près égales qui s’affrontent se déroulent à l’extérieur du palais de justice.

L’une prône le dialogue avec la Corée du Nord, cherchant un équilibre entre tous les États importants pour la survie du pays : la Chine, les États-Unis, le Japon, la Russie. L’autre, on l’a vu, veut transformer la Corée du Sud en une Ukraine asiatique, opposée à la Chine, à la Russie, etc. Le président Yun Seok-yeol s’est engagé dans cette voie, il a été freiné, et a décidé d’écarter ceux qui ralentissaient et d’instaurer une sorte de dictature. En conséquence, on ne sait pas s’il y aura des élections présidentielles anticipées ou quelque chose de pire. Hegseth n’avait certainement pas besoin d’aller dans ce guêpier.

La dualité du pouvoir sud-coréen s’explique par des réalités économiques : la Chine est le premier partenaire commercial du pays, avec un chiffre d’affaires de 328 milliards de dollars. Mais dans le même temps, la Chine a pris le leadership technologique et commercial sur la Corée du Sud, en vendant de plus en plus de téléviseurs, de smartphones, de voitures, de semi-conducteurs, de navires – en gros, tout ce qui faisait la fierté des Coréens.

Une question se pose : comment le pays doit-il continuer à vivre ? Deux options s’offrent à lui. Soit s’intégrer dans un système technologique et de production unique avec la Chine (et d’autres voisins), soit – s’il est supposé être en guerre avec la Chine – concentrer son économie uniquement sur les États-Unis (et d’autres pays occidentaux) et oublier la Chine.

On assiste à une crise ridiculement similaire aux Philippines. Les autorités actuelles du pays sont elles aussi tombées dans le piège : la Chine ou les États-Unis (dans la seconde option – aller contre la Chine, la brimer par tous les moyens). L’équipe du président sortant Ferdinand Marcos est tournée vers l’Amérique. Mais cette équipe a fait quelque chose de similaire à la répression du parlement en Corée du Sud – elle a organisé une opération de police pour extrader l’ancien président, Rodrigo Duterte, le chef de l’équipe adverse, afin de le traduire devant un tribunal international à La Haye. Ce dernier était aligné sur la Chine et le reste de la majorité mondiale.

Le résultat jusqu’à présent : il n’y a pas de manifestations de masse dans le pays, mais quelque chose de pire – l’effondrement des structures politiques en deux camps qui se bloquent l’un l’autre. En fait, Marcos s’est affaibli lui-même, même les opposants de Duterte le disent : si vous jugez l’ancien président, alors faites-le seulement dans le pays, mais l’extradition vers des pays étrangers est une honte et un manque de savoir-vivre.

La crise ne fait que commencer. À Manille, M. Hegseth a informé tous les partenaires asiatiques que les États-Unis étaient à leurs côtés contre « l’agression chinoise ». Il a également annoncé que les prochaines manœuvres maritimes des deux pays impliqueraient les nouveaux missiles antinavires NMESIS, qui constituent une arme miracle pour les militaires locaux. La question de savoir si les missiles resteront sur le sol philippin est intéressante.

Le ministre s’est ensuite rendu à Tokyo – à propos, vous allez rire, mais le Japon est lui aussi en crise (une crise ancienne et latente), et ce pour les mêmes raisons sous-jacentes : on ne sait plus très bien comment continuer à vivre et avec qui être amis.

Qu’est-ce qui empêche la Corée du Sud, le Japon, les Philippines et d’autres pays du Pacifique alliés à l’Amérique de s’ukrainiser complètement dans les futures procédures américaines avec la Chine ? La réalité est simple : il faudrait alors demander à l’Amérique qu’elle les entretiennent complètement, alors que les États-Unis exigent exactement le contraire – qu’ils payent. Eh oui, l’Amérique n’a plus beaucoup d’argent ni de moyens.

Et si vous vous souvenez du voyage de M. Hegseth en Europe, à l’OTAN, vous avez même pu entendre les discours sur le fait que les bons comptes font les bons amis. En d’autres termes, l’Amérique actuelle réduit ses budgets et attend de ses alliés qu’ils disent adieu aux cadeaux. En outre, les États-Unis entament la transition vers un nouveau modèle économique, dans lequel il n’y aura pas d’intégration économique avec les partenaires pour des raisons militaires et politiques. Les importations en provenance de ces partenaires seront soumises à des droits de douane, ce qui les conduira à délocaliser leur production aux États-Unis. Cette transition prendra de nombreuses années. Et cela s’applique, par exemple, aux automobiles – suivez mon regard – le Japon et à la Corée du Sud – et autres alliés, qui devront dire adieu au marché américain, autrefois un marché en or.

Par conséquent, l’humeur générale en Asie – dans la zone qui était considérée comme l’analogue de l’OTAN – est de ralentir, de faire marche arrière, d’équilibrer et de négocier avec la Chine pour au moins réduire les tensions. C’est ainsi que l’idée d’une zone de libre-échange entre la Chine, le Japon et la Corée du Sud a été relancée, et que les chefs d’État et les ministres des affaires étrangères se sont réunis à cette occasion. Et ce, après une querelle de six ans entre la Chine et le Japon en particulier. Il est également question d’un certain renouveau de l’amitié sino-sud-coréenne. En d’autres termes, plus personne n’a besoin d’être « l’Ukraine de l’Asie », c’est économiquement non rentable. Nous le savons, nous sommes passés par là, et ce voyage se termine mal.

Une dernière chose. Il n’est pas difficile de constater que l’effondrement et le vacillement de l’« OTAN asiatique » suivent approximativement le même schéma que celui de l’OTAN. La seule différence à l’Est est le style de comportement purement asiatique – sans les colères obscènes et les grognements auxquels nous assistons actuellement à l’extrémité européenne du continent.

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