On n’en finit pas de s’étonner de l’extraordinaire capacité de la gôche américaine (mais celle d’Europe n’est pas mal non plus dans le genre) à dénoncer les autres au nom de valeurs très sympathiques mais qu’elle n’a jamais appliquées en étant au pouvoir. Si cette gauche ne rassemble plus, elle favorise par le dégout des électeurs le triomphe de ses adversaires. Ce qui s’est passé à Grenoble ce weekend si nous n’en sommes pas encore au triomphe de Trump et de sa bande, montre que l’abstention qui entre les deux tours est montée de 50% et plus chez les électeurs de gauche est la voie royale vers le trumpisme. Quand le clientélisme électoral à la Mélenchon, le mépris de l’électorat et la montée des corruptions atteint son summum. Comme d’habitude il y a dans le diagnostic de nos amis trotskistes de WSWS beaucoup de lucidité même si nous ne partageons pas leur appel à un trotskisme renouvelé. Mais c’est un autre sujet. (note de Danielle Bleitrach dans histoireetsociete)
Joseph Kishore
Le discours d’adieu du président Joe Biden, mercredi soir, était un mélange de rhétorique complaisante et d’affirmations fantaisistes sur les succès des quatre années de son administration. Au milieu des platitudes, Joe Biden a fait une déclaration qui a brièvement reconnu la triste réalité de la société américaine.
« Je veux avertir le pays de certaines choses qui me préoccupent beaucoup », a déclaré Biden. « Il s’agit de la dangereuse concentration du pouvoir entre les mains d’un très petit nombre de personnes très riches. Aujourd’hui, une oligarchie d’une richesse, d’un pouvoir et d’une influence extrêmes est en train de prendre forme en Amérique, menaçant littéralement notre démocratie tout entière, nos droits et libertés fondamentaux […] »
Invoquant le discours d’adieu d’Eisenhower en 1961, dans lequel le président sortant et ancien général mettait en garde contre les dangers d’un « complexe militaro-industriel », Biden a évoqué la montée de ce qu’il a appelé un « complexe technico-industriel, qui pourrait également représenter un réel danger pour notre pays ».
Bien que Biden ait parlé au conditionnel de développements « potentiels » qui « prennent forme », le caractère oligarchique de la société américaine est déjà une réalité bien ancrée, cultivée au fil des décennies par le système même qu’il défend.
Il est assez facile de souligner l’hypocrisie stupéfiante des commentaires de Biden, qui présente la consolidation du contrôle oligarchique comme si sa propre administration n’y était pour rien. Selon Bloomberg News, au cours des quatre années de mandat de Joe Biden, la fortune des 100 Américains les plus riches a augmenté de 1500 milliards de dollars, soit une hausse de 63 %. Des personnalités éminentes de ce que Biden a appelé le « complexe techno-industriel » ont vu leur fortune monter en flèche. La fortune d’Elon Musk a été multipliée par seize, passant de 25 milliards de dollars en 2020 à plus de 415 milliards de dollars. La fortune de Jeff Bezos a doublé et celle de Mark Zuckerberg a presque quadruplé.
Au moment de quitter ses fonctions, Biden parle d’une oligarchie que lui-même et le Parti démocrate ont contribué à encourager et à développer, notamment par le biais de sauvetages bancaires bipartisans massifs en 2008 et en 2020. En tant que président, le principal objectif de Joe Biden était de faire en sorte que le public reprenne une vie économique « normale » pendant une pandémie qui faisait rage, dans le but explicite de faire baisser les salaires et de réduire les coûts pour les grandes entreprises.
Il y a quelque chose de profondément pathétique dans le fait qu’un homme qui est à la Maison-Blanche depuis quatre ans et qui a été pendant des décennies sénateur du Delaware, centre de l’évasion fiscale des entreprises, se pose aujourd’hui en adversaire de l’oligarchie.
Plus fondamentalement, Biden n’a pas pu et n’a pas abordé les origines de cette oligarchie ni son lien intrinsèque avec le système social et économique, le capitalisme, que lui et l’ensemble de l’establishment politique défendent.
Nous ne savons pas si Biden ou son équipe ont lu le World Socialist Web Site, mais Biden a essentiellement confirmé, de l’intéressé lui-même, l’analyse du mouvement trotskiste sur une longue période et, en particulier, en ce qui concerne la réélection de Donald Trump.
« Donald Trump ne parle pas simplement comme un individu criminel », a écrit le WSWS dans sa déclaration initiale après l’élection, « mais comme le représentant d’une puissante oligarchie capitaliste qui a pris forme au cours des trois à quatre dernières décennies. Les méga-millionnaires et les milliardaires – menés par des gens comme Elon Musk, Jeff Bezos, Peter Thiel et Larry Ellison – utilisent Trump pour mettre en œuvre, dans leur intérêt, une restructuration réactionnaire de la société américaine ».
Le WSWS a non seulement analysé les fondements sociaux de la destruction des formes démocratiques de gouvernement, mais il a également proposé des mesures pour y remédier. Après l’élection, le 20 novembre, le Parti de l’Égalité socialiste a organisé une réunion en ligne sous le titre « Par l’oligarchie, pour l’oligarchie : Le cabinet de Trump et la restructuration de l’État américain », axée précisément sur cette question.
Abordant la signification de la réélection de Trump, le président du comité de rédaction international du WSWS, David North, a expliqué que « le caractère oligarchique des relations sociales dans ce pays, la vaste concentration de la richesse dans une poignée relative de personnes, est absolument incompatible avec un système démocratique ». North a ajouté : « La base de la démocratie sous sa forme moderne ne peut venir que du développement d’un mouvement de masse de la classe ouvrière, de la lutte contre le système capitaliste, du transfert de la propriété des moyens de production et du contrôle de la société à la grande masse du peuple. »
Dans sa déclaration du Nouvel An, « Le socialisme contre l’oligarchie, le fascisme et la guerre », le WSWS a établi un lien entre l’oligarchie capitaliste et l’ensemble de la politique de la classe dirigeante, y compris la réponse meurtrière à la pandémie, qui a tué des millions de personnes, et l’escalade de la guerre mondiale, qui menace l’humanité tout entière.
« À la base de ces crises interdépendantes, écrivions-nous, se trouve une oligarchie qui subordonne l’ensemble de la société au profit et à l’accumulation de richesses personnelles. La lutte contre l’oligarchie est par nature une tâche révolutionnaire. Ses richesses doivent être expropriées et sa mainmise sur la vie économique et politique doit être abolie. »
La réalité sociale actuelle est le résultat d’un long processus historique. La référence de Biden à Eisenhower est plus révélatrice que ce qu’il voulait dire. Lorsque Eisenhower a lancé son avertissement en 1961, le capitalisme américain était à l’apogée de sa domination mondiale. Soixante-quatre ans plus tard, Biden s’exprime en tant que représentant vieillissant d’une classe dirigeante qui pourrit sur pied.
Le Parti démocrate ne propose rien et ne peut rien proposer pour faire face à la réalité à laquelle Biden a brièvement fait allusion. Malgré des références sporadiques au « danger » de Trump et de sa politique autoritaire, le Parti démocrate a constamment minimisé la menace du fascisme et l’a maintenant complètement abandonnée. Dans son discours d’adieu, Joe Biden a répété sa précédente déclaration : « Je souhaite le succès de l’administration entrante », ce qui a été sa seule véritable référence au gouvernement auquel il transmettra le pouvoir.
L’idée que l’on puisse s’opposer à cette administration dans le cadre politique existant, ou sans s’attaquer directement à la richesse et au pouvoir de l’oligarchie, relève de la pure fantaisie. La classe dirigeante a clairement fait connaître ses intentions : démanteler les droits démocratiques, écraser la dissidence et imposer l’austérité à la classe ouvrière tout en enrichissant l’oligarchie financière. La seule façon d’avancer est de s’attaquer directement à la richesse et au pouvoir des oligarques. Leur emprise sur la société doit être brisée par l’expropriation de leurs richesses et la réorganisation de la vie économique sur la base des besoins sociaux et non du profit privé.
Cette tâche est indissociable de la lutte pour le socialisme. Le Parti de l’égalité socialiste et le World Socialist Web Site n’ont cessé de mettre en garde contre les conséquences de l’aggravation de la crise du capitalisme, de la montée des politiques fascistes à l’escalade de la guerre impérialiste mondiale.
Alors que Trump revient à la Maison-Blanche, le PES est le fer de lance de la lutte pour un mouvement socialiste de la classe ouvrière aux États-Unis et dans le monde. Il s’agit d’une tâche politique fondamentale et urgente.
(Article paru en anglais le 17 janvier 2025)
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