Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La mission sectaire que la Turquie porte en Ukraine

S’il y a un lieu où l’on peut démontrer que les ennemis de nos ennemis peuvent s’avérer encore de pires ennemis que les premiers c’est le Moyen Orient. La stratégie israélo-américaine ayant été d’éliminer partout l’adversaire le plus respectable (au premier rang desquels les communistes) et de valoriser les plus fanatiques, les plus corrompus, d’en faire leurs créatures quitte (comme nous le voyons par ailleurs) à les faire se battre entre elles, toute la zone est désormais devenue un chaudron infernal. La Turquie parait le maitre du jeu et ses troupes semblent victorieuses. Prétendre s’inquiéter pour le FDS, ce n’est pas comme le défend l’invraisemblable Boulet défendre des laïcs protocommunistes kurdes, non c’est choisir des marionnettes de la CIA qui ont largement contribué à la ruine de la Syrie (en offrant ses ressources pétrolières aux Américains), des brutes comparables à celles que parraine Erdogan et décrites ici. Ce dernier est un des visages de cet enfer dans lequel l’idée du retour des réfugiés est un mythe parce que la plupart n’ont pas fui Assad mais ce que la guerre permanente entretenue faisait de leur pays. C’est malheureusement ce qui se met en place partout et qui consiste à faire de l’extrême droite en train de s’organiser en internationale l’arbitre de ce que l’impérialisme de l’occident crée d’intolérable. Il devient urgent de recréer une internationale communiste. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

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Source de la photographie : Ministerio de Relaciones Exteriores – CC BY-SA 2.0

Le risque sectaire : la mission syrienne de la Turquie

Le Turc Recep Tayyip Erdoğan doit se réjouir de ce qui se passe en Syrie, même si c’est un sentiment qui ne peut qu’être tempéré par l’évolution rapide des circonstances. Les mandataires chiites de l’Iran ont été affaiblis par les attaques et les bombardements israéliens incessants. Les yeux et les ressources de la Russie sont tournés vers la guerre en Ukraine. Avec des informations selon lesquelles des groupes rebelles syriens se battent maintenant à la périphérie de la capitale Damas, le régime d’Assad semble fragile, son chef se cachant ou ayant été évacué.

Dans le mélange de djihadistes, de nationalistes et de mercenaires ordinaires, la main de la Turquie pèse lourd. Son intervention dans le conflit syrien était motivée par deux objectifs principaux : l’endiguement, voire l’élimination des militants kurdes dans le nord de la Syrie, considérés comme indiscernables de leurs homologues du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) en Turquie même, et la création de conditions de stabilité ou de « zones de sécurité » qui permettraient un retour des réfugiés syriens lorsque cela serait possible.

Depuis août 2016, la Turquie a fait trois incursions dans le nord de la Syrie, imposant une occupation utilisant des troupes régulières et des forces auxiliaires, dont l’Armée nationale syrienne (ANS) et une coalition de groupes comprenant d’anciens combattants de l’Armée syrienne libre (ASL). En 2018, la police militaire a été mise en place par les autorités turques et le gouvernement intérimaire syrien (GIS), une force ostensiblement destinée à protéger la population civile. Au lieu de cela, cette période de la domination turque a été marquée par la brutalité, la répression et l’abandon pur et simple.

Dans son rapport de février 2024, Human Rights Watch a documenté des cas d’enlèvements, d’arrestations arbitraires, de détentions illégales (y compris d’enfants), de violences sexuelles et de torture. Les auteurs de ces actes étaient des éléments de la SNA, de la police militaire, des membres des forces armées turques, de l’Organisation nationale turque du renseignement (Milli İstihbarat Teşkilatı, MİT) et de diverses directions du renseignement militaire. À cette gamme de cruautés colorées et horribles s’ajoute l’abus des droits de propriété, le pillage, la confiscation de biens, l’extorsion et l’absence de tout système cohérent de restitution.

Le groupe qui endure le plus lourd fardeau de souffrance est celui des résidents kurdes, notamment ceux qui avaient reçu la protection des Forces démocratiques syriennes (FDS) dirigées par les Kurdes soutenues par les États-Unis, comprenant l’Unité de protection du peuple (Yekineyen Parastina Gel, YPG) et l’Unité de protection des femmes (Yekineyen Parastina Jin). Ces forces se sont avérées cruciales dans la lutte contre le groupe État islamique (EI). En octobre de cette année, Erdoğan a réitéré l’opinion de longue date selon laquelle ces unités de protection kurdes n’étaient que « la branche syrienne du groupe terroriste PKK, destinée à être abandonnée, laissée isolée ». Les Arabes et d’autres groupes considérés comme ayant des liens avec les FDS et l’Administration autonome du nord-est de la Syrie (AANES) ont également été la cible de la colère turque.

L’ANS n’est pas un ami de l’organisation islamiste Hayat Tahrir-al Sham (HTS), qui fait la une des journaux, et qui est la principale lance de l’opération d’éclair contre le régime d’Assad. HTS s’est présenté comme un groupe autosuffisant, moderne, plus réfléchi, moins sous le feu et le soufre de ses itérations d’Al-Qaïda et d’Al-Nosra et soi-disant plus tolérant envers les autres religions, sectes et points de vue. Son chef, Abou Mohammad Al-Jolani, a réussi à recevoir des éloges et des applaudissements dans les médias occidentaux pour ce changement, bien qu’il ait été classé par le département d’État américain comme un « terroriste mondial spécialement désigné » digne d’une récompense de 10 millions de dollars à quiconque serait prêt à offrir des informations menant à sa capture.

Même sur les progrès de HTS, l’influence turque ne peut être ignorée, bien qu’Ankara ait évité de soutenir ouvertement le groupe. Comme le fait remarquer Fouad Shahbazov, écrivant pour le Centre Stimson, les récentes avancées de HTS « auraient été impensables sans le soutien militaire et logistique de la Turquie, et la fourniture d’armements avancés ». Il a également été suggéré qu’Ankara avait donné son approbation à l’offensive menée par HTS après avoir échoué à obtenir un rapprochement avec Assad.

Les déclarations d’Erdoğan sur l’avancée montrent un esprit glissant à l’œuvre. Le 6 décembre, il a déclaré à la presse après la prière du vendredi que la cible de l’offensive était manifestement Damas. « Je dirais que nous espérons que cette avancée se poursuivra sans aucun problème. » Mais il a également exprimé l’opinion que ces avancées étaient « problématiques » et « pas de la manière que nous souhaitions ». Sans s’étendre sur ce point, on pourrait déduire des remarques qu’il est préoccupé par diverses « organisations terroristes » opérant dans les forces rebelles.

Le lendemain, le président turc a décidé d’être noble dans son évaluation lorsque les rebelles sont entrés dans la banlieue de Homs. « Il y a maintenant une nouvelle réalité en Syrie, politiquement et diplomatiquement », a-t-il déclaré dans un discours prononcé dans la ville de Gaziantep, dans le sud de la Turquie. « Et la Syrie appartient aux Syriens avec tous ses éléments ethniques, sectaires et religieux. »

Conformément aux opinions d’autres dirigeants responsables d’intervenir dans les affaires d’un autre État, Erdoğan a parlé de l’indépendance syrienne comme viable, de la volonté de son peuple comme inviolable. « Le peuple syrien est celui qui décidera de l’avenir de son propre pays. » Il a espéré que le pays « retrouverait rapidement la paix, la stabilité et la tranquillité qu’il désire depuis 13 ans ». Il a poursuivi en faisant remarquer que « les acteurs responsables et toutes les organisations internationales » devraient soutenir la préservation de l’intégrité territoriale de l’État.

L’audace de telles déclarations ne dissimule pas les dangers sectaires et ethniques qui se déroulent à la fin de cette mission parrainée par Ankara. La chute de Béchir al-Assad mettra en péril les communautés chiites et fera encore plus de mal aux Kurdes, laissant la porte ouverte au salafisme. Les groupes rebelles, unis uniquement par la cause commune du renversement d’Assad, pourraient bien trouver difficile d’éviter les combats les uns contre les autres. Quant à l’intégrité territoriale dont parle Erdoğan, la bureaucratie et la politique turques ne manqueront jamais d’un certain nombre de garanties qu’Ankara est tenu d’extorquer à des conditions élevées. Et qu’en est-il des réfugiés ? Attendez-vous à ce que beaucoup d’autres jaillissent de désespoir.

Binoy Kampmark était un boursier du Commonwealth au Selwyn College de Cambridge. Il enseigne à l’Université RMIT de Melbourne. Courriel : bkampmark@gmail.com

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