L’éditeur d’Agone est Marseillais il s’est acquis une solide réputation de grand caractériel et j’ajouterai d’anticommunisme primaire, mais en revanche ce qu’il édite est important et a contrario des idées reçues, dans une France socialiste je lui accorderais un rôle privilégié de l’intransigeant antidote à la courtisanerie. Ce qu’il dit du groupe Bolloré et de ce « repoussoir fasciste qui cache l’avancée des « libéraux » et autres sociaux démocrates vers le fascisme ordinaire, celui où il n’est plus besoin d’autodafé puisque personne ne lit plus de trois lignes et encore pour chercher la confirmation de ce qu’il croit savoir… va avec l’étrange cérémonie de notre dame, dans laquelle la France libérale, pourfendant le barbare au nom de la laïcité, en appelant aux valeurs démocratiques a béni l’union de Trump et de Zelenski le bouffon qui n’est même plus le président de son pays et le livre au hachoir, le tout représentant la « démocratie »… Sartre n’existe plus, qui a besoin d’un philosophe, quelques idéologues trafiquants d’armes comme Glucksmann ont pris la place… Pourquoi des livres ? Pourquoi même Histoire et Société ?
[LettrInfo 24-XXVII]
L’arbre qui dévoile la forêt
La domination du groupe Hachette sur l’édition française ne date pas d’hier. Ni même d’avant-hier. Mais tout bien considéré, comparé au temps où le regretté Jean-Luc Lagardère regroupait Hachette livres, distribution et médias avec l’armement et l’aviation, l’“empire Bolloré” fait de nos jours un peu prix de consolation. Maintenant, il est vrai que Jean-Luc n’était, à l’égal des autres grands patrons, qu’un militant du profit. Alors que Vincent…
C’est donc l’alliance du grand patronat et de la droite extrême qui est à l’origine de la prise de conscience dont certains médias se font les échos depuis quelques semaines. Il est évidemment remarquable que l’impulsion ne vienne pas de l’édition industrielle, ni des grosses librairies, moins encore des autrices, romanciers, journalistes et universitaires qui font les unes et les prime times – mais de la librairie indépendante, associée à l’édition indépendante.
C’est pourquoi la formulation des dangers que fait peser l’“empire Bolloré” sur le marché du livre et la réponse à y apporter présentent toutes les qualités de la franchise et de la clarté : un appel à boycotter les livres édités par l’une ou l’autre des quarante et quelques marques du groupe Hachette.
Une clarté et une franchise qui répondent à la franchise et la clarté du projet idéologique dont le pieux milliardaire breton porte fièrement les couleurs : restaurer les valeurs millénaires de l’Occident chrétien, version radicalement identitaire et rêve de croisade contre les fantasmes du “grand remplacement”.
Dans l’édition, la première illustration de ce programme fut le soutien apporté au livre d’Éric Zemmour en candidat d’extrême droite à la présidentielle 2017. Cette opération a fait tant de bruit qu’on semble avoir oublié que le groupe Hachette n’a pas attendu d’être sous la coupe de Vincent Bolloré pour éditer Zemmour : trois titres sont parus chez Grasset, maison où débute le journaliste. Mais surtout que c’est un autre groupe éditorial français qui a fait sa gloire et ses plus grands succès : cinq titres (dont Le Suicide français et Destin français) parus chez Albin Michel.
La tribune “Ne laissons pas Bolloré et ses idées prendre le pouvoir sur nos librairies” semble en rajouter sur l’ancrage à l’extrême droite fascisante, raciste, sexiste et nationaliste de l’ascétique sexagénaire. Mais ce n’est peut-être pas exagéré lorsqu’on apprend que l’“ogre de Cornouaille” a engagé un néo-nazi pour entretenir son île et y encadrer les messes auxquelles il assiste en maître des lieux.
On ne trouvera jamais pareilles vulgarités chez la famille Gallimard, propriétaire du troisième groupe éditorial français. Mais si on s’inquiète vraiment de la diffusion des idéologies d’extrême droite, côté fonds littéraire et philosophique nazi, fasciste et crypto-fasciste, pétainiste et antisémite, Gallimard dispose d’une avance séculaire qu’on n’est pas près de rattraper chez Hachette. Mais s’inquiète-t-on vraiment dans le monde du livre de la diffusion des idéologies d’extrême droite dès lors qu’elle n’est pas tapageusement poussée par Vincent Bolloré ?
Lancé en juillet dernier par Attac et les Soulèvements de la Terre, l’appel à “Désarmer l’empire Bolloré” rappelle qu’avant de fondre sur l’édition et les médias français Vincent Bolloré a fait fortune dans l’exploitation néocoloniale et qu’il continue d’être un acteur majeur du ravage écologique.
Il faut donc aussi rappeler que le patron d’Editis, second groupe éditorial et médiatique français, doit sa fortune au même genre de piraterie — non pas en Afrique, comme Vincent Bolloré, mais en Europe de l’Est. Ce qui fait de Daniel Kretinsky – avec la propriété de centrales électriques au lignite, au gaz et nucléaires, de gazoducs mais aussi d’entreprises de stockage de gaz, de fret, de négoce de matières premières, etc. — un producteur de nuisances écologiques et économiques du même registre, toutefois d’une autre ampleur. Mais s’intéresse-t-on vraiment dans le monde du livre aux nuisances écologiques et économiques d’un grand patron dès lors qu’il ne s’agit pas de “Bolloré” ?
Sur le plan politique, la différence de positionnement entre le Breton et le Tchèque se situe entre Valeurs actuelles, pour le premier, et Franc-Tireur, pour le second. Autrement dit, une offre qui va de l’extrême droite à l’extrême centre — soit l’espèce d’alliance qui gouverne désormais, vaille que vaille, le pays.
À la tête de Média-participation, troisième challenger éditorial français du groupe Hachette, la famille Montagne affiche le même genre de pedigree qu’on a vu jusqu’ici à ce poste, mais sur le mode fade. Catholique de droite lui aussi, mais modéré, le fils (Vincent) a pris ses distances avec le père et fondateur (Rémy), qui agrémentait en 1958 les débats à l’Assemblée nationale sur la loi Veil en associant “l’avortement aux génocides du IIIe Reich”. Fondé avec l’argent des pneus Michelin et l’aide de l’assureur Axa, le groupe mélange désormais astucieusement l’industrie de la BD à l’édition religieuse et au livre d’entreprise, à l’“art de vivre” et l’“art du fil”, au nautisme et au secourisme — un tas d’où émerge péniblement la bannière du Seuil, qui s’efforce de satisfaire son contrôleur de gestion en exploitant les grandes causes du temps.
On le voit bien, l’urgence que dévoile l“empire Bolloré” touche autant à l’idéologie qu’à l’organisation de l’édition française, sous le contrôle d’une poignée de grandes fortunes. Pour finir donc ce tour d’horizon (non exhaustif) des principaux groupes à la recherche d’une alliance face à Hachette, voyons du côté d’Actes Sud et de ses patrons, la famille Nyssen. Ici, ni Occident chrétien, ni piraterie néocoloniale, ni calamiteux bilan carbone, et aucun nazi caché dans les placards.
Mais puisqu’il s’agit de “faire barrage au Front national”, suivant la formule consacrée, peut-on compter sur celle qui fut la première ministre de la Culture d’un président à qui on peut retirer bien des mérites mais pas celui d’avoir permis au premier parti d’extrême droite français d’être en mesure de toquer à la porte du pouvoir ?
Certes, ils sont innombrables celles et ceux à s’être laissé berner par le jeune premier en candidat des médias. Et Françoise Nyssen n’est pas restée bien longtemps ministre. Mais on ne trouve dans son minuscule bilan aucune mesure pour, sinon réduire, au moins réguler la concentration éditoriale. Ce qui n’aurait pas été inutile à la protection de beaucoup de maisons, à commencer par la sienne. Car depuis deux ans, tout observateur avisé ne se pose qu’une seule question sur le destin de la grenouille arlésienne qui a voulu se faire plus grosse que le bœuf parisien. Non pas qui va l’acheter — ce sera Madrigall. Mais quand ? Et le nombre d’années ne se compte que sur les doigts d’une main.
Que l’urgence soit à la bataille culturelle contre l’offensive idéologique menée par un magnat de l’édition et des médias qui a mis tous ses moyens au service d’un parti d’extrême droite ne fait pas de doute. Mais cette urgence ne doit pas occulter la réalité du système qui a permis à une seule personne de disposer de pareil pouvoir : la concentration capitalistique.
Et si on voit bien que la machine Hachette aux mains de Vincent Bolloré concentre les plus grands dangers, politiques et économiques, on voit bien aussi que son boycott, dans un système où les groupes qu’on vient de décrire s’accaparent 90 % de la production, cette action ne va, au mieux, que faire reculer la peste au bénéfice du choléra.
Les médias contre la gauche
La trahison des éditeurs
À bas la presse bourgeoise !
Sur l’édition, lire en ligne sur Antichambre :
— “Gallimard, la dilatation et la concentration de l’édition”, juin 2023.
— “Pratiques éditoriales depuis les années 1980 (I) Hugues Jallon : de La Découverte au Seuil, allers-retours”, avril 2019.
— “Gallimard et Actes Sud sont, à leur niveau, des acteurs zélés de la concentration éditoriale”, septembre 2023.
— “Les indulgences de l’édition anticapitaliste”, septembre 2011.
Et dans Le Monde diplomatique :
— “La Pléiade, une légende dorée”, février 2021.
— “Le livre, une sacrée valeur”, juillet 2020.
— “Actes Sud, tout un roman”, octobre 2017.
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