Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Franck Marsal : comment penser le stade industriel de la Chine, mais aussi celui de la réindustrialisation française?

Voici un travail tel qu’on les sollicite dans histoireetsociete, un chapitre important de notre livre « Quand la France se réveillera à la Chine ». Avec les pistes qu’il suit et qui ont déjà donné lieu à une abondante littérature scientifique et politique dans laquelle il est possible de puiser l’apport du marxisme non comme dogme mais comme méthode d’appui sur la réalité déjà là, dit sa richesse, et il y a également de quoi alimenter le débat politique tel qu’il s’est ouvert dans le PCF sur les exigences fondamentales à un gouvernement de gauche. Encore faudrait-il que la revendication s’ouvre sur ce qui se transforme objectivement dans la planète et dont la Chine communiste s’avère à la pointe du processus. (note de Danielle Bleitrach histoireetsociete)

La répartition des centres industriels, des centres d’accumulation suit des lois scientifiques, qui ont trait à la démographie, à la géographie et à l’histoire (pas seulement l’histoire politique, mais aussi l’histoire économique, scientifique et technique). On ne peut pas imaginer une politique industrielle en évitant les données scientifiques issues de ces disciplines.

La première loi est que le développement industriel se fait par générations successives, par bonds, liés au développement des sciences, des techniques, de la démographie et des moyens de production. Des grandes ruptures parviennent lorsque l’accumulation des moyens de production a saturé les possibilités du système productif existant, au point où celui-ci ne peut plus s’étendre et doit être remplacé globalement par une nouvelle génération. Par exemple, c’est ce que nous vivons avec la technologie du pétrole. Indépendamment des enjeux climatiques, la ressource en pétrole atteint à peu près le maximum de ce qu’elle peut donner. On a pu repousser la limite grâce au pétrole de schiste, mais ce n’est probablement que pour quelques années, et dans tous les cas, le pétrole de schiste n’est pas équivalent au pétrole dit “conventionnel”, dans la mesure où son coût de production est environ 10 à 15 fois plus élevé. La question climatique elle-même est la traduction du fait que la combustion du pétrole mais aussi du charbon et du gaz ne peuvent plus être étendus. Donc, par les deux bouts de la situation, il faut une rupture technologique pour introduire d’autres sources d’énergie. Rappelons à ce sujet que le pétrole actuellement est très inégalement consommé sur la planète : massivement en occident, parcimonieusement dans l’immense majorité de l’humanité. Rappelons également que ceci n’est pas nouveau. Dans l’antiquité, la ressource en bois, tant pour le chauffage, la métallurgie que la construction navale est une ressource critique et la surexploitation du bois a pu provoquer une érosion catastrophique des sols.

La seconde loi est que le centre du développement industriel bouge. L’industrie ne se transforme pas facilement et lorsqu’une grande génération industrielle naît, elle le fait plutôt sur un nouveau territoire, sur lequel elle va pouvoir bâtir sans avoir à s’occuper de recycler l’ancienne industrie. C’est un peu comme les palais de la Rome antique : on récupère les pierres des anciens palais impériaux pour bâtir un nouveau palais plus loin. Et on laisse les ruines à la place de l’ancien.

La troisième loi est que la nouvelle génération industrielle s’établit sur une base supérieure : échelle élargie, intensité et complexité dépassant d’un ou plusieurs degrés la génération précédente, nouvelles technologies, nouveau système de relations sociales et évolution des rapports de production, évolution des normes sociales etc etc. Ceci se fait sur des grandes ruptures, lorsque le développement des moyens de production nécessite une révolution complète des rapports sociaux, mais également à plus petite échelle, par des révolutions périodiques au sein d’un même mode de production. Marx et Engels décrivent ainsi dans le Manifeste Communiste la succession rapide des évolutions techniques et des organisations sociales dans le développement du capitalisme : “L’ancien mode d’exploitation féodal ou corporatif de l’industrie ne suffisait plus aux besoins qui croissaient sans cesse à mesure que s’ouvraient de nouveaux marchés. La manufacture prit sa place. La moyenne bourgeoisie industrielle supplanta les maîtres de jurande; la division du travail entre les différentes corporations céda la place à la division du travail au sein de l’atelier même.

Mais les marchés s’agrandissaient sans cesse : la demande croissait toujours. La manufacture, à son tour, devint insuffisante. Alors, la vapeur et la machine révolutionnèrent la production industrielle. La grande industrie moderne supplanta la manufacture ; la moyenne bourgeoisie industrielle céda la place aux millionnaires de l’industrie, aux chefs de véritables armées industrielles, aux bourgeois modernes.

La grande industrie a créé le marché mondial, préparé par la découverte de l’Amérique. Le marché mondial accéléra prodigieusement le développement du commerce, de la navigation, des voies de communication. Ce développement réagit à son tour sur l’extension de l’industrie ; et, au fur et a mesure que l’industrie, le commerce, la navigation, les chemins de fer se développaient, la bourgeoisie grandissait, décuplant ses capitaux et refoulant à l’arrière-plan les classes léguées par le moyen âge.

La bourgeoisie, nous le voyons, est elle-même le produit d’un long développement, d’une série de révolutions dans le mode de production et les moyens de communication.”

Le développement de l’industrie au 20ème siècle a connu plusieurs bonds successifs qui se sont traduits par des évolutions économiques, techniques et politiques très importantes. On ne peut faire l’impasse de ce point de vue sur l’apparition, en lien avec ces évolutions techniques et industrielles, des premiers grands états socialistes, l’URSS d’abord, qui a joué un rôle historique mondial considérable, y compris dans l’évolution des systèmes capitalistes eux-mêmes : pas de sécurité sociale ni d’EdF en France sans l’URSS, le PCF et la victoire contre le nazisme ; puis la Chine, nouveau centre d’accumulation industrielle et nouveau stade de rapports sociaux, l’économie socialiste de marché.

Comme nous l’avons évoqué déjà sur ce blog, la révolution numérique induit une accélération brutale et puissante des changements du système de production et du système social. La Chine est le centre principal de ces développements, même si les USA tentent de résister et produisent encore une partie importante des innovations. De même que des composantes de l’internet ont été inventées en France mais développées pleinement aux USA, les technologies inventées encore aux USA sont en réalité pleinement développées ensuite en Chine. C’est le cas par exemple de l’IA, de certaines technologies spatiales et autres. C’est le cas (typique) de la voiture électrique, développée d’abord par Tesla aux USA, mais qui est une industrie désormais pleinement dominée par la Chine.

C’est dans ces conditions et dans ces circonstances qu’il nous faut réfléchir au développement d’un nouveau stade industriel, d’une nouvelle étape de modernisation pour la France.

Il me semble que cela soulève trois questions concrètes :

1) Le développement de liens économiques et industriels sains et bien pensés avec le nouveau centre industriel principal mondial qu’est la Chine. Au début des années 1980, la presque totalité des pays du monde avait davantage de commerce international avec les USA qu’avec la Chine. C’est aujourd’hui quasiment l’inverse. Mais la politique commerciale et diplomatique française continue d’être tournée vers les USA, qui aspirent nos capacités d’investissement et d’innovation pour résister à la Chine. Cela est très coûteux pour la France et n’est pas porteur d’avenir. La France dispose encore d’énormes atouts économiques et industriels. Le développement de l’industrie chinoise ne peut pas se faire sur un mode isolé. Le marché mondial nécessite une large répartition des moyens de production, qui s’organise déjà autour de nouvelles institutions et de nouvelles voies commerciales, les nouvelles routes de la soie. La France a toute sa place dans ce développement, de par son histoire, ses capacités scientifiques et techniques et sa géographie.

2) Il faut rompre radicalement avec la destruction néo-libérale de notre économie et aller vers une économie socialiste de marché. C’est tout à fait cohérent avec la tradition française, et en particulier avec les choix du CNR et la politique des “jours heureux” : planification, nationalisation des industries clés, développement des transports, de l’énergie nucléaire, investissements majeurs dans la recherche, la culture et l’éducation, électrification poussée et automatisation de l’industrie …

3) Cela a des implications politiques fortes (on ne va pas pouvoir organiser une nouvelle trajectoire pour notre pays avec les anciens dirigeants, partis, intellectuels et médias à la barre) : retour à la souveraineté nationale avec le rétablissement du résultat du référendum de 2005 et la sortie du traité de Lisbonne, établissement d’un pouvoir populaire avec développement d’un parti communiste à influence de masse et d’institutions ouvrières capables de faire le lien entre la volonté populaire et les décisions politiques nécessaires …

La France aspire à tourner la page des catastrophiques 20 dernières années (et des décennies qui les ont précédées et préparées). Le rôle et l’utilité de notre parti est d’ouvrir ce débat sur le socialisme, la France et sa place dans le monde de demain, non seulement en son sein, mais autour de lui, et en particulier, dans la classe des travailleurs, les prolos, la classe révolutionnaire.

Views: 235

Suite de l'article

3 Commentaires

  • HELOIR
    HELOIR

    Une petite remarque.
    A ma connaissance, internet (www) a été mis au point au CERN à Genève par un britannique et pas en France. C’est donc le résultat d’une vaste collaboration internationale…

    Répondre
  • Xuan

    C’est une excellente synthèse de nos discussion. Nous devrions attacher davantage d’importance à la question du protectionnisme.
    L’indépendance de la France est une nécessité, mais en parallèle l’extrême droite prêche pour le protectionnisme et ce courant de pensée existe aussi chez les communistes.
    Le protectionnisme et le repli sur soi ne permettent pas le développement, au contraire ils enferment le pays dans le passé et le coupent de tout ce qui progresse au niveau international.
    Nous avons déjà évoqué ce sujet, qui exige une étude économique approfondie.
    Nous ne trouverons peut-être pas les solutions immédiatement mais le problème devrait être posé en se fiant aux faits et pas à des grands principes.

    Répondre
    • admin5319
      admin5319

      tout à fait d’accord et c’est le problème des français en particulier, être incapables de voir ce qui a chang depuis le front populaire, la guerre froide, la lutte contre l’UE :

      Le Premier ministre chinois Li Qiang a affirmé lundi que l’économie mondiale faisait face à des défis croissants en raison d’une tendance à la « démondialisation », lors d’une réunion à Pékin de responsables des principales institutions financières multilatérales.

      « Dans le contexte actuel de ralentissement de la croissance économique mondiale, ce problème entraîne une hausse de l’incertitude, perturbant profondément le fonctionnement de l’économie mondiale », a déclaré Li Qiang.

      « Certains pays augmentent considérablement les droits de douane, dressent des barrières protectrices et multiplient les restrictions commerciales », a-t-il ajouté.

      Le numéro 2 du gouvernement chinois s’exprimait lors de l’ouverture d’un sommet organisé à Pékin nommé « Dialogue 1+10 », auquel participent les dirigeants d’organisations internationales telles que le Fonds monétaire international (FMI), l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et la Banque mondiale.

      Les discussions porteront sur l’importance de maintenir la coopération internationale pour stimuler la croissance, ou encore sur les efforts de la Chine pour réformer et moderniser son économie, selon les médias d’Etat chinois.

      Les dirigeants chinois cherchent activement à soutenir le commerce extérieur dans un contexte de retour à la Maison blanche de Donald Trump, qui a promis d’augmenter les droits de douane sur les importations chinoises.

      « Depuis 2020, le nombre de mesures commerciales discriminatoires en matière de commerce et d’investissement ont augmenté de plus de 5.600 par an, contre 3.000 auparavant », a dénoncé lundi le Premier ministre chinois.

      « La tendance à la démondialisation devient de plus en plus grave », a-t-il ajouté.

      La Chine fait face à une consommation interne en berne, à une crise persistante du marché de l’immobilier et à un contexte international défavorable à ses exportations.

      Peu avant le discours de Li Qiang, les autorités chinoises ont publié les chiffres de l’inflation pour le mois de novembre, en baisse à +0,2 % par rapport à l’année précédente, un nouveau signe d’une demande intérieure morose.

      Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.