Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Jean claude Delaunay : la révolution numérique. Indications bibliographiques

Jean claude de sa lointaine Chine nous envoie cet article assorti du message suivant : je te propose un court texte d’indications bibliographiques sur la révolution numérique en cours. C’est un survol de la littérature sur ce sujet. Je pense que cela peut notamment intéresser de jeunes lecteurs et des militants qui veulent se documenter ou faire un cours sur ce sujet. J’ai un autre texte en préparation qui portera sur “les trois révolutions, industrielles et numérique, et leur effet sur l’exploitation du travail”. Voila si notre blog histoireetsociete peut contribuer à réveiller à travers les communistes notre peuple du cauchemar chauvin et belliciste dans lequel il va vers l’autodestruction et fournir une base théorique à la combativité et l’espoir nous aurons accompli notre mission en créant les conditions du dépassement des concurrences, des divisions, merci Jean Claude. (note de DB pour histoireetsociete)

LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

La Troisième Révolution, actuellement en plein développement est certainement l’une des réalités parmi les plus importantes à observer et à comprendre aujourd’hui. Elle est importante pour les communistes, puisque ces derniers ont pour référence théorique le marxisme, dans lequel le progrès des forces productives, porté contradictoirement par la lutte des classes, est «l’élan vital» de l’histoire. Mais elle l’est aussi pour des syndicalistes, soucieux, par exemple, de relocaliser des activités industrielles dans leur pays et sans doute aussi pour bien d’autres personnes.

Cette note est un très rapide et certainement très incomplet survol de la littérature marxiste ou para-marxiste sur ce sujet, en France, un peu en Europe et chez les anglo-américains. Celle ou celui qui voudrait commencer à réfléchir sur la Troisième révolution avec un certain répérage marxiste pourrait, je l’espère, trouver matière dans les indications et textes ici indiqués. C’est en tout cas l’intention.

LES BASIQUES

A ma connaissance, on dispose, en France, des écrits de plusieurs auteurs marxistes sur la révolution numérique, communistes ou non. Il ne s’agit pas de restreindre aux marxistes les livres ou articles susceptibles d’être lus pour commencer à se documenter et réfléchir sur cette révolution. Mais il faut bien partir de quelque chose et c’est surtout aux marxistes ou à ceux abordant des thèmes proches du marxisme qu’il est fait référence dans cette note.

Cette troisième révolution, Paul Boccara l’a appelée «Révolution Informationnelle». Je crois qu’il fut le premier à le faire. Il n’est pas sûr que le nom qu’il lui donna fût une réussite. Il en creusa le concept selon un certain angle de vue. En raison de sa formation littéraire et de son érudition marxiste, il chercha, tout en analysant cette révolution, à montrer les luttes auxquelles elle donnait lieu dans le cadre des rapports sociaux capitalistes.

Pour lui, la révolution informationnelle était la combinaison des ordinateurs et de l’information. Les ordinateurs étaient, dans cette révolution, l’équivalent du cerveau humain, de même que, dans la révolution industrielle précédente, les machine-outils avaient été l’équivalent des bras humains. Quant à l’information, elle était la nourriture naturelle de ce cerveau. Or dans le cadre du capitalisme, les ordinateurs devenaient du capital et les informations des marchandises. Il s’en suivait que, selon un raisonnement que je ne reproduis pas ici, le capitalisme était un énorme stérilisateur des potentialités de la révolution informationnelle. C’est pourquoi Boccara fixait au mouvement révolutionnaire de démarchandiser l’information de façon à la socialiser et à la partager (gratuitement), au lieu de la privatiser et de la rentabiliser de manière exhorbitante, prédatrice et coûteuse.

Tout en émettant diverses remarques à son propos, Xuan a rendu compte de cette conception dans un texte publié le 15 novembre 2024, sur le site d’Histoire et Société. J’apprends que le Temps des Cerises a récemment édité un reccueil d’écrits de Paul Boccara expliquant ce que ce dernier entendait par la «révolution informationnelle». La revue Economie et Politique a publié plusieurs textes de lui sur ce sujet. Au travaux de Paul Boccara, j’ajoute ceux de Frédéric Boccara, en particulier sa thèse de 2013 sur les firmes mulinationales et la révolution informationnelle. Frédéric Boccara est statisticien (INSEE). Il joue un rôle important dans la Section economique du PCF.

Ivan Lavallée, publia en 2002 avec Jean-Pierre Nigoul, puis seul en 2022, au Temps des Cerises, une deuxième édition entièrement revue d’un ouvrage concernant cette révolution. Ils lui avaient donné le nom de Cyber-Révolution. Lavallée a repris cette désignation. En quoi la Cyber-Révolution est-elle différente de la Révolution informationnelle?

Un élément important d’explication de la différence réside d’abord, à mon avis, dans la différence des formations. Ivan Lavallée est un informaticien et un mathématicien. Pour lui l’informatique est une connaissance scientifique. C’est pourquoi, par exemple, il a traité, plus précisément que n’a pas pu le faire Boccara, de la machine de Turing, laquelle n’est pas une machine au sens ordinaire du terme, mais un concept central de l’informatique théorique. Turing était un mathématcien britannique. Il publia en 1936 le mémoire dans lequel il exposait le principe de «sa machine».

L’aspect le plus important de la différence entre les deux est celui concernant l’introduction de la cybernétique dans l’interprétation de cette révolution. Comme l’explique Lavallée, la cybernétique est née pendant la deuxième guerre mondiale. Il fut demandé à Norbert Wiener, le fondateur de cette discipline, d’aider à résoudre le problème suivant : quand une batterie de d.c.a. prend un avion en chasse, les informations qu’elle reçoit et qui commandent le tir sont sans cesse des informations dépassées. Comment corriger cette imperfection?

La cybernétique apparaît comme étant la science de la dynamisation des informations. Car celles-ci, au moment où elles sont enregistrées comme informations, sont déjà fausses. Une batterie de d.c.a. doit donc modéliser et probabiliser le mouvement des informations qu’elle reçoit pour être efficace. Ce qui veut dire que les informations telles que les concevait Boccara, à savoir des informations statiques, ne sont pas suffisantes pour servir utilement d’aliment à un ordinateur et produire de «vrais» résultats. Elles doivent être traitées mathématiquement et constamment enrichies. Le terme de Cyber-révolution introduit les mathématiques dans la définition de la troisième révolution. Sans l’outil mathématique, l’information ne serait rien. Lavallée pense que la cyber-révolution peut grandement aider à résoudre les problèmes écologiques et climatiques d’aujourd’hui.

Dans sa présentation du texte de Xuan, Danielle Bleitrach a complété l’information relative à Paul Boccara en rappelant les écrits de Jean Lojkine sur ce sujet. Lojkine avait travaillé cette question avec un jeune syndicaliste CGT, très motivé. Jean Lojkine l’avait en très grande estime. Bien que reprenant à leur compte le nom de révolution informationnelle, ils n’y mettaient pas le même contenu que Paul Boccara, lequel en était fort marri. Ce qui motivait Lojkine, de formation philosophique mais professionnellement sociologue, était d’abord le terrain. C’était de comprendre, sur la base d’enquêtes, la capacité et la nécessité de l’intervention des travailleurs dans la production et l’usage de l’information. Il était intéressé par la possibilité de développer, à partir de la révolution informationnelle, un socialisme autogestionnaire. Il croyait par ailleurs en la formation d’une classe informationnelle. On pourra consulter l’ouvrage qu’il publia en 1992 aux Presse universitaires de France sur ce sujet. D’autres ont suivi.

Yann le Pollotec, une victime du covid-19, était ingénieur. Il fut en charge, au sein du PCF, de cette troisième révolution et de ses développements. Le concept qu’il utilisait était celui de révolution numérique. Je trouve que ce concept convient mieux que celui de révolution informationnelle, car tout est nombre, comme disait Platon et comme le rappelle Lavallée. Internet permet d’accéder aisément aux articles que Le Pollotec a publiés sur ce sujet dans diverses revues (Progressistes, La Pensée (n°396), Recherches internationales…). D’une part, en tant qu’ingénieur et étant plus jeune que les précédents auteurs, il a enrichi la littérature de la description de développements plus récentes (les réseaux sociaux, l’intelligence artificielle…). D’autre part, il s’est intéressé à la façon dont l’impérialisme contemporain (qu’il appelait le capitalisme globalisé) s’appropriait ces découvertes pour faire la guerre. J’ai noté son article « Crise du capitalisme globalisé et Mutation du paysage militaire», RI, n°116, 2019).

D’AUTRES AUTEURS

Parmi les auteurs académiques de référence critique et marxistes je retiens le nom de Cédric Durand et son «technoféodalisme». Pour lui, la troisième révolution aurait donné lieu à la formation d’entités énormes. Dans le contexte du capitalisme, ces entités auraient tendance à se replier sur elles-mêmes et à devenir prédatrices. Pour sauvegarder leurs profits, elles crééraient des féodalités. Je note également son intérêt pour le concept de capital fictif de Marx. Avec Ramzig Keucheyan, il a publié un article en 2019, dans Actuel Marx.

L’époque est favorable à l’éclosion des concepts. De Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau, j’indique un article paru dans les Nouveaux Cahiers du Socialisme, n°31, Hiver 2024, traitant du «capitalisme algotithmique». Ils ont publié un ouvrage, Le Capital Algorithmique, EcoSociété, Montréal, Quebec, 2023.

On observe combien la dimension de la prédation caractérise quasiment toutes les analyses de l’impérialisme contemporain, alors que les agents de ce système utilisent la révolution numérique. Je renvoie notamment à divers articles de Bernard Gerbier, de Grenoble, ainsi que de Michel Husson (IRES), aujourd’hui décédé, sur le thème de la prédation impérialiste et la baisse de la productivité du travail qu’elle a engendré.

J’ai demandé à Baran Dylek, un informaticien marxiste qui collabora au site Histoire et Société, un homme sympa comme tout, ce qui ne gâte rien, de m’indiquer quelques noms d’auteurs français et étrangers, plutôt marxistes ou marxistes, ou communisants, pouvant être lus sur cette 3ème révolution. Pour les anglo-saxons, il m’a cité plusieurs noms à commencer par celui de Nick Chavez, qui a publié en français, sur le site Agitations (09/09/2022) «Penser le Communisme. Le présent et l’avenir des ingénieur-e-s», un article traitant de la place des ingénieurs dans la société. Dans la pensée marxiste, il y a les ouvriers (avec des approximations), les «classes populaires», sorte de boîte noire médiane, et les autres (je schématise). Les catégories socio-professionnelles ont hérité d’une nouvelle catégorie : les professions intermédiaires. Mais que fait la révolution numérique? Bouleverse-t-elle complètement, un peu, beaucoup, les classifications précédentes? C’est un sujet de première grandeur. J’ajoute ici le livre de Nick Dyer-Witheford, Cyber-Proletariat, publié par Pluto Press, Toronto, en 2015.

Les ouvrages importants dans le domaine de la révolution numérique sont très souvent écrits en anglais, ce qui peut être une difficulté de lecture, voire même pour certains, une impossibilité. Les sofwares de traduction sont donc aujourd’hui un outil indispensable, en tout cas pour nous Français. C’est ainsi que The Telekommunist Manifesto, est un recceuil de textes, réalisé par Dmytri Kleiner et d’autres, publié en anglais. Le lieu d’édition en est Amsterdam. Ces textes sont issus d’un groupe qui fut basé à Berlin. L’idée en est que la «communitisation de la propriété des actifs immatériels» n’est pas suffisante pour éliminer le pouvoir des propriétaires privés de ces actifs. Il convient de la compléter par l’auto-organisation des travailleurs de l’internet. Ce texte, qui porte clairement la trace du marxisme allemand, apparaît comme étant une sorte d’écho des débats ayant eu lieu sur les limites de la nationalisation des actifs matériels pour que les travailleurs en aient la disposition.

Dans le même ordre de préoccupations, l’ouvrage (très connu) de Shoshana Zuboff; The Age of Surveillance Capitalism, NY,NY, 2019, est une approche critique de la civilisation de l’information. Marx aurait montré que le capitalisme visait à «vampiriser» le temps des travailleurs. Cela dit, aussi cruel qu’ait été ce système, le capitalisme, selon elle, aurait eu, au moins, une dimension de réciprocité grâce au marché. Cette dimension disparaîtrait avec la civilisation de l’information, qui serait le système visant à vampiriser tous les aspects de la vie. La société de l’information ne sera donc pas notre maison sans que nous agissions pour qu’il en soit ainsi. Les références de Zuboff ne sont pas celles de Marx. Elle se réclame d’une diversité composite, Arendt, Polanyi, Sartre…

Voici deux ouvrages d’auteurs britanniques ayant trait à l’automation. L’un est de Aaron Bastani, Fully Automated Luxury Communism, Verso, London, 2019. Après avoir rappelé les «prédictions» de Fukuyama, Bastani indique que le capitalisme est en pleine crise, écologique, économique, sociale. Pour lui, ce qu’il appelle La Troisième Rupture, est en mesure d’offrir une issue, celle indiquée par le titre de son ouvrage. L’autre est de Jason Smith, Smart Machine and Service Work, Reaktion Book, London, 2020. J’interprète la publication de ces livres comme un écho du Fragment sur les Machines, de Marx. Cet avénement serait rendu possible grâce à la Révolution numérique. Mais ce n’est qu’une interprétation.

Ce qui me paraît intéressant est que ces visions de l’automation sont pensées dans une société capitaliste en stagnation. Le socialisme est le système nécessaire des rapports sociaux de production à notre époque technique. C’est lui qui permettra l’automation de la production et la mise en route de l’abondance. Mais, ainsi que le dit Bastani, expliquer à un capitaliste que le socialisme est aujourd’hui une exigence, c’est à peu près comme chercher à lui faire comprendre qu’il n’y a que deux angles dans un triangle.

Je vais terminer cette note bibliographique par un livre contestataire des précédents, de Kate Crawford, Atlas of AI, Yale University Press, New Haven, 2021. Mais sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. Selon elle, l’Intelligence Artificielle ne serait ni intelligente ni artificielle. Ce thème est repris par Jeffrey Reid dans : «AI as an Ideology, A Marxist Reading». Jeffrey Reid est professeur (Université d’Ottawa). Le texte en question date de 2023. C’est une sorte de Working Paper. Il est aisément accessible via internet.

ELEMENTS DE CONCLUSION

Je viens d’indiquer le nom et les écrits d’une quinzaine d’auteurs. Jl me semble que la lecture de ces travaux peut constituer une base de départ pour quiconque voudrait se documenter sur la Révolution numérique. Plusieurs thèmes se dégagent. Je note les dix points suivants :

  • Comment appeler cette révolution? Quelles en sont les caratéristiques majeures?
  • Comment a-t-elle évolué depuis la fin du XXe siècle?
  • Comment les sociétés capitalistes (impérialistes) intègrent-elles cette révolution? Pour en faire quoi?
  • Comment caractériser les travailleurs de cette révolution?
  • Comment cette révolution modifie-t-elle la sociologie de l’époque précédente?
  • A quels nouveaux concepts économiques donne-t-elle naissance?
  • Comment affecte-t-elle le travail et la vie des travailleurs?
  • Quel est son rapport aux écrits de Marx?
  • Cette révolution est-elle une introduction à une société socialiste? communiste? A quelles conditions?
  • Quels sont les aspects négatifs et idéologiques de cette révolution?

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