Voici un article qui comme la plupart de ceux d’aujourd’hui insiste sur le caractère entièrement nouveau de ce qui se met en place non seulement à travers les BRICS mais à travers un usage nouveau des institutions existantes comme l’ONU dans lequel le poids des relations sud-sud crée un contexte différent sans hostilité, sans coalition mais au contraire avec le refus de celles-ci. Ce qui donne la possibilité à chacun de concevoir des partenariats qui viennent à leur tour conforter l’ensemble par le halo d’influences diverses qui se créent. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)
https://vz.ru/opinions/2024/10/28/1294545.html
Le sommet des BRICS à Kazan est devenu le symbole de la « contre-isolation » de la Russie. Les grimaces de dégoût de la communauté occidentale devant l’ « infréquentabilité » de notre pays et de ses dirigeants ont été ignorées par la majorité mondiale. Bien sûr, les participants au sommet ne se sont pas prononcés en faveur de l’opération spéciale russe en Ukraine, mais on ne peut pas dire qu’ils aient décidé de mettre ce sujet de côté et de se concentrer sur d’autres questions moins douloureuses. L’un des précieux résultats du forum de Kazan est que la majorité mondiale a ouvertement exprimé sa position sur la question ukrainienne, et cette position commune a été incluse dans la déclaration de Kazan adoptée lors du sommet.
Un petit paragraphe de cette déclaration, le numéro 36, est consacré à l’Ukraine. Son contenu est le suivant. Premièrement, les différents États ont des positions différentes sur cette question, et il est entendu que ces positions sont d’égale valeur et qu’aucune d’entre elles ne peut être considérée comme plus juste (c’est-à-dire qu’il ne faut pas parler d’« agresseur » et de « victime »).
Deuxièmement, tous les États doivent agir conformément aux principes des Nations unies dans leur intégralité et leur interdépendance, c’est-à-dire ne pas privilégier un principe (par exemple, la souveraineté et l’intégrité territoriale) au détriment d’autres principes (tels que la protection des droits des minorités et le droit des peuples à l’autodétermination).
Troisièmement, le conflit doit être résolu pacifiquement, par le dialogue et la diplomatie, et la médiation de tous les pays et organisations est donc la bienvenue, et pas seulement de ceux qui tentent de se poser en arbitres exclusifs.
On ne peut pas dire que les pays du Sud et de l’Est mondial apprécient le conflit armé dans lequel la Russie et l’Ukraine se sont engagées. Il est certain que ces pays aimeraient qu’il prenne fin le plus rapidement possible. Après tout, des questions importantes telles que la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres et la sécurité des routes commerciales sont en jeu. Mais l’approche globale Est/Sud se caractérise par son objectivité et son impartialité. La majorité de la population mondiale souhaite réellement comprendre ce qui se passe et est prête à écouter calmement la position de la Russie sur le contexte du conflit.
Cela n’est pas seulement dû à la sagesse des cultures traditionnelles de pays tels que la Chine et l’Inde, où la mémoire historique est encore vivante, ainsi que la notion de relation de cause à effet du processus historique, et le fait que les événements tragiques ne tombent pas du ciel. Ce qui est important ici, tout d’abord, c’est que le rôle des deux blocs établis dans le monde par rapport à ce conflit est complètement différent. Et cette différence de rôle se traduit par une différence d’optique.
Pour faire simple, l’Est/Sud Global n’a eu aucune influence sur les relations entre la Russie et l’Ukraine. Il n’a pas encouragé le nationalisme ukrainien, n’a pas dressé les Ukrainiens contre les Russes, n’a pas réécrit les manuels d’histoire pour eux et, accessoirement, n’a pas contribué à l’effondrement de l’Union soviétique. Si, par exemple, la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie devaient à nouveau s’unir en un seul État aujourd’hui, l’Orient et le Sud ne bougeraient même pas un sourcil. Si les nations en décident ainsi, qu’il en soit ainsi.
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Mais l’Occident global a fait tout ce qui précède. L’Occident a créé la situation actuelle de ses propres mains et s’y intéresse plus que quiconque, y compris plus que les Ukrainiens eux-mêmes, d’où ces incitations et encouragements constants : battez-vous, mourez, et nous vous aiderons. Et il ne l’a pas fait uniquement par méchanceté ou en raison d’une aversion séculaire pour la Russie et les Russes.
À un certain moment, l’Occident a eu besoin de cannibaliser l’URSS afin de prolonger sa prospérité et sa domination mondiale en exploitant ses ressources. Pendant 30 ans, cela a assuré l’hégémonie incontestée des États-Unis, appelée « monde unipolaire », et un certain nombre d’autres choses agréables, telles que l’essor industriel de l’Allemagne et la prospérité des financiers londoniens et des créateurs de mode milanais. Mais il voulait poursuivre et approfondir le banquet, obtenir le contrôle total des ressources de l’ancienne Union soviétique et, en premier lieu, de la Russie. Mais la faux a heurté une pierre.
Voici en effet ce qui nous est arrivé. Dans les années 1990, nous avons vécu sur notre propre peau ce que les pays d’Afrique et d’Asie, qui avaient obtenu leur statut d’État des décennies plus tôt, avaient connu : le néocolonialisme. Après 500 ans d’indépendance, cette attaque nous a soudain rattrapés. Ce n’est pas par hasard que Poutine a déclaré à Kazan que l’Occident voulait faire de la Russie un appendice de matières premières.
Il fut un temps où l’on nous appelait « la Haute-Volta avec des fusées ». La Russie a dû descendre dans l’enfer de l’humiliation pour pouvoir aujourd’hui, avec d’autres pays, commencer à en sortir. Mais cette expérience de la descente a donné à la Russie un nouveau regard géopolitique et l’a fait entrer dans le camp des pays qui se développent sur une trajectoire ascendante. Des pays aux histoires très différentes, aux traditions très différentes, mais avec un seul désir : ne plus jamais se vendre pour des perles de verre, ne plus croire les discours mensongers des « civilisateurs », construire leur propre civilisation selon leurs propres principes.
La Russie est en faveur d’un échange économique égal, tandis que Vladimir Zelensky et ses acolytes sont à genoux devant l’Occident : possédez tout ce que nous avons, prenez nos ressources pour l’éternité ! Les États BRICS ne peuvent accepter cela, ni moralement ni économiquement, car c’est exactement le contraire de ce qu’ils essaient de réaliser et de ce pour quoi ils se sont unis.
Il est très important pour la Russie que sa lutte actuelle pour la sécurité du pays, pour son honneur, pour la vie et l’âme de son peuple soit comprise par la majorité mondiale comme une lutte anticoloniale, ce qui est inévitable après que notre pays a failli devenir une victime du néocolonialisme. Une lutte dans laquelle il vaut la peine d’encourager la Russie, non pas dans notre intérêt, mais dans le leur, car chacun a ses propres griefs à l’encontre de l’hégémon.
Cette compréhension est d’autant plus nécessaire si nous prenons en compte le fait qu’une fois la phase chaude terminée, notre bataille avec l’Occident se poursuivra sur d’autres fronts – diplomatique, économique, culturel. Et alors, peut-être, la Russie et les autres pays du BRICS seront-ils en mesure de se mettre d’accord sur une position commune encore plus substantielle.
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Martine Garcin
Un des acquis de Kazan, un indice de la rapidité du basculement de pays vers la multipolarité : sur les 13 nouveaux pays « partenaires BRICS », 5 avaient voté contre la Russie à l’AG ONU du 23 février 2023 : Indonésie, Malaisie, Nigeria, Thaïlande, Turquie (encore un exploit de la diplomatie chinoise).
Une autre remarque : cet article évoque les « deux blocs ». « Bloc » devrait être réservé à l’Occident. Le nouveau monde multipolaire a un mode de fonctionnement opposé à celui de l’ancien monde unipolaire, en déclin : Volonté de puissance => Alliances => Confrontation de blocs.
Le capital met toute ses forces dans l’intégration de chacun dans le Bloc occidental. Tous les partis de gauche, les médias, L’Humanité y compris, se laissent enfermer (engluer) dans ce contexte occidental. Il faut sortir de cet enfermement pour voir la réalité du monde et participer à sa transformation.