Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Youri Levitan, la voix de l’URSS, par Victoria Nikiforova

Gmar Hatima Tova ! Aujourd’hui je t’inscrirai dans le Livre de la Vie! m’a dit mon frère dans cette journée de jeune de Kippour alors que nous n’osons plus nous parler depuis des mois, de peur de l’affrontement autour de ce qui est accompli en notre nom, révolte, complicité, ce n’est que le paroxysme de ce qui est exigé de tous les peuples aujourd’hui, au nom d’un pseudo “nationalisme”, le choix de la mort, la nôtre et celle des autres, le fascisme, une course sans issue vers l’anéantissement… Le trafic de la mémoire, le mythe qui recouvre l’histoire réelle fait partie de ce macabre… S’inscrire au livre de la vie c’est se battre ensemble pour que s’arrêtent les guerres, les massacres, les provocations, l’escalade sans fin, se souvenir de ce temps où effectivement nous n’avons pas accompagné la mort mais choisi la vie aux côtés de l’URSS, de l’armée rouge… Qu’il puisse exister des juifs fascistes ou soutenant par peur les fascistes est la preuve que l’on peut faire n’importe quoi de n’importe quel peuple, individu… (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)

https://ria.ru/20241002/levitan-1975750968.html

Il y a cent dix ans naissait la première voix du pays

Et le camarade Levitan nous dira à la radio : « Le temps est clair partout, le brouillard s’est dissipé ! » – Le couplet amusant de Velurov dans le film « La Porte Pokrovski » reflète l’essentiel : pour des générations de Soviétiques, la voix de Levitan était la vérité en dernière instance. Ils le croyaient sans réserve, puisqu’il l’avait dit, il en serait ainsi.

Lorsqu’on a demandé à Youri Gagarine à quel moment il avait pris conscience de l’ampleur de son exploit, le premier des cosmonautes a répondu : « lorsque j’ai entendu Levitan l’annoncer ». De nombreuses personnes – héros de la guerre et du travail, conquérants de l’espace – ont ressenti la même chose. La voix de Levitan n’incarnait pas seulement l’histoire, elle l’a créait en quelque sorte.

Né dans la campagne russe au sein d’une famille juive pauvre, Youri Levitan est l’incarnation vivante de la poussée sociale sans précédent que le régime soviétique a apportée à des millions de personnes. À l’âge de seize ans, alors qu’il vient à peine de terminer l’école, il s’enfuit de chez lui et vient à Moscou pour s’inscrire à l’Institut de cinématographie afin d’y étudier le métier d’acteur.

Il échoue aux examens, mais se présente au concours de speaker du Comité de radiodiffusion du pays. Il a d’abord travaillé pour le comité en tant qu’agent de service, puis en tant que stagiaire. Tout le monde appréciait sa basse étonnante, mais était gêné par son accent du Nord à couper au couteau.

Mais toutes ces préventions ont été balayées grâce à un travail d’une diligence et d’une efficacité monstrueuses – Levitan travaillait jour et nuit sur la diction, répétait en boucle des virelangues, vérifiait les accents toniques. Les meilleurs spécialistes lui ont prodigué des conseils, comme par exemple le célèbre acteur Vassily Katchalov, et le livre de chevet de Levitan était « Le travail de l’acteur sur lui-même » de Stanislavsky. Enfant, le futur présentateur était impressionné par les performances de Maïakovski, et il semble que les intonations du poète aient été conservées et réinterprétées de manière créative dans sa diction.

Le présentateur radio du Comité d’État du Conseil des ministres de l’URSS sur la radiodiffusion, Youri Borisovitch Levitan, lit un message du Sovinformburo.

Le résultat ne se fit pas attendre : Levitan n’avait que dix-neuf ans lorsque Staline lui confia la lecture de son rapport au XVIIe congrès du parti communiste des bolcheviks (b). Après ce marathon de quatre heures et demie, sa basse profonde, sans précipitation, avec un écho métallique, rappelant le chant lointain des trompettes de cuivre, se grava dans la mémoire de millions d’auditeurs de la radio et les enchanta.

Il est difficile pour nous, aujourd’hui, d’imaginer la grave famine d’information dans laquelle vivaient nos ancêtres sur les vastes étendues du pays. Pas de télévision, pas de réseaux sociaux, pas de téléphones portables, pas d’Internet. La seule fenêtre sur le vaste monde était la radio. Les artistes de l’époque aimaient peindre des images de personnes rassemblées autour d’un club de village ou d’une place de la ville, écoutant attentivement la radio. Dans la plupart des cas, c’était Levitan qu’ils écoutaient.

Yourbor, comme le surnommeront plus tard les collègues de Youri Borissovitch, parlait des principaux événements de la vie du pays – l’exploit des sauveteurs du Tcheliouskine, les vols de Tchkalov. Et puis vient le 22 juin 1941, et pendant quatre ans, Levitan devient la voix de la grande guerre.

Ses mots : « Attention ! Ici Moscou ! Toutes les stations de radio de l’Union soviétique vous informent » produisent encore le même frisson sur la peau que la chanson « Debout, vaste pays ! » Combien il était important d’entendre cette voix pour des millions de personnes dans le monde entier, combien les blessés dans les hôpitaux et les ouvriers sur les machines, les étudiants dans les universités et les fermiers collectifs dans les conseils de village happaient ses paroles avec avidité. Cette voix donnait de la force, inspirait l’espoir, soutenait dans les moments les plus difficiles.

D’ailleurs, Levitan ne devait pas seulement raconter les victoires. À l’automne 1941, il a parlé de la retraite de nos troupes, de l’abandon des villes. Et pourtant, il a réussi à le faire de manière à ce que les gens n’abandonnent pas, qu’ils ne perdent pas espoir. Oh, comme nous aurions besoin aujourd’hui de ce talent : dire la dure vérité sans tomber dans le travers du défaitisme !

Prêtez attention à la lenteur avec laquelle Levitan parle en lisant les rapports de l’Informburo soviétique. Les journalistes des différentes régions du pays notaient ces bulletins à la main et les transmettaient ensuite à leurs journaux locaux. C’est ainsi que se déroulait à l’époque la guerre de l’information, au cours de laquelle nos ancêtres ont brillamment vaincu les nazis européens.

Le présentateur de la radio soviétique, Youri Levitan, enregistrant un programme en studio. Sverdlovsk, 1941

L’énorme responsabilité de chaque mot, la modestie, l’incroyable assiduité (Levitan a enregistré environ 60 000 émissions de télévision et de radio au cours de sa vie !) – telles sont les qualités que Yourbor a cultivées chez lui et chez ses collègues. Il a établi l’étalon de notre profession et nous essayons de nous y conformer, d’autant plus que Rossiya Segodnya et RIA Novosti tirent leurs origines de Sovinformburo. D’une certaine manière, nous sommes tous “sortis du manteau” (1) de Levitan, bien qu’il ait toujours porté des vestes élégantes et qu’il ait été une icône du style, comme on dirait aujourd’hui.

Pendant la guerre, Levitan et plusieurs autres présentateurs ont été transportés vers et depuis les lieux d’évacuation dans le plus grand secret. Cependant, depuis 1949, il travaillait dans la légendaire Maison de la radio de Moscou, au 25 Pyatnitskaya. C’est de là qu’émet aujourd’hui notre radio Sputnik.

Levitan a informé le monde de notre victoire et de la capitulation de l’Allemagne, du vol de Youri Gagarine, de la crise des Caraïbes. Mais à l’époque de Brejnev, les dirigeants estimèrent que sa voix ne correspondait plus à l’époque. Il était trop majestueux, il donnait de l’ampleur à tout, il rappelait des réalisations grandioses et appelait à de nouvelles victoires. Cela ne correspondait pas aux années 70. Yourbor s’est alors reconverti dans l’enseignement et il a formé plusieurs générations de professionnels de haut niveau, à qui il a transmis ses connaissances, son attitude à l’égard de sa profession et son amour des gens.

On l’a appelé la voix de la guerre et la voix de la victoire, mais en fait, Youri Levitan était la voix du peuple. Le grand peuple soviétique qui a gagné la plus terrible des guerres, conquis l’espace, maîtrisé de gigantesques espaces sans vie et construit un pays unique et magnifique.

Une fois par semaine, je viens à Radio Sputnik à la Maison de la Radio. Non loin de l’entrée, il y a une plaque commémorative avec un buste de Levitan. Presque chaque fois que je la vois, quelqu’un la prend en photo ou en selfie. C’est étrange et réjouissant de voir un hipster moderne saisir dans l’objectif le visage de l’homme qui a un jour annoncé au monde entier : « La grande guerre patriotique menée par le peuple soviétique contre les envahisseurs nazis s’est achevée de manière victorieuse ! L’Allemagne a été complètement vaincue ».
Cette voix vivra à jamais – et elle résonnera à jamais des échos lointains des trompettes de cuivre appelant à la victoire.

(1) Allusion à la fameuse phrase de Tourgueniev, reprise par Dostoïevski : « Nous sommes tous sortis du “Manteau”de Gogol.»

Levitan annonce l’attaque allemande et le début de la guerre

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