Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

« La voie rouge » : histoire d’un journal communiste de Sibérie

Voilà encore une histoire, celle de la manière dont les communistes russes confronté à l’interdiction, puis à la pression constante du pouvoir des oligarques, la cinquième colonne de l’occident, a tenu bon malgré les répressions. Il a fallu après l’interdiction du PCUS, reconstituer le KPRF, recréer des cellules, des organismes de direction dans diverses républiques, chacune avec leur histoire propre. Il est décrit ici l’importance d’un journal dans la région d’Omsk, tout à fait dans le prolongement du Que faire ? de Lénine… Nul doute que si nous tentons de publier ce texte dans les réseaux sociaux, Facebook il sera impitoyablement censuré comme il le sera par Kamenka dans l’Humanité, Roubaud Qashie ailleurs, y compris dans les groupuscules où l’on préfère s’attaquer au PCF qu’au donneur d’ordre le capital. Le tout avec la bénédiction de ce mélange de “foi” du charbonnier et d’impuissance que l’on a réussi à créer dans le PCF, dans les groupuscules, dans la gauche sous toutes ses impasses social-démocrates, et donc dans l’ensemble de la société française. Mais comme le pessimisme est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre, constatons que c’est au PCF qu’apparait Liberté-actus et des sites qui tentent de remonter les chutes du Niagara de la propagande-censure… (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop pour histoireetsociete)

https://kprf.ru/party-live/regnews/228867.html

Entretien réalisé par Natalya YAKOVLEVA pour la Pravda. 2024-09-19

Alexandre Kravets, député à la Douma d’État des IIe, IIIe, IVe, VIe et VIIe convocations, premier secrétaire du Comité régional d’Omsk du KPRF, qui a été à l’origine du journal « La Voie rouge », raconte de quelle façon tout a commencé.

L’énergie de la haine

En 1994, notre organisation n’en était qu’à ses débuts : environ 2000 communistes dans la région, 39 cellules. « Un journal n’est pas seulement un propagandiste et un agitateur collectif, mais aussi un organisateur collectif » – Vladimir Lénine l’avait compris grâce à son génie. Mais un journal, c’est aussi de l’argent et du personnel, sa publication et sa distribution sont une tâche extrêmement difficile, surtout dans la lutte constante contre l’opposition des structures de pouvoir : des forces de l’ordre aux administrations de différents niveaux, qui bloquaient tous les canaux. Même les petites imprimeries ne nous passaient pas de commandes.

Nous avons réussi à nous mettre d’accord uniquement avec une usine et, à la fin du mois de juin 1994, le numéro zéro de « La Voie Rouge » a été publié. Il s’agissait de quatre pages en noir et blanc, tapées sur une linotype. Elles ont été réalisées par deux personnes, toutes deux non journalistes, dont Oleg Vladimirovich Sosedov, ancien technologue en chef de l’usine. Et comment le rendre accessible aux masses ? Je pensais que le journal ne devait pas être gratuit : ce qui est donné gratuitement n’est pas apprécié. Mais il y avait des doutes au sein de l’organisation.

Dans les kiosques de « Rospechat » [“Presse russe”], avec lesquels nous semblions avoir conclu un accord, ils ont commencé à cacher le journal sans le mettre en évidence : on a même dû mettre en place une veille. Mais ensuite ? Même si tout se fait sur une base volontaire, il faut acheter du papier. Nous avons lancé un projet de collecte de fonds pour « La Voie Rouge ». Il y avait des virtuoses de la collecte, par exemple Fiodor Sergueïevitch Nasonov – vétéran de la guerre, ancien responsable du parti, qui a fait le tour des anciens responsables du parti dans l’administration régionale, a fait appel à leur conscience. Même Vladimir Varnavsky (président de l’assemblée législative de la région) est devenu notre donateur. D’autres personnes désintéressées ont donné de l’argent malgré les terribles besoins des années quatre-vingt-dix. Il était important pour eux de soutenir le parti – ils étaient contre tout le mal qui était fait à notre pays. C’est ainsi que le journal a pu être publié chaque semaine assez rapidement. L’énergie de la haine du nouveau système était un facteur puissant qui animait le parti et le journal à l’époque.

Comme pendant la guerre

Un autre problème s’est posé : l’organisation régionale, les comités de district doivent porter le journal aux abonnés, car il s’agit d’un moyen de communication unique – un accès direct aux gens, un contact permanent avec eux. Nous avons 32 districts ruraux, la région est plus grande que de nombreux pays européens : de combien d’essence avons-nous besoin, de combien de personnes ? Nous avons commencé à négocier avec les chauffeurs de bus, nous avons réussi à tenir pendant quelques années, mais les autorités ont ensuite fermé ce canal également.

Les problèmes d’impression étaient constants : les imprimeries refusaient. Des anciens camarades se sont impliqués ; ils ont créé l’entreprise « Lithograph » et ont commencé à imprimer : les tirages dépassaient les 20 000 exemplaires. Et en 1996 et en 2000, Guennadi Andreïevitch Ziouganov a remporté les élections à la Douma d’État malgré toutes les falsifications possibles, tandis que la région d’Omsk était le domaine des superoligarques Berezovski et Abramovitch. Et lors des élections suivantes, le tristement célèbre Andrei Galushko a menacé de fermer l’imprimerie. Je lui ai répondu : « Si vous fermez celle-ci, nous en ouvrirons une autre ».

Au bout d’un certain temps, nous avons été forcés de partir et, au milieu de l’hiver, nous avons dû déménager avec l’imprimerie dans le bâtiment à moitié détruit du comité régional. Comme les usines ont été déplacées pendant la guerre, nous avons déplacé notre entreprise. Nous avons construit la presse à imprimer en même temps que la rénovation du comité régional. Lors de “samedis du travail communiste”, des dizaines de personnes ont travaillé héroïquement, se sentant impliquées dans une grande cause.

Mais la vieille machine à imprimer a commencé à avoir des ratés. On en acheta une autre. Il lui manquait des sections pour la couleur, je les ai trouvées à Moscou, l’ingénieur en chef de « Litograph » est venu et les a regardées – elles convenaient. Nous l’avons ramenée, installée, ça ne fonctionnnait pas. Il s’agissait soit d’une négligence, soit d’un sabotage. Nous avons commencé à imprimer dans l’imprimerie commerciale « Irtysh », mais l’administration l’a sabordée. Nous nous sommes rendu compte que nous étions vulnérables dans cette situation. En 2010, nous avons acheté la machine à imprimer la plus moderne à Omsk, équipé une imprimerie et recruté du personnel. Depuis lors, nous imprimons le journal en interne et nos voitures le transportent dans les quartiers chaque semaine. Au début, tout était basé sur le volontariat, sur des considérations idéologiques. Lorsque le parti a commencé à avoir de l’argent, des camarades ont commencé à investir dans les salaires du personnel, et nous avons investi dans l’impression et le transport. Je pense que c’était la bonne stratégie.

Le talent des organisateurs-abonnés était très important. Il y avait et il y a toujours des gens extraordinaires parmi eux. Par exemple, Nina Fyodorovna Rogulina, une pilote, une femme extraordinaire, Fyodor Dmitrievich Letov – un participant à la Grande Guerre patriotique, le père du musicien russe Yegor Letov. Ce n’est pas un hasard si nous avons instauré le prix Fedin, non pas en l’honneur d’un grand écrivain soviétique, mais en l’honneur d’un grand communiste, Ivan Fedin : il avait jusqu’à 500 abonnés, il marchait 20 kilomètres pour livrer les journaux. Si ces gens n’étaient que des mercenaires, nous n’aurions pas réussi.

Notre voie

Le journal changeait d’image, nous cherchions un logo et un nom. À mon avis, nous avons trouvé une bonne solution : la Voie Rouge est la rue principale d’Omsk et la façon dont nous voulons développer le pays. Nous sommes passés à 8 pages, puis à 16. Nous avons débattu du contenu. Faut-il des mots croisés ou une page pour les enfants si le journal est politique ? Je pense qu’un journal de parti devrait être un journal familial. Oui, cela revient plus cher. De plus, il doit être assemblé à partir de trois « cahiers » – nous n’avons pas de machine pour cela dans notre imprimerie. Mais autour de ce travail, les comités de quartier se constituent en collectif de travail.

La rédaction a longtemps été regroupée dans une seule pièce, aujourd’hui elle est déjà dans des conditions plus confortables. Nous avons créé un système unique : un cycle fermé de production de journaux. Et c’est la qualité de l’impression et du personnel qui fait le journal. Bien sûr, mes pages préférées sont le courrier des lecteurs et les commentaires, mais je suis fier de la qualité d’écriture de nos journalistes.

Le principal mérite en revient au rédacteur en chef, le très talentueux journaliste du parti Adam Ostapovitch Pogarsky. Il n’est pas apparu tout de suite, en 1995, et il a fallu toute une combinaison, mais le travail en valait la peine. Il y a eu beaucoup de découvertes, d’idées qui ont été concrétisées.

Nous avons publié des suppléments spéciaux, par exemple lorsque nous avons défendu la Cité Marchande, un marché énorme. En 1998, nous avons publié un numéro spécial consacré à un piquet de grève de longue durée dans le centre-ville ; plus de 5 000 employés d’entreprises d’Omsk ont rempli la ville de tentes pendant plusieurs mois. Le journal a joué un rôle important dans l’organisation et la couverture du plus grand rassemblement de l’histoire d’Omsk, qui a réuni plus de 75 000 personnes. Il y a eu de tout : des procès, des poursuites, notre rédacteur en chef a failli être emprisonné pour avoir émis des critiques, et il y a eu des tentatives pour s’emparer de la base d’impression, allant jusqu’à des combats au corps à corps….

Ce n’est pas un hasard si le journal a été remarqué dans le pays : deux distinctions du parti sont une digne reconnaissance du mérite. Nombreux sont ceux qui ont essayé de reproduire notre expérience de manière simple – sans imprimerie, sans rédaction, sous le contrôle direct du comité régional du parti. Mais cela ne marche pas comme ça.

Une expérience unique

Lors des forums du parti, à la Douma d’État, où chacun apporte ses propres publications, c’est « La Voie Rouge » qui part comme des petits pains. Nous sommes à l’époque des technologies de l’information, mais je ne connais pas d’arme plus puissante pour le parti qu’un journal. Il organise l’organisation elle-même, crée la discipline, l’ordre, la responsabilité. Aucun Internet ne peut se comparer à notre journal, qui reflète l’humeur de centaines de millions de personnes et la réfracte dans la région d’Omsk. Essayez d’organiser une grève par le biais d’Internet. Les troupes de salon ne gagnent pas.

Nous travaillons en contact permanent avec les gens : les yeux dans les yeux, nous ressentons leurs humeurs et leurs sentiments. Et chacun d’entre eux met son travail au service du journal. Nous avons les prix d’abonnement les plus bas d’Omsk, mais nos lecteurs comprennent que ce n’est pas pour s’enrichir, mais pour rallier ceux qui ne sont pas d’accord avec ce qui se passe. Il s’agit d’un projet non commercial.

L’attitude des autorités à l’égard du journal n’a pas beaucoup changé. Mais elles voient que chacune de leurs actions est contrée par nous, et elles réagissent douloureusement à nos publications. Nous ne nous contentons pas de crier que les autorités sont mauvaises, nous cherchons des coupables précis : chaque problème a un nom, un prénom et un patronyme. Bien sûr, les autorités tentent de riposter, mais nous mettons en lumière la vérité. Je lis chaque numéro d’un bout à l’autre. Si vous me demandez quel est mon poème préféré de Pouchkine, je ne vous répondrai pas. Tout comme j’aime Pouchkine dans son intégralité, j’aime le journal la Voie Rouge. C’est une idée de notre organisation régionale qui, comme tout enfant, ne peut pas être parfaite, mais se débrouillera si on l’aide.

L’avenir du journal est entre les mains du comité régional. C’est une tâche absolument politique que de s’engager constamment dans son développement. « La Voie Rouge » est une information matérialisée, un contrepoids à Internet qui, en dépit de tous ses avantages, est un puissant moyen de faire des gens un troupeau. Tandis que notre journal est une source à laquelle on peut s’abreuver si l’on ne veut pas manger de la bouillie. Sans l’Obkom [le Comité régional], il n’y aurait pas de « Voie Rouge », mais sans la « Voie Rouge », l’Obkom n’aurait pas les résultats d’aujourd’hui. Aujourd’hui, dans le contexte de la mort de l’imprimerie dans le pays, ce journal du peuple, absolument indépendant des autorités, est notre avantage politique compétitif.

Les ‘Pravdistes’ félicitent chaleureusement la rédaction du journal « la Voie Rouge » pour cet anniversaire important et lui souhaitent de nouveaux succès dans la lutte pour notre cause commune.

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