Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Pour la Russie, la décolonisation signifie se libérer de l’Occident, par Dmitri Orekhov

Les prédateurs coloniaux ne deviennent jamais végétariens de leur plein grè qu’il s’agisse de la France, de la Grande-Bretagne ou de leur rejeton sanglant les Etats-Unis et toujours la violence dont ils sont porteurs comme une libération… La Russie à la chute de l’URSS a subi ce début de processus, celui d’un Hitler imposant à une race d’esclaves (les slaves) le dépeçage de leur territoire, la balkanisation, l’ignorance de leur histoire et on ne comprend rien à ce que vivent les Russes à travers l’affrontement avec l’OTAN en Ukraine si on ignore ce sentiment mondialisé de décolonisation, ce qui unit de fait la Chine et la Russie, des pays socialistes ou anti-impérialistes mais plus largement un “sud global”. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

https://vz.ru/opinions/2024/9/16/1286245.html

Le terme « décolonisation » ne s’applique à la Russie que si nous l’entendons comme le fait de nous débarrasser du lourd héritage des années 1990, lorsque nous avons failli devenir une colonie de l’Occident.

Ces derniers temps, nous avons souvent entendu parler en Occident de la « décolonisation » de la Russie. Des fonctionnaires des pays de l’OTAN, des oligarques russes en fuite et d’anciens députés en parlent. Une résolution adoptée cette année par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) affirme que la « décolonisation » de notre pays est « une condition nécessaire à l’établissement de la démocratie ».

Lors d’une récente conférence sur l’Ukraine en Suisse, le président polonais Andrzej Duda a déclaré : « La Russie reste le plus grand empire colonial du monde qui, contrairement aux États européens, n’a jamais connu de processus de décolonisation et n’a pas su faire face aux démons de son passé. Nous devons enfin dire que le colonialisme n’a pas sa place dans le monde moderne ». A l’appui de thèses similaires, nos agents étrangers s’expriment également. L’écrivain Boris Akounine (Grigory Chkhartishvili, reconnu en Russie comme agent étranger et inscrit sur la liste des terroristes et extrémistes), par exemple, conseille depuis longtemps à la Russie de se dissoudre, en citant l’exemple de l’Angleterre et de la France qui, selon lui, ont « abandonné leurs empires ».

Les pays occidentaux ont abandonné leurs colonies, nous devons donc abandonner quelque chose. C’est alors que commence le plus intéressant : on nous présente une carte de notre pays divisé en 17 parties ou même en 34 parties. Sur ces cartes, la Russie est divisée en États indépendants : Carélie, Kouban, Mordovie, Tchouvachie, Tatarstan, Altaï, République de Moscou, etc.

Stop, stop, stop. Permettez-moi de vous demander ce que c’est que cela ? Est-ce destiné aux imbéciles ? La Grande-Bretagne s’est-elle « décolonisée » en se divisant en Irlande du Nord, Pays de Galles, Écosse, Angleterre et République de Londres ? La France s’est-elle « décolonisée » en Bourgogne, Normandie, Champagne et Provence (etc) ? Non, rien de tout cela. En outre, Londres et Paris continuent d’administrer des pays lointains pris à l’époque de l’expansion coloniale. La France, par exemple, possède des territoires d’outre-mer dans les océans Atlantique, Indien et Pacifique. Le Royaume-Uni possède des territoires d’outre-mer dans les mêmes régions. Même les petits Pays-Bas (qui, on ne sait pourquoi, ne sont pas divisés en Frise, Zélande, Brabant-Septentrional, République d’Amsterdam, etc.) conservent quelques îles dans la mer des Caraïbes. L’Occident n’a jamais envisagé de « décoloniser » ses pays en fonction des ethnies et des départements !

Quels sont donc ces projets de « décolonisation » de la Russie, jusqu’à Voronej et Smolensk « indépendants » ? Il semble qu’en ce qui concerne la Russie, « décoloniser » signifie « démembrer, priver d’indépendance, détruire ». En principe, un tel glissement sémantique est possible, car les mots changent parfois de sens lexical. […]. Peut-être que le verbe « décoloniser » finira par être utilisé avec ce nouveau sens. Par exemple : « le cuisinier a sorti la pizza du four et l’a décolonisée en huit parts égales ». Ou : « au douzième round, Johnson a décolonisé Smith, l’envoyant au tapis ». Ou encore : « un loup a rattrapé un lièvre, l’a décolonisé et l’a mangé ». Tout cela est possible, mais pour l’instant, le terme « décolonisation » signifie « le processus d’élimination du colonialisme ». Il ne s’applique guère à la Russie, car notre pays n’a jamais eu de colonies d’outre-mer et n’a jamais fait partie des puissances coloniales ; quant à l’Angleterre et à la France, « tout est compliqué », comme on dit.

Voici, par exemple, la Jamaïque, l’une des premières victimes du colonialisme britannique, prise dès 1655. Le chef de cet État est toujours le monarque britannique. Il commande également les forces militaires. D’ailleurs, sur l’île, cette situation est considérée comme scandaleuse, car la famille royale anglaise est associée à la traite des esclaves. Le gouvernement jamaïcain déclare régulièrement son désir de se libérer de la monarchie britannique, ainsi que son droit à des réparations pour toutes les horreurs de l’ère coloniale. Récemment, le vice-ministre jamaïcain des affaires étrangères, Allando Terelong, a déclaré que la Jamaïque devrait être « complètement libre » et espère qu’en 2025, le pays « achèvera les réformes et se débarrassera enfin de la monarchie britannique ».

Alors pourquoi l’Angleterre, si avancée dans la décolonisation, ne va-t-elle pas de l’avant et ne décolonise-t-elle pas ses relations avec la Jamaïque ? Et en même temps avec d’autres pays et territoires d’outre-mer où la couronne anglaise est également considérée comme une relique désagréable du passé ? Pourquoi ne pas libérer Chypre et les Caraïbes de sa présence ? Pourquoi ne pas donner les îles Malvines à l’Argentine et Gibraltar à l’Espagne ?

Ou encore la France. En 1853, elle s’est emparée de la Nouvelle-Calédonie. Lorsque les pays d’Océanie ont commencé à accéder à l’indépendance, la France n’a pas laissé le pays kanak (très riche en nickel, cobalt et autres minerais de métaux non ferreux) naviguer librement. Le pouvoir sur l’île est toujours exercé par un haut-commissaire nommé par le président français. Depuis de nombreuses années, les habitants de la Nouvelle-Calédonie réclament leur indépendance et, au printemps dernier, des émeutes ont de nouveau éclaté sur l’île. Comment la France s’est-elle comportée ? A-t-elle renoncé avec dédain aux « démons du passé » ? Déclaré que le colonialisme « n’a pas sa place dans le monde moderne » ? A déclaré qu’elle n’avait rien à faire sur une île séparée de Paris par 16 738 kilomètres ? Rien de tout cela, la France a interdit les rassemblements publics, a annoncé l’envoi de troupes et a commencé à déplacer des véhicules blindés et des hélicoptères vers l’île ! Selon l’ONU, Paris a « fait un usage excessif de la force » : plusieurs personnes ont été tuées et des dizaines d’autres ont été blessées lors de la dispersion des manifestations. Des centaines de personnes ont également été arrêtées, et les dirigeants du mouvement de libération nationale ont été envoyés en France, où ils ont été déclarés « pillards » et « hooligans ».

Ne soyons pas naïfs. L’Angleterre et la France n’ont procédé à aucune décolonisation. Elles ont été chassées de certaines colonies par la force, ont quitté les pays les plus pauvres, réalisant que le jeu n’en valait pas la chandelle ; dans d’autres cas, les colonisateurs ont accepté de transférer formellement l’indépendance, mais ont conservé une influence économique, militaire et politique.

Les prédateurs coloniaux ne deviennent pas végétariens de leur plein gré, quoi qu’en disent nos agents étrangers à la voix mielleuse. Et aujourd’hui encore, les pays occidentaux font tout pour maintenir leur pouvoir sur les peuples : traités inégaux, tromperies, chantages, coups d’État, interventions militaires, et parfois même partitions sanglantes de pays sur des bases ethniques et religieuses. Nous touchons ici à l’essence même du phénomène dont nous parlons.

À une époque, l’Angleterre, alimentant les sentiments séparatistes des musulmans, a démembré (« décolonisé ») l’Inde du Mahatma Gandhi – en Inde, Pakistan occidental et Pakistan oriental (Bangladesh), ce qui a entraîné la mort d’un million de personnes et le déplacement de quinze millions d’autres. De même, la Belgique a « décolonisé » le Congo de Patrice Lumumba en Congo proprement dit, Katanga et Sud-Kasaï. Il en est résulté une guerre civile et un chaos sanglant. De la même manière, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni ont « décolonisé » la Libye de Mouammar Kadhafi.

Dans le cas de la Russie, il s’agit de la même chose : se venger de la résistance à l’ordre colonial occidental, à l’hégémonie américaine et à l’expansion de l’OTAN. Appeler cela « décolonisation », c’est comme appeler « libération tant attendue des chaînes » le fait de forcer la porte de quelqu’un d’autre.

Mais voici la question : une véritable décolonisation est-elle possible en Russie ? La réponse est oui, si l’on entend par là se débarrasser du lourd héritage des années 1990, au cours desquelles nous avons failli devenir une colonie de l’Occident. La fuite de toutes sortes d’agents étrangers style Gudkov-Ponomarev, qui s’amusent aujourd’hui avec une spontanéité enfantine avec des couleurs géographiques quelque part à Prague, est un symptôme clair de notre rétablissement. La fuite de la bourgeoisie compradore et de ses serviteurs, des personnalités culturelles à la mentalité coloniale (tous ces Akunin, Bykov, Shenderovich, Makarevich) s’inscrit dans le même ordre d’idées.

Bien sûr, le processus est loin d’être achevé et n’avance pas aussi vite que nous le souhaiterions. Mais il s’agit d’une véritable décolonisation, sans guillemets.

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