Il Y a effectivement quelque chose de différent en Russie par rapport à la colonisation européenne, même si l’empire tsariste a participé au dépeçage de la Chine, à savoir (et de ce point de vue elle se rapproche de la Chine elle-même) le refus des conquêtes extérieures. L’URSS son rôle d’aide à toutes les décolonisations ont encore accentué le phénomène mais il a des bases dès le tsarisme. Il suffit par exemple d’être à Kazan pour mesurer à quel point la Russie est présente avec le kremlin local mais aussi la manière dont s’allier avec la noblesse de Kazan était bizarrement un plus pour l’aristocratie russe qui demeurait une noblesse de fonctionnaires… La capacité à intégrer d’autres cultures, encore aujourd’hui dans le monde multipolaire si la Chine apporte capitaux et projets concrets, partout la Russie est une garantie ethique, en asie centrale, mais aussi en Afrique, en Amérique latine…Que doit l’URSS à cette histoire ? Et il est évident que derrière le monde multipolaire en tant que projet de décolonisation demeure la trace profonde de l’histoire de l’URSS y compris en Mongolie, en Corée du Nord. (Note de danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)
Par Dmitri Orekhov, écrivain
https://vz.ru/opinions/2024/8/12/1280751.html
Nous n’avons pas vécu aux dépens des autres peuples, nous ne les avons pas utilisés comme une ressource naturelle. Partout où l’homme russe est apparu : dans le Caucase, en Sibérie, en Asie centrale, ou dans des lieux aussi éloignés que Fort Ross, les îles Hawaï et la côte Maclay en Nouvelle-Guinée, il n’a transformé personne en bétail, n’a privé personne de sa dignité humaine.
J’ai remarqué depuis longtemps que lorsqu’il s’agit de parler des crimes coloniaux de l’Occident, il y a toujours des ‘diseurs de vérité’ qui ont l’écume à la bouche et qui commencent à prouver que « nous, les Russes, ne valons pas mieux ». Ils évoquent la princesse Olga, qui a puni les Drevlyens [selon la Chronique des Temps anciens, XIIe s., NdT], les campagnes de Vladimir Monomakh contre les Polovtsiens, le « baptême forcé des Caréliens » sous le “pape” Alexandre Nevski, les campagnes d’Ivan le Terrible, « l’agression de Yermak contre Khan Kuchum », le Transsibérien, qui a fait connaître aux Bouriates les fléaux du capitalisme russe… Ces arguments trouvent toujours un écho dans les pays voisins, et – il faut dire ce qui est – dans certaines régions de la Russie. C’est vrai, ils en conviennent volontiers, nous avons nous aussi souffert de la « colonisation russe ».
Tous ces gens ne veulent pas voir l’évidence. La Russie, bien sûr, s’est étendue, s’est battue et a absorbé d’autres peuples (sans forcément leur demander leur avis). Mais cela est arrivé à tous les empires. Les Allemands se sont étendus sur les terres des Polabes et des Prussiens (ces derniers, d’ailleurs, sont aujourd’hui introuvables à la loupe en Allemagne : ils ont disparu, tout comme les Avares). Les Français ont autrefois absorbé les peuples qui parlaient les langues occitanes, et ils les ont ensuite rabaissés pendant longtemps – dans le sud de la France, on s’en souvient encore avec amertume. Les Anglais… Non, il vaut mieux ne pas en parler maintenant. En général, ce genre de choses s’est produit dans l’histoire de tous les grands pays, et la Russie ne fait pas exception à la règle. (Même si, bien sûr, on peut parler de la rigidité de l’inclusion dans l’empire, et la comparaison n’est pas en faveur des pays occidentaux). Mais ce que nous n’avions pas du tout, c’était la colonisation maritime.
Dans ce club, les Anglais et les Néerlandais, les Français et les Américains, les Belges et les Allemands occupent les premières places. Ce sont eux qui forment le noyau de la société raciste occidentale, dont le fondement est la peur. Hannah Arendt a été l’une des premières à écrire à ce sujet dans Les origines du totalitarisme. Selon elle, les Européens « n’ont jamais pu se débarrasser de cette frayeur initiale qu’ils ont éprouvée en rencontrant une espèce d’être humain inacceptable à leurs yeux en tant que semblable pour des raisons d’orgueil humain… Cette peur de quelque chose qui vous ressemble, et en même temps qui ne peut être identifié à vous de quelque manière que ce soit, a constitué la base de l’esclavage ».
Arendt explique que les Européens, arrivant sur leurs navires dans les colonies, se sont retrouvés dans un monde inconnu, exotique, « fantomatique », dans lequel les préceptes chrétiens et les normes de la morale coutumière ne s’appliquaient pas. La vie indigène n’était pour eux qu’un « théâtre d’ombres ». Les habitants de ce monde n’étaient pas des êtres humains au sens habituel du terme ; ils faisaient partie de la nature. C’est comme s’il n’y avait pas de « caractère spécifiquement humain » chez les indigènes ; en les tuant, les Européens ne se rendaient pas compte qu’ils commettaient un meurtre. Il leur semblait qu’ils ne faisaient que défricher la terre pour s’y installer – comme ils la débarrassaient des prédateurs, serpents, guêpes, fourmis. Les Européens qui se sont installés en Afrique « traitaient les indigènes comme des richesses naturelles et en vivaient, comme ils vivent, par exemple, des fruits des arbres sauvages ».
La morale ne s’applique pas aux arbres, et pas plus au bétail. Il n’est pas étonnant que les Belges qui coupaient les mains des Congolais ne pensaient pas commettre des atrocités, mais simplement effectuer une de ces opérations indispensables à l’agriculture. Les colons américains n’ont pas hésité à jeter aux Indiens des couvertures infectées par la variole. En tuant les femmes et les enfants Herero et Nama dans le sud-ouest de l’Afrique, les Allemands étaient sûrs de faire le travail ennuyeux mais nécessaire de développement du territoire.
Maintenant, messieurs de la vérité, où est-ce que je veux en venir ? Ouvrez vos cahiers et écrivez : la civilisation russe ne connaissait pas du tout ces abominations. Partout où le Russe arrivait, il commerçait avec l’homme, se battait avec l’homme, se querellait et se réconciliait avec l’homme. Nous ne craignions pas l’indigène comme une créature étrange et méchante, qui n’avait rien à voir avec nous. Nous n’étions pas les invités d’un « théâtre d’ombres » et nous n’entraînions pas les gens d’une autre couleur sur les marchés aux esclaves. Tous les peuples avec lesquels nous sommes entrés en conflit dans nos étendues eurasiennes étaient nos voisins. Les relations avec eux pouvaient être bonnes ou mauvaises, mais nous ne menions pas de guerres « Russes contre non-humains ». C’est pourquoi, pour nous, le meurtre a toujours été un meurtre, la violence une violence, le vol un vol. Nous n’avons pas inventé d’euphémismes pour ces phénomènes. Et nous n’avons pas vécu aux dépens des autres peuples, nous ne les avons pas utilisés comme une ressource naturelle. Partout où l’homme russe est apparu : dans le Caucase, en Sibérie, en Asie centrale ou dans des endroits aussi éloignés que Fort Ross, les îles Hawaï et la côte Maclay en Nouvelle-Guinée, il n’a transformé personne en bétail, n’a privé personne de sa dignité humaine.
« Aucun Américain aux États-Unis ou dans les anciennes possessions hispaniques du sud ne parle la langue des Peaux-Rouges », écrit Alexei Khomyakov. – Le Magyar et le Hongrois allemand ne parlent presque jamais la langue de leurs compatriotes opprimés, les Slovaques, et même le gros homme flegmatique des marais de Hollande considère dans ses colonies les indigènes comme une tribu créée par Dieu pour le service et l’esclavage, comme du bétail humanoïde plutôt que comme des êtres humains. Pour nous, vieux Slaves, pacifiques travailleurs de la terre, un tel orgueil est incompréhensible… Le Russe considère comme ses frères tous les peuples délimités par les frontières infinies du Royaume du Nord ». Le philosophe écrit que les Sibériens utilisent souvent la langue des Yakoutes et des Bouriates, qu’un « fringant cosaque du Caucase » prend femme dans un village tchétchène, qu’un paysan épouse une Tatare ou une Mordovienne, et que la Russie « appelle sa gloire et sa joie l’arrière-petit-fils d’Hannibal le Nègre [il s’agit du poète national russe, Alexandre Pouchkine, NdT], alors que les prêcheurs d’égalité épris de liberté en Amérique lui refuseraient le droit de cité et même le mariage avec la fille au visage blanc d’une lavandière allemande ou d’un boucher anglais ».
Le jugement de Khomyakov n’est pas une autoglorification. Tout ce qui est dit est confirmé par nos adversaires. « La Russie possède sans aucun doute un don remarquable », écrit George Curzon, ministre britannique des affaires étrangères. – Le Russe fraternise dans le plein sens du terme. Il est totalement dépourvu de cette forme volontaire de supériorité et d’arrogance sinistre qui enflamme davantage la méchanceté que la cruauté elle-même. Il ne recule pas devant les relations sociales et familiales avec les races étrangères et inférieures ».
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Le lord anglais s’étonne que les Russes épousent des représentants de « races étrangères et inférieures », mais pour les Russes, il est surprenant que les Anglais qualifient certaines races d’« inférieures ». Nous avons vu toutes sortes de choses dans notre pays, mais nous n’avons jamais rencontré ces « races inférieures ». Oui, nous avons agrandi notre pays et mené de nombreuses guerres, c’est vrai, mais nous n’avions pas l’habitude d’inhumaniser les autres peuples. La peur de l’indigène en tant qu’« espèce humaine inacceptable » n’était pas connue de notre civilisation. Et c’est pourquoi il n’y a pas de Russes parmi les nations colonisatrices qui ont ouvert la voie au nazisme hitlérien.
Alors, essuyez vos larmes de crocodile, vous tous qui vous couvrez la tête de cendres en criant que « les Russes ne valent pas mieux ». Réfléchissez plutôt au fait que votre tentative d’entraîner la Russie dans la file d’attente de la repentance est non seulement absurde mais immorale, tout comme il est immoral de soupçonner son propre père de meurtres en série au motif qu’il « aimait aussi se battre dans sa jeunesse ». Et vous, représentants des soi-disant peuples opprimés de Russie, pensez-y aussi. A-t-on essayé de vous éliminer de la surface de la terre comme des animaux sauvages ou des parasites ? Vous a-t-on mis des colliers et des chaînes ? Avez-vous été parqués comme du bétail sur des bateaux en partance pour Saint-Pétersbourg ? Avez-vous été forcés de travailler sous un soleil brûlant dans les champs du barine russe ? Non ? Alors arrêtez de vous mettre sur un pied d’égalité avec ceux qui ont réellement été victimes de la colonisation européenne, n’ajoutez pas à la souffrance d’autrui. Pour dire la vérité, ce serait la pire ignominie.
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jean-luc
Merci Danielle pour cet article si instructif.
Je n’ajouterai qu’une chose : l’origine du mot ‘Esclave’. On dit ‘Slave’ en anglais…
admin5319
ce n’est pas moi qu’il faut remercier mais Marianne qui non contente de traduire excellement fait un travail essentiel et que l’on ne retrouve dans aucun autr blog celui d’aller chercher des articles qui nous permettent de connaittre les débbats een Russie… les faits de civilisation…
Aussaris
Si la Russie n’a pas massacré massivement les peuples des territoires qu’elle a conquis, cela tient possiblement à sa religion, mais aussi au fait qu’elle n’aurait pu les peupler après les avoir vidés.
Des Russes épousaient sans doute des personnes de “races inférieures” aux yeux des Européens, mais les tsars, depuis le milieu du 18e siècle n’ont épousé que des Allemandes à l’exception d’une Danoise ; donc le tsar avait beaucoup plus de sang germanique que slave, et en bon Allemand de “race supérieure” il épousait une Allemande.
L’Empire tsariste fut longtemps l’empire du servage et de l’esclavage, sa noblesse préférait parler français que russe pour se distinguer du peuple, marquer sa supériorité, voire sa non-appartenance à la nation russe.
En mars 1914, Lénine et son parti ont proposé une loi pour abolir les discrimination légales fondées sur la nationalité et la religion (dont une centaine à l’encontre des juifs), c’est-à-dire la supériorité des Grands-Russiens orthodoxes sur les autres et leurs privilèges.
C’est la révolution bolchevique qui a arraché la Russie à l’Occident (dont elle faisait partie), qui a aboli les discriminations et instauré l’égalité des sexes comme jamais nulle part ailleurs. Avant elle, y a pas plus d’égalité en Russie que partout ailleurs dans la chrétienté.
Catherine
Très bon article. J’ai beaucoup aimé la citation de Curzon: « La Russie possède sans aucun doute un don remarquable », écrit George Curzon, ministre britannique des affaires étrangères. – Le Russe fraternise dans le plein sens du terme. Il est totalement dépourvu de cette forme volontaire de supériorité et d’arrogance sinistre qui enflamme davantage la méchanceté que la cruauté elle-même. Il ne recule pas devant les relations sociales et familiales avec les races étrangères et inférieures ».
Je me demande si ca sort de son livre “Russia in Central Asia in 1889, and the Anglo-Russian question” don’t voici un aperçu :
Publié à Londres en 1889, ce livre se voulait une mise à jour de la situation politique en Asie centrale jusqu’à cette année-là. Il est basé sur une série d’articles que Curzon a écrits à l’origine pour le Manchester Courier et d’autres journaux anglais régionaux au cours de l’automne et de l’hiver 1888-89. Ces articles relatent le voyage qu’il a entrepris en septembre et octobre 1888 sur le chemin de fer transcaspien, nouvellement construit par la Russie à travers son domaine impérial d’Asie centrale. Le livre comprend dix chapitres.
Les trois premiers traitent des visées possibles de la Russie sur les Indes britanniques, du voyage de Curzon vers la Caspienne via Saint-Pétersbourg, Tiflis (l’actuelle Tbilissi, en Géorgie) et Bakou, et de l’origine de l’idée d’un chemin de fer centrasiatique.
Les quatre chapitres suivants traitent des différentes phases du chemin de fer, depuis son démarrage à Uzun-Ada (aujourd’hui Uzunada, Turkménistan) sur la côte orientale de la Caspienne, en passant par Merv et Boukhara, jusqu’à Samarkand (dans l’actuel Ouzbékistan). Les trois derniers chapitres traitent des extensions du chemin de fer vers Tachkent et d’autres destinations, ainsi que de ce que Curzon appelle « l’aspect actuel du problème de l’Asie centrale ». Il considère que la situation dans la région évolue rapidement et que le nouveau chemin de fer marque un tournant dans l’histoire des nations qu’il traverse. Il aborde également les implications stratégiques du chemin de fer, en particulier son impact possible sur l’équilibre des forces entre la Russie et la Grande-Bretagne. Le livre comprend un certain nombre d’annexes et est illustré de deux cartes et de nombreuses photographies représentant des personnes, des monuments et des sites de construction ferroviaire. Bibliothèque numérique mondiale.