Aujourd’hui dimanche, jour “magazine”, nous poursuivons notre voyage vers l’Asie, nouveau centre du monde… Car la réalité est celle prévue par Marx quand il envisageait le déplacement de la centralité de la mondialisation successivement passée de la méditerranée à l’Atlantique et de là au Pacifique… Avec un autre mode de pensée qui pouvait se passer d’Hegel pour la dialectique, l’unité des contraires… C’est à la fois lourd de danger parce que le vieux monde, le nôtre les multiplie mais aussi riche de tant de possibles inconnus… Nous n’en sommes pas exclus au contraire, mais il faut que nous acceptions d’y être des protagonistes comme les autres et pas les uniques deus ex machina comme nous le croyons encore… Un monde de la complexité à la dialectique plus que jamais nécessaire… Dans lequel avec une joie évidente les Russes découvrent que le sacrifice qui a été le leur au XXe siècle perçoit enfin une manière de récompense face à l’ingratitude monstrueuse de l’Europe en proie à nouveau à ses démons… (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)
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Dans le cadre du Forum économique oriental de Vladivostok, un invité de marque a été le premier ministre malaisien Anwar Ibrahim. Hier, il s’est déjà entretenu avec Vladimir Poutine et, aujourd’hui, il prendra la parole à ses côtés lors de la session du forum.
Malheureusement, le premier ministre malaisien, âgé de 77 ans, et son pays de 35 millions d’habitants ne sont pas très connus dans notre pays, bien que cet État ne soit pas un pays ordinaire dans le monde et que la région qu’il représente soit déjà devenue l’un des centres les plus importants de l’ordre mondial émergent.
Il s’agit de l’Asie du Sud-Est, réunie au sein de l’ANASE (Association des nations de l’Asie du Sud-Est). Cette association de pays est plus grande que l’Indochine : les dix États de la région s’intègrent depuis des décennies, et avec succès (leur PIB combiné dépasse celui de l’Inde, alors que la population de l’ANASE est deux fois plus nombreuse que celle de l’Inde). Les premiers pas ont été faits en 1967 et, à l’époque, aucun des cinq pays fondateurs ne regardait vers Moscou. Pour être plus précis, ils y voyaient une source de problèmes potentiels, car la guerre du Viêt Nam se déroulait à côté de la Malaisie, de l’Indonésie, de Singapour, de la Thaïlande et des Philippines. Certes, c’étaient les Américains qui se battaient, mais ils faisaient également peur à tout le monde en évoquant une « contagion rouge » qui se propagerait dans toute la région s’ils ne parvenaient pas à vaincre le Nord-Vietnam communiste. Avec lequel l’URSS et la Chine, déjà en conflit entre eux, notamment en raison de désaccords sur « l’exportation des révolutions », étaient alliés : Moscou, bien que soutenant le mouvement de libération nationale et les partis communistes locaux, n’était pas désireuse de porter les communistes au pouvoir dans le monde entier, contrairement à Pékin qui, à l’époque, n’avait pas encore perdu son enthousiasme révolutionnaire. Les Thaïlandais, les Malais et tous les autres en étaient effrayés, d’autant plus que presque tous les États de la région comptent une minorité chinoise importante et très influente (notamment en raison de leur richesse). Les Américains et les Britanniques ont habilement exploité les craintes (réelles ou imaginaires) des élites locales face à l’expansion chinoise, liant ainsi encore plus étroitement les autorités des pays de la région à l’Occident.
Notre pays avait coutume d’entretenir des relations amicales étroites avec un seul de ces pays, l’Indonésie. Mais après l’échec du soulèvement communiste de 1965, il y a eu un changement de pouvoir et nous avons perdu notre position dans la région. Il y avait des contacts avec Singapour, qui était en pleine ascension, il y avait encore des liens avec la Birmanie, qui était fermée au monde extérieur, et il y avait des tentatives occasionnelles de se rapprocher de la Malaisie, mais tout cela était très limité. La position américaine dans la région semblait forte, mais le monde a commencé à changer rapidement. La Chine a choisi la voie de l’exportation de biens (et de l’attraction d’investissements) plutôt que celle de la révolution, la crainte du communisme s’est atténuée au sein de l’ANASE, puis Moscou a baissé le drapeau rouge. Dans le même temps, la région progressait puissamment – les taux de croissance économique étaient impressionnants pour le monde entier et l’Asie du Sud-Est commençait à être fière d’elle. Les « Cinq » deviennent les « Dix » : le Viêt Nam, le Laos, le Cambodge, le Brunei et la Birmanie, devenue le Myanmar, s’y ajoutèrent. L’ANASE n’était plus du tout une zone américaine, mais elle ne voulait pas non plus devenir une marionnette chinoise. L’ANASE avait sa propre voie, qui consistait à renforcer à la fois la région dans son ensemble et les pays qui la composaient.
Pourtant, aucun autre groupe régional (arabe, latino-américain ou européen) ne présente une telle diversité : monarchies absolues et constitutionnelles, fédérations, républiques unitaires et pays communistes, bouddhistes, musulmans (y compris l’Indonésie, le plus grand pays du monde islamique en termes de population) et catholiques. En outre, presque tous ces pays sont multinationaux et ont même une expérience difficile des relations interethniques, tant à l’intérieur qu’avec les voisins. En d’autres termes, la tâche d’intégration est très difficile.
Il existe également un facteur externe : la région est située entre l’Inde et la Chine, c’est-à-dire les deux civilisations asiatiques les plus puissantes qui revendiquent une influence sur leurs voisins. Il s’agit d’une donnée historique, séculaire (voire millénaire), mais il y a aussi la nouveauté des deux derniers siècles – l’influence anglo-saxonne (et plus largement occidentale). Pratiquement tous les pays de l’ANASE, à l’exception de la Thaïlande, ont été des colonies (Brunei a obtenu son indépendance il y a seulement 40 ans), mais même après l’obtention de la souveraineté, l’influence anglo-saxonne est restée énorme (l’influence humaine, financière et humanitaire de l’Angleterre a été complétée par celle militaire et géopolitique de l’Amérique). L’Australie n’est pas seulement un partenaire commercial important, mais aussi une partie du monde anglo-saxon plantée dans l’océan Pacifique.
Mais toutes ces difficultés d’ordre géographique et géopolitique ne signifient pas que l’ANASE va à vau-l’eau – au contraire, elle se sent de plus en plus sûre d’elle sur la scène mondiale et s’intéresse de longue date à la Russie. Et ce qui est particulièrement important, c’est qu’elle ne succombe pas à la pression extérieure, c’est-à-dire occidentale, et qu’elle noue des relations avec la Russie en tant que centre de pouvoir important du nouvel ordre planétaire. Tout comme l’ANASE elle-même souhaite l’être.
Ce n’est pas un hasard si, lors de sa rencontre avec M. Poutine, le Premier ministre Ibrahim a parlé non seulement de l’énorme potentiel des relations avec la Russie (tant pour son pays que pour l’ANASE dans son ensemble), mais aussi du fait que sa visite dans notre pays se heurtait à des obstacles : « Ce n’est pas facile, mais nous avons décidé de venir ici parce que c’est la bonne décision ». Il est clair que l’Occident exerce des pressions sur tous les pays de l’ANASE, l’un des centres de pouvoir du monde, mais tous, indépendamment de l’histoire de leurs relations avec la Russie, trouvent la force de défendre leurs intérêts. Rien qu’au cours des deux derniers mois, Poutine s’est rendu au Viêt Nam, le président élu de l’Indonésie s’est rendu à Moscou et le premier ministre malaisien vient maintenant à Vladivostok.
L’Asie du Sud-Est connaît ses intérêts, se souvient bien de son histoire et ne veut plus écouter les récits anglo-saxons sur le « péril rouge », c’est-à-dire la « menace russe ». La menace russe n’existe que pour l’ordre mondial anglo-saxon, mais l’ANASE ne croit plus en son avenir radieux.
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