Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le racisme de classe, socle idéologique du macronisme

Ce diagnostic paru dans la revue Commune sous la signature d’Olivier Brabant met en évidence la “nature” du pouvoir de Macron, on pense irrésistiblement à l’anarchiste couronné Heliogabale d’Artaud détruisant l’empire romain dont il est l’incarnation de la toute puissance illusoire de la décadence… Il y a la France, mais Macron et le défi lancé aujourd’hui à la raison “étatique”, celle de la bourgeoisie, est un des avatars de la crise politique de cette classe dominante occidentale… La bourgeoisie pouvoir de classe limite de l’exercice citoyen devient un racisme de classe pour tenter de survivre … La pièce centrale du dispositif en est les USA avec l’élection présidentielle, l’impossible régulation de la crise multiforme du capitalisme, aucune “démocratie” n’y échappe. C’est la chute d’une hégémonie, faut-il pour autant affirmer que la Ve République est morte ? Que l’impérialisme US n’est plus qu’un tigre de papier ? Au contraire, l’exigence “théorique”, celle de savoir où l’on va et sur quelle base on se rassemble, devient plus que jamais nécessaire. Il est suicidaire de passer du constat de l’anarchie dynamitant les institutions de l’Etat capitaliste à l’idée que l’appareil d’Etat est détruit par cet anarchiste couronné. C’est la tentation de ceux qui partagent le “spontanéisme” du capital à son stade ultime impérialiste. C’est la crainte de cette illusion qui mène aux massacres qui a poussé à l’Université d’été un certain nombre d’entre nous à mettre en cause l’opération derrière Lucie Castets, dans sa confusion idéologique en particulier en ce qui concerne la guerre et nous battre pour que le parti communiste opère un véritable travail théorique sur la reconquête d’un parti de classe en particulier sur la question de la paix et de la guerre, qui n’est que la volonté d’élargir le régime d’exploitation à l’intérieur comme à l’extérieur… et qui pour cela a besoin du fascisme… (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Il arrive encore qu’on s’interroge sur ce que peut être le macronisme, qui partage avec la droite la totalité de son libéralisme économique, et tente de voler à la gauche sociétale l’essentiel de ses slogans pour l’égalité sexuelle ou le droit de certaines minorités – certaines et non pas toutes, en effet. Malgré les évidents démentis de l’expérience, on a même pu prendre pour du keynésianisme le moment désormais passé à la postérité sous le nom de « quoi qu’il en coûte ». Or ce considérable déversement de fonds publics n’a donné lieu à aucune contrepartie, aucune régulation étatique : il s’est agi, sous couvert d’intervention de l’Etat en matière économique, d’un pas supplémentaire dans son suicide programmé : affaiblir encore davantage les finances publiques, pour que le privé continue de tourner.

Le macronisme n’est-il dès lors qu’un pur opportunisme pour la conquête du pouvoir, sans aucune ligne idéologique sinon le préjugé du libéralisme économique ? Les sidérantes contorsions des propos et des actes auxquelles nous n’avons cessé d’assister depuis six ans pourraient confirmer cette analyse. Tout et son contraire est parfois formulé, au mépris de la logique, dans une dangereuse confusion des signes et du sens, dont le régime est tout à la fois le symptôme et l’accroissement du mal. Il est pourtant une idéologie constante, qui sous-tend l’ensemble des gestes, des paroles et des actions du Président de la République, que tentent de maquiller avec plus ou moins d’ardeur ses thuriféraires et autres exégètes de boniment, suivant qu’ils croient venir de la gauche ou de la droite : le racisme de classe.

La récente annonce d’une réforme du Revenu de Solidarité Active en est l’ultime preuve. Derrière un grand paravent de mots managériaux (« accompagnement », « bienveillance », « personnalisation ») le noyau dur du projet est de soumettre à obligation d’une activité d’environ 20 heures par semaine les bénéficiaires de ce qui est, il convient de le rappeler, une allocation de survie, et donc un devoir de solidarité de la communauté nationale. L’alibi consiste à présenter cette contrainte comme une aide pour « resocialiser » les individus en souffrance, et donc les « accompagner » (le mot est omniprésent). Chacun sait qu’il faudrait commencer par un recrutement considérable de personnels doublé d’un changement de cap radical de stratégie de la part de « Pôle emploi » devenu « France Travail », convertie au « tout numérique » aux dépens des relations humaines sans lesquelles aucune aide aux personnes n’est possible, pour imaginer que ce projet de « remise en marche » ait la moindre crédibilité. Comme à l’ordinaire, comme pour la réforme des retraites, le projet est monté à l’envers : on durcit ainsi les devoirs, quand les droits ne sont toujours pas garantis, mais donnnent lieu à de verbales démonstrations d’humanisme en langue technocratique.

Outre les économies qu’un tel projet cyniquement peut porter (ne va-t-on pas financer les quelques recrutements alibis chez France Travail par la récupération des versements sur le dos de ceux qui n’auront pas obéi ?), il est encore une fois révélateur d’une vision du monde. S’il faut une contrainte (et non une aide pour l’élaboration d’un projet, lequel ne peut être que personnel) c’est bien parce que le pauvre est, dans tous les cas, un grand enfant. Soit qu’il se satisfasse paresseusement de son inactivité devant l’écran plat qu’il est censé avoir acheté avec l’allocation de rentrée scolaire (rappelons que ce discours a été tenu), soit qu’il ait plus de bonne volonté, mais fort peu de conscience et de lucidité, il faut qu’une tutelle le force à s’extraire de son inertie. Nous avons eu jadis l’indolence des nègres, nous avons désormais la puérilité du bas-peuple, auquel il faut un Père, une Loi, une Poigne ferme et virile, capable de caresse mais aussi de contrainte. Le pauvre n’est pas vraiment méchant, mais il ne pense pas. 

C’est bien là le point où tout se concentre, se résume, et à la fois s’éclaire. Lorsque le Président de la République prétend, dans sa dernière allocution, faire la chasse à « la fraude sociale » comme à « la fraude fiscale », s’il a pris le soin cette fois de rappeler la seconde, c’est que la pente naturelle du pauvre est à la paresse. Immature et jouisseur, il se jette avec sa frénésie animale vers les aumônes qu’on peut lui verser, pour ne pas quitter ensuite les douceurs de son canapé défoncé. Même un peu gauchi par la mention de la fraude fiscale, le propos d’ailleurs demeure injuste et scandaleux, tant on sait le déséquilibre quantitatif entre l’une et l’autre : la cour des comptes évalue à 10 milliards les revenus mal versés, et à 100 milliards la perte de fiscalité. Les mettre sur le même pied, c’est déjà dire vers où vont aller les priorités.

Tout avait été dit dans ce qui tente de passer depuis pour une malheureuse maladresse, mais qui relevait du lapsus, c’est-à-dire d’une vérité profonde qui a besoin de s’énoncer : dans les gares, il y a des gens qui « ne sont rien ». C’est la même idée qui explique l’aplomb avec lequel on peut prétendre « entendre la colère sociale » tout en continuant inébranlablement à mettre en œuvre une réforme des retraites que le peuple dans une majorité tout à fait inédite condamne. La populace, ce grand enfant, se plaint ; il faut le cajoler un peu ; mais il ne sait pas ce dont il souffre ; il n’est pas en état de comprendre la complexité du réel. Il ne faut donc pas écouter son bruit, mais interpréter ce qu’à lui-même il dissimule. D’où aussi la constante psychologisation de toute contestation, si efficace dans le « management » moderne, qui permet de ne pas avoir à prendre en considération le discours de l’autre, puisqu’il n’est pas un discours, pas une parole, tout au plus un cri. Il s’agira alors « d’accompagner » notre souffrance sur le chemin de la résilience et de la rédemption – surtout pas d’envisager que nos borborygmes de primitifs pourraient révéler quelque chose comme une rationalité et une argumentation.

Socle du macronisme, le racisme de classe détermine l’ensemble d’une vision du monde. S’il ne tourne pas aussi bien qu’un progressisme béat l’espérait, ce n’est pas que le capitalisme épuise la planète et réifie les êtres humains, que la catastrophe écologique (« qui aurait pu la prévoir ? ») condamne définitivement un mode de production avide et destructeur de l’humanité comme du reste ; c’est parce que les économies sont lestées d’une foule médiocre, qui ne peut participer au projet collectif qu’entraînée par l’élan des premiers de cordée, et encadrée par une autorité qui garantit qu’elle poursuivra l’effort. Ce beau projet est lui-même contrarié par quelques traîtres, qu’il faut pour cette raison détester : les esprits cultivés, de la moyenne ou de la haute bourgeoisie, qui démagogiquement flattent les bas instincts des citoyens-primates, et leur fournissent des mots et des colères. Ces traîtres sont des terroristes, ennemis de la République dont la force repose sur la domestication de la fange. Comme dans tout racisme, en effet, le mépris s’accompagne d’une peur rentrée : proche de l’animal, le sous-citoyen peut être violent. Il a des déchaînements de colère qui ont pu dans le précédent quinquennat faire trembler jusque sous les lambris du Palais. 

Le mépris que tant de citoyens dénoncent depuis au moins la crise des gilets jaunes ne pourra donc pas disparaître dans les fumées d’une stratégie de communication, aussi habile soit-elle : il est fondamental. Il dépend sans doute moins de la seule personne du Président de la République, quelque maladresse qu’il puisse aussi avoir commise, que d’un principe premier (conscient ou non, gardons-nous de tout diagnostic). Nulle gesticulation n’y pourra contrevenir. Mais c’est aussi ce qui peut inquiéter, dans l’actuelle crise : il se voit. Il est désormais vu de tous. Et pour beaucoup, il n’est vraiment plus supportable.

Olivier Barbarant

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