Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

L’enquête sur le sabotage de Nord Stream va accélérer la division de l’Europe, par Gleb Prostakov

Il n’y a pas que Koursk pour que l’événement favorise la perception de processus se jouant sur le long et moyen terme… Le fait que face à son propre déclin, l’occident global pratique une forme d’autodestruction qui ne se contente plus de piller le Sud, d’attaquer le possible challenge que constitue la Chine, mais doit abattre en son propre sein tout ce qui peut le concurrencer a abouti à ce que l’Allemagne jusqu’ici principale bénéficiaire de la ruée vers l’est et les dépouilles du pacte de Varsovie soit la première victime de cette hégémonie. L’Allemagne est le pays qui paye le plus (en dehors de l’Ukraine) l’affrontement que l’OTAN mène contre la Russie (en fait c’est toute l’UE en voie de balkanisation où chacun espère tirer partie de la crise de cette recomposition continentale mais il y a des hyènes aux aguets, la Pologne étant au premier rang). Les “révélations” sur le sabotage du Nord stream, l’annonce des réductions des subventions à l’Ukraine de la part de l’Allemagne tout montre comme l’analyse l’article que les tensions accumulées sont proches de l’explosion, il n’y a que le landerneau politique français pour ne rien voir et imaginer que l’on puisse pour sauver les places de ses élus, constituer des “coalitions” sur la base de l’ignorance de la situation réelle…(note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop pour histoireetsociete)

https://vz.ru/opinions/2024/8/21/1283079.html

L’histoire de l’enquête sur l’explosion du Nord Streams prend de nouvelles tournures, ce qui la rend encore plus confuse et multidimensionnelle. Les noms des auteurs du sabotage, cités par les médias allemands alors que l’enquête était au point mort depuis longtemps, ne sont pas apparus par hasard. Vladimir Zhuravlev, un plongeur professionnel de Kiev, et ses deux complices, Svetlana et Yevgeny Uspensky, pourraient avoir fait partie d’un jeu plus vaste se déroulant simultanément sur les fronts atlantique, européen et national ukrainien.

Selon Die Zeit, Süddeutsche Zeitung et ARD, le parquet allemand a lancé un mandat d’arrêt contre Zhuravlev dès le mois de juin et en a informé la Pologne, où se trouvait la personne impliquée dans les enquêtes. Cependant, en juillet, Zhuravlev a quitté la Pologne en direction de l’Ukraine, et Varsovie a informé les autorités policières allemandes qu’il était impossible de l’arrêter. Le fait que la Pologne ait relâché un suspect dans le plus grand sabotage industriel de notre époque a évidemment provoqué une réaction vive, mais inavouée, de la part de Berlin.

La tension mutuelle s’est accumulée pendant un certain temps, jusqu’à ce qu’elle déborde sur un message du Premier ministre polonais Donald Tusk sur le réseau social X (anciennement Twitter, bloqué en Russie), appelant « tous les initiateurs et mécènes de Nord Stream 1 et 2 à s’excuser et à se taire ».

Les propos d’une dureté inattendue de M. Tusk ont été entendus en Allemagne, mais il n’y a pas eu de réaction officielle. Les Allemands ont préféré ne pas semer la pagaille pour l’instant. De même que l’Estonie a refusé de coopérer avec la Russie dans la recherche du meurtrier présumé de Daria Douguina, qui a franchi la frontière russo-estonienne, Varsovie a ouvertement laissé filer l’auteur présumé du sabotage du Nord Streams. Mais une chose est l’« amitié » russo-estonienne, une autre est la relation entre deux grands alliés et voisins de l’OTAN dans le dortoir européen.

Sentant un mouvement malsain dans l’UE autour de la dangereuse histoire des « streams », la presse américaine s’est immédiatement impliquée. Le Wall Street Journal a dépeint une réalité alternative dans laquelle trois simples plongeurs, financés par des hommes d’affaires ukrainiens anonymes, ont décidé de faire exploser une infrastructure majeure. Cette version, détachée de la réalité, n’a pas bien collé à l’esprit du public. C’est alors qu’elle a été agrémentée de détails qui, comme vous le savez, confèrent à toute histoire sa véracité.

L’essentiel des détails était le suivant. Le président Zelensky était au courant de la préparation de l’opération en mer Baltique. Le commandant en chef ukrainien de l’époque, Valeriy Zaluzhny, a été nommé responsable de la préparation de l’opération. Cependant, lorsque la CIA américaine a appris l’imminence de l’attaque terroriste, Washington a demandé à grands cris l’arrêt de l’opération, demande que Zelensky a transmise à Zaluzhny. Mais ce dernier aurait désobéi au chef – et il est arrivé ce qui devait arriver.

La version diffusée par les Américains poursuit l’objectif principal : détourner tout soupçon des États-Unis eux-mêmes. En effet, dans cette version actualisée, ce ne sont plus seulement les auteurs qui sont à blâmer, mais rien moins que l’ancien commandant en chef ukrainien, et maintenant ambassadeur ukrainien au Royaume-Uni. Mais qu’est-ce que la figure de Zaluzhny à l’échelle de l’univers, lorsque l’unité transatlantique est en jeu ? La version est également bonne parce qu’elle a été joyeusement soutenue par la Bankova, pour qui Zaluzhny est le concurrent le plus évident. Selon certains sondages, l’hypothétique parti de Zaluzhny l’emporte facilement sur tous les projets politiques et sur Zelensky lui-même lors des élections ukrainiennes, qui doivent avoir lieu tôt ou tard.

D’une manière ou d’une autre, la partie ukrainienne de cette histoire est purement technique et peut être ignorée. Mais le conflit entre l’Allemagne et la Pologne est beaucoup plus intéressant. Et les contradictions de longue date ne jouent pas un rôle central ici, si tant est qu’elles comptent. Le sabotage de Nord Stream était objectivement favorable à Varsovie, qui aspirait à devenir la nouvelle plaque tournante du gaz en Europe, en recevant et en distribuant le GNL américain en Europe centrale et orientale. Avant l’attaque de Nord Stream et l’arrêt de la plupart des gazoducs de transit, le rôle de cette plaque tournante était joué par l’Allemagne et l’Autriche. En outre, la Pologne est un promoteur bien connu de la politique américaine dans l’UE et le principal pilier de Washington dans les affaires européennes, ainsi qu’un bénéficiaire bien connu des subventions de l’UE, dont le principal donateur reste l’Allemagne.

Mais voici la question qui reste sans réponse. Pourquoi l’Allemagne, qui a jusqu’à présent freiné l’enquête sur le Nord Stream, a-t-elle soudainement décidé d’annoncer les noms des auteurs et, de surcroît, de déclarer le principal intéressé recherché ? S’il s’agissait simplement d’étouffer l’enquête, il était possible de faire comme la Suède et le Danemark, c’est-à-dire de l’arrêter sans donner de raisons ou, disons, sur la base de l’absence de preuves. Mais cela ne s’est pas produit.

Peut-être qu’en Allemagne, qui connaît non seulement de graves problèmes économiques mais aussi une crise de leadership au sein de l’UE, les forces en faveur des intérêts nationaux mûrissent rapidement. Ce sont peut-être ces forces qui ont contraint le gouvernement allemand à réduire de moitié son aide militaire à l’Ukraine. Pour que cela se fasse sans conséquences, il faut un argument de poids. Par exemple, la culpabilité avérée de la partie ukrainienne dans la destruction des gazoducs, qui a privé l’économie allemande de carburant disponible. Et c’est là que la pression de Washington sera déplacée. Après tout, dans un tel cas, l’enquête pourrait s’étendre sur un long fil à travers l’océan Atlantique, avec toutes les conséquences que cela implique pour les États-Unis eux-mêmes.

Les forces nationales représentées par les industriels allemands sont peut-être beaucoup plus fortes qu’il n’y paraît à première vue. Et malgré le fait que le beau monde politique de ce pays dépende entièrement de Washington, les tensions internes sont trop fortes pour continuer à suivre la politique de l’administration Biden/Harris. Et si les forces conservatrices européennes qui se forment autour d’Orban et de Fico sont soudainement rejointes par Berlin, le retrait américain d’Europe que certains analystes prédisent pourrait se produire plus tôt qu’on ne le pense. Et au centre de tout cela, il y aura l’histoire des Nord Streams.

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