Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Cela fait un tiers de siècle que s’est déroulée “la plus grande tragédie russe”, par Piotr Akopov

Piotr Akopov dont Marianne Dunlop nous a bien des fois traduit les textes est un éditorialiste très proche de Poutine et qui reflète souvent les aspects les plus intéressants de l’entourage présidentiel, ceux qui sont d’ailleurs les plus en accord avec la majorité de la population russe (qui regrette l’URSS). Analyser le “putsch” du 19 août 1991 (celui par lequel comme c’est démontré ici a commencé la déflagration) a été rendu difficile voire impossible puisque Eltsine, celui qu’avec l’équipe dite de saint Petersbourg du KGB Poutine a rejoint est totalement dans le coup… Considérer que le pouvoir russe fait plus que manifester un regret sentimental de l’URSS en expliquant que l’état objectif l’imposait avec un “nécessaire” retour au capitalisme est un véritable événement politique en Russie. D’ailleurs nous publions demain la longue analyse du KPRF sur ces événements et sur “la chute” de l’URSS… Ce sont des pièces historiques et ces éléments indispensables pour les historiens autant que pour les militants tournent autour de ce que personne ne peut éviter alors que le mouvement du monde pose plus que jamais la question du socialisme ou de la “barbarie”. Un débat à lire en urgence et auquel aurait dû être consacré un atelier de l’Université d’été du PCF. Nous prenons du retard parce que ce débat s’imposera. (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop pour Histoireetsociete)

https://ria.ru/20240817/tragediya-1966678499.html

La « malédiction du mois d’août », les « chocs du mois d’août » – c’est ainsi que l’on appelle les événements extraordinaires et soudains qui se produisent au cours du dernier mois de l’été. On peut discuter des critères de sélection de ces événements – tous les mois d’août ne sont pas porteurs de cataclysmes à grande échelle. Mais il ne fait aucun doute que ce qui s’est passé il y a un tiers de siècle a été une véritable catastrophe, dont nous ressentons encore les conséquences et que nous continuons à surmonter.
Il s’agit du « putsch », c’est-à-dire de la création du GKChP, le Comité d’État pour l’état d’urgence. Sa création a été annoncée le 19 au matin, mais ces lignes sont écrites le 17 août, il y a 33 ans :

« Un danger mortel menace notre grande patrie ! <…> Des forces extrémistes sont apparues, préparant la liquidation de l’Union soviétique, l’effondrement de l’État et la prise du pouvoir à tout prix. Les résultats du référendum national sur l’unité de la patrie ont été foulés aux pieds. La spéculation cynique sur les sentiments nationaux n’est qu’un paravent pour la satisfaction des ambitions. Ni les malheurs d’aujourd’hui de leurs peuples, ni leurs lendemains ne préoccupent les aventuriers politiques. <…> Ils oublient que les liens qu’ils condamnent et qu’ils brisent ont été établis sur la base d’un soutien populaire beaucoup plus large, éprouvé par l’histoire depuis des siècles ».

Ces lignes sont extraites d’un discours adressé au peuple soviétique par les membres du GKChP, l’organe qui a assumé les pleins pouvoirs dans un pays qui s’effondrait par la faute du président Gorbatchev. Le GKChP était composé du vice-président, du premier ministre, des ministres de la défense et de l’intérieur, et du chef du KGB. Cet organe formellement anticonstitutionnel a été mis en place pour sauver le pays, mais il a été piégé par l’incertitude de la position de Gorbatchev : il n’a pas démissionné, mais a été suspendu. Cette incertitude a ruiné le GKChP, dont la création même était à la fois une réaction à la faiblesse et à la duplicité de Gorbatchev et une démarche consentie avec lui. Les autorités de la Russie soviétique ne reconnaissent pas le GKChP, des manifestations de masse éclatent à Moscou, les putschistes eux-mêmes tombent dans la stupeur et sont arrêtés deux jours plus tard. Leur tentative de sauver le pays a été utilisée pour le détruire : le pouvoir est passé aux mains des dirigeants russes dirigés par Eltsine et les républiques de l’Union ont commencé à déclarer leur indépendance. Le pays s’effondre finalement quatre mois plus tard, mais c’est en août que la blessure fatale est infligée.

En même temps, le GKChP avait parfaitement raison : la spéculation sur les sentiments nationaux (tant dans les républiques nationales qu’en Russie) n’était qu’un moyen de lutter pour le pouvoir, et les hommes politiques qui se précipitaient vers le pouvoir ne pensaient pas aux conséquences de la rupture des liens historiques. Certains d’entre eux pensaient que le divorce conduirait leurs peuples à une vie meilleure, tandis que d’autres pensaient que tout resterait en l’état, sans le PCUS et le socialisme, sans la main forte de Moscou, mais dans une nouvelle union « douce ». Les républiques d’Asie centrale ont en fait été exclues du pays unifié, tant on était pressé d’officialiser l’effondrement de l’Union. Mais l’essentiel était la division du noyau russe de l’État, à partir duquel trois entités indépendantes ont été formées : la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie. Toute la logique millénaire de la croissance et du développement de l’État russe a été rompue – et, de manière très surprenante, de nombreuses personnes pensaient réellement que cela resterait sans conséquences.

La désintégration d’un espace unifié (historiquement, spirituellement, économiquement, militairement, etc.) était en soi un crime contre le peuple russe (et tous les autres peuples de l’Union – y compris ceux qui ont rejoint la Russie plus tard que tous les autres, au XIXe siècle seulement, comme les peuples d’Asie centrale). Mais c’était aussi une bombe à retardement, car il était clair que des forces extérieures ne manqueraient pas une occasion et joueraient la carte de la contradiction entre les républiques fraternelles d’hier, cherchant à rendre irréversible le divorce accidentel. Cela concernait en premier lieu les relations entre la Russie et l’Ukraine, dont la prévention de la réintégration est devenue la tâche la plus importante de l’Occident. C’est pourquoi des plans visant à inclure l’Ukraine dans l’OTAN et l’Union européenne sont apparus, afin d’exclure la possibilité même d’une réunification (sous une forme ou une autre) des deux parties d’un seul et même ensemble. Et dès que la Russie a accéléré l’intégration eurasienne en annonçant la création de l’Union économique eurasienne avec l’intention d’y inclure l’Ukraine, l’opposition à nos projets est devenue particulièrement sérieuse.

Poutine a commencé à corriger la dislocation de l’histoire russe, qui s’est produite après la défaite du GKChP, et les atlantistes ont fait obstacle à la réunification de la Russie. Ils ont entravé l’histoire russe, mis l’Ukraine en travers de la route de la Russie, qui est devenue l’otage de son « élite » antinationale, qui se considérait comme la plus rusée et la plus intelligente. Mais la tragédie de la guerre fratricide n’est pas imputable uniquement à l’Ukraine, ni uniquement à l’Occident, qui n’a fait que profiter de nos erreurs et de la crise, conséquences de 1991. Ce qui se passe aujourd’hui n’aurait pas été possible si, en août 1991, le GKChP avait réussi à préserver un pays uni qui aurait pu et dû être réformé, mais pas détruit. Ni Poutine ni le peuple russe en général n’essaient aujourd’hui de restaurer l’URSS – nous voulons restaurer l’unité des terres russes et du grand peuple russe. Nous voulons corriger les conséquences de la tragédie d’août qui s’est déroulée il y a 33 ans.

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