Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La parade des vaincus, par Mikhaïl Kostrikov

Quelques rappels puisque comme le dit Ziouganov, les occidentaux semblent avoir oublié les leçons de l’invasion de la Russie, quelques piqures de rappel sur la manière dont la plupart des expéditions qui prétendaient défiler victorieusement à Moscou se sont retrouvées participer à une tout autre célébration. La parodie qui a enchanté nos médias certes ne peut prétendre à l’assaut mené lors de la IIe guerre mondiale mais avec Koursk où s’est déroulée la plus grande bataille de chars (fabriqués à un rythme infernal par les usines du Donbass transportées par un exploit inouï dans l’Oural) incontestablement on a voulu jouer avec des symboles… Ce qui est toujours dangereux. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)

https://gazeta-pravda.ru/issue/74-31567-1617-iyulya-2024-goda/parad-pobezhdyennykh/

La Pravda, N° 74 (31567) 16-17 juillet 2024

Auteur : Mikhail KOSTRIKOV, Docteur en sciences historiques.

Le 17 juillet 1944, la botte allemande pose le pied sur le sol moscovite. Un peu mal en point, il est vrai. Des dizaines de milliers de soldats de la Wehrmacht et de la SS – soldats, officiers et un groupe de généraux – défilent dans les rues de la capitale de l’Union soviétique. Ils attendaient certainement ce moment depuis l’attaque de l’URSS. On sait que le Führer se préparait à passer en revue personnellement le défilé des troupes allemandes en 1941 à Moscou. Il devait avoir lieu après la chute de la ville. Et il est absolument certain que ni les dirigeants du “Troisième Reich”, ni les participants au défilé eux-mêmes ne pensaient que ce “défilé” se déroulerait de cette manière. Sans armes ni drapeaux, sous l’escorte de combattants du NKVD et sous le regard sévère de nombreux Moscovites, défilent les résidus du groupe d’armées “Centre”, vaincu lors de l’offensive biélorusse de l’Armée rouge.

Les premiers convois ferroviaires transportant des prisonniers allemands commencent à arriver à Moscou le 14 juillet. On sait que l’humeur des hitlériens était, pour le moins, mauvaise. Des rumeurs commencent à se répandre selon lesquelles les autorités soviétiques préparent leur exécution massive.

Les Allemands avaient toutes les raisons d’être inquiets. Non qu’il fut d’usage en URSS de massacrer les prisonniers de guerre. Au contraire, on sait aujourd’hui qu’il n’y a pas eu d’exécutions massives de soldats allemands, mais que c’était une pratique très répandue parmi les nazis eux-mêmes (un clin d’œil aux partisans obstinés de la “version soviétique” de la fusillade de soldats polonais. – Note de l’auteur). Les Allemands ont donc simplement jugé selon leurs pratiques : ils se souvenaient bien de la manière dont ils avaient eux-mêmes traité les prisonniers de guerre de l’Armée rouge et des horreurs qu’ils avaient infligées aux civils soviétiques. Il était donc normal qu’ils n’attendent rien de bon en retour.

Des trains de prisonniers arrivent les uns après les autres sur les voies en provenance de l’ouest. En trois jours, 25 trains sont arrivés dans la capitale. Ils ont transporté plus de 57 000 personnes. Leur déchargement a lieu dans les gares de Bielorusskaya-Tovarnaya et Begovaya.

Malgré les histoires libérales selon lesquelles l’URSS de Staline était un véritable goulag, il n’y avait pas d’endroits spéciaux dans la capitale pour accueillir un si grand nombre de personnes. Même si la main-d’œuvre carcérale a été utilisée pour la construction, par exemple, du canal de Moscou, l’ampleur de ces “zones” n’est pas comparable au nombre de prisonniers allemands. Il a donc fallu improviser leur hébergement.

Un certain nombre de sites situés relativement près du lieu de déchargement sont choisis comme lieux de détention temporaire. Il s’agit de l’hippodrome de la rue Begovaya, du stade de football “Dinamo” sur la Chaussée de Leningrad, ainsi que d’une partie du célèbre territoire de Khodynka, y compris le terrain de dressage du régiment de cavalerie de la division du NKVD portant le nom de Felix Dzerjinsky.

C’est là que survient le premier choc pour les Allemands. Ils n’étaient pas battus et n’allaient pas être fusillés. Au contraire, ils reçoivent de la nourriture chaude et de l’eau. Il convient toutefois d’émettre une réserve. Les prisonniers ne souffraient vraiment pas de la soif. Les pompiers métropolitains étaient chargés de résoudre ce problème. Mais les prisonniers n’ont pas reçu d’eau pour se laver. D’une part, cela aurait rendu les choses plus difficiles pour les autorités soviétiques. Mais il y avait aussi un sens caché à cela : les prisonniers ne devaient pas avoir l’air trop fiers.

Les participants au défilé des vaincus se promenaient à peu près dans l’état où ils avaient été capturés. Ceux qui se sont rendus rapidement avaient une apparence plus ou moins décente, et ceux qui avaient couru à travers les forêts et les marécages biélorusses en essayant de sortir des “chaudrons” avaient parfois une apparence très déplorable : uniformes sales et déchirés, chaussures usées ou manquantes, et certains d’entre eux ne portaient que leurs sous-vêtements.

Une exception est faite pour les généraux et les colonels capturés. Ceux-ci furent autorisés non seulement à nettoyer leurs uniformes, mais même à porter leurs médailles. Cela n’a pas empêché que certains d’entre eux, coupables de crimes de guerre, soient plus tard jugés et exécutés. Néanmoins, du côté soviétique, on note une marque de respect. On n’a pas non plus cherché à humilier les blessés en les forçant à défiler. De plus, avant même d’être envoyés à Moscou, il a été procédé à un examen médical et ont été rejetés tous ceux qui étaient physiquement incapables de tenir le coup. En fait, seul un tiers du nombre total d’hitlériens capturés lors de l’opération en Biélorussie a été sélectionné pour la marche.

Allons maintenant un peu plus loin dans l’histoire. Quelqu’un peut se demander pourquoi un tel défilé n’a pas été organisé plus tôt, par exemple après la bataille de Moscou ou la bataille de Stalingrad. Après tout, il était nécessaire d’encourager nos compatriotes, de leur remonter le moral.

Le fait est que le défilé des vaincus à Moscou en 1944 n’était pas le premier. En 1914, une colonne de prisonniers autrichiens a défilé dans le centre de la ville, y compris sur la place Rouge. Leur nombre exact est inconnu. Cependant, l’impression de ce défilé a été détruite par le fait que la Première Guerre mondiale a entraîné la chute des deux empires : russe et austro-hongrois. On avait crié victoire trop tôt. Staline ne voulait certainement pas répéter les erreurs des autres et il avait raison : à l’hiver 1941-1942, rien n’était encore décidé.

Quant à la victoire de la bataille de Stalingrad, il est vrai qu’un grand nombre de prisonniers ont également été capturés à cette occasion. Au cours de l’opération “Anneau” de destruction du groupe hitlérien encerclé à Stalingrad, l’Armée rouge a capturé environ 91,5 milliers de soldats ennemis. Pourquoi, en 1943, personne n’a eu l’idée d’organiser leur marche en témoignage de la victoire ?

La question n’est pas de savoir si, en 1944, ils ont eu cette idée et ont décidé de le faire, et si, en 1943, ils ne l’ont pas eue. Nous devons tenir compte du fait que les circonstances des victoires soviétiques étaient très différentes. La 6e armée allemande à Stalingrad s’est rendue après deux mois de combats dans l’encerclement au cours d’un hiver rigoureux. La condition des prisonniers était déplorable.

Déjà après la guerre, elle a servi de base à un certain nombre de spéculations antisoviétiques : la majorité des soldats capturés n’auraient pas survécu à leur captivité. On a même avancé le chiffre de 5 000 survivants seulement. C’est loin d’être vrai, mais le taux de mortalité parmi les prisonniers de guerre allemands était effectivement élevé à l’époque. Il y avait des raisons à cela : un grand nombre de prisonniers souffraient de gelures, étaient émaciés à cause de la malnutrition, étaient atteints du typhus et d’un certain nombre d’autres maladies. Au début de l’été 1943, environ 30 % des prisonniers étaient morts.

Ce taux de mortalité élevé n’est pas passé inaperçu aux yeux des dirigeants de l’État soviétique, et une commission spécialement créée à cet effet a enquêté sur les causes de ce phénomène. Sept hôpitaux ont été organisés pour les malades et les blessés. Un certain nombre de mesures ont également été prises pour améliorer l’approvisionnement en nourriture. Il est clair qu’à l’époque, il ne s’agissait pas d’organiser des marches : il y avait des problèmes bien plus urgents.

Dans le cas de l’opération “Bagration”, la situation était fondamentalement différente, et il ne s’agissait pas seulement de la saison estivale. La défaite du groupe d’armées “Centre” a été rapide comme l’éclair. Rappelons que l’offensive soviétique a commencé sur le flanc nord le 23 juin et sur le flanc sud le 24. Certaines unités allemandes sont encerclées et se rendent dans les premiers jours. Les forces principales, repoussées dans le “chaudron” à l’est de Minsk, capitulent le 8 juillet, deux semaines seulement après le début de l’opération soviétique.

Cette victoire de l’Armée rouge est véritablement retentissante. L’opération Bagration reste à ce jour la plus grande défaite militaire de l’armée allemande dans son histoire. Mais c’est ce que nous savons aujourd’hui. Et puis croire à l’effondrement de près d’un million de soldats du groupe d’armées “Centre” d’un seul coup posait d’énormes difficultés non seulement à Berlin, mais aussi aux alliés de l’URSS.

Dans le même temps, les troupes anglo-américaines qui débarquent le 6 juin en Normandie, dans le nord de la France, sont confrontées à des problèmes. L’opération “Overlord” s’enlise, alors qu’au départ, un million et demi de soldats des Alliés n’affrontent que 380 000 Allemands. La prépondérance du matériel est également loin d’être du côté des nazis. Et pourtant, les premiers résultats de l’offensive américaine et britannique sont très modestes.

D’où la méfiance quant au triomphe des troupes soviétiques. Quel demi-million de pertes irrécupérables en Allemagne ? Quels 158 000 prisonniers ? Quels sont les 21 généraux capturés ? Ils étaient 47 dans le groupe d’armées “Centre” et certains sont morts. Et avant cela, un total de 22 généraux allemands ont été capturés par les Soviétiques depuis le début de la guerre. Ce n’est pas possible, c’est la meilleure armée du monde ! D’ailleurs, aujourd’hui encore, l’historiographie occidentale tente d’occulter a posteriori l’ampleur de la catastrophe de la Wehrmacht en Biélorussie. Cependant, les images du défilé des vaincus dans la capitale de l’URSS ont fonctionné il y a huit décennies, et protègent aujourd’hui encore la vérité de l’histoire. Il n’est donc pas honteux d’apprendre des propagandistes soviétiques.

Il est impossible de dire avec certitude qui est l’auteur de l’idée d’organiser un défilé des vaincus à Moscou. Mais il est possible d’émettre une hypothèse. Cette opération avait pour nom de code “La Grande Valse”. Le même nom a été donné à la comédie musicale américaine oscarisée, tournée en 1938 par le réalisateur Julien Duvillier. Ce film est sorti en 1940 dans les salles de cinéma soviétiques. Quel est le rapport avec le cinéma américain ? Il a été apprécié par de nombreux spectateurs soviétiques, dont un qui l’a regardé plus d’une douzaine de fois : Joseph Staline.

L’opération “La grande valse” a été menée dans les délais les plus brefs : entre la capitulation des hitlériens près de Minsk et le début de l’opération, il s’est écoulé moins d’une semaine. Tous les plus grands camps de prisonniers de guerre allemands en URSS étaient situés à l’est de la capitale. Les convois transportant les nouveaux prisonniers ne pouvaient donc pas éviter le nœud ferroviaire de Moscou. En fait, en chemin, ils s’arrêtent quelques jours, puis poursuivent jusqu’à la prochaine étape.

Le colonel-général P.A. Artemyev, commandant du district militaire de Moscou, était responsable des colonnes de prisonniers de guerre passant par le centre de la capitale. Il participe directement à la bataille de Moscou au moment le plus difficile, après l’encerclement des troupes soviétiques près de Vyazma. Le 12 octobre 1941, il prend le commandement de la zone de défense de Moscou. Il fallait alors reconstruire le front devant la capitale, assurer l’afflux ininterrompu des réserves, construire de nouvelles fortifications, et Artemyev s’acquitta de ces tâches. Il avait également commandé le défilé des troupes soviétiques le 7 novembre 1941 sur la Place Rouge.

Sous le commandement du colonel-général Artemyev, les troupes du NKVD convoient des colonnes de prisonniers allemands dans les rues de Moscou. Leur passage est divisé en deux étapes. Le nombre de prisonniers n’est pas le même pour la première et la deuxième étape. Les itinéraires de passage sont également différents.

Les Moscovites ont bien sûr appris l’arrivée des prisonniers de guerre allemands dans la ville. Il était tout simplement impossible de cacher un tel nombre de personnes. Cependant, les autorités soviétiques se sont abstenues de toute information officielle jusqu’au dernier moment et ce n’est qu’à 7 heures du matin, le 17 juillet, que le premier message concernant le défilé prévu des vaincus a été diffusé à la radio.

Le matin du jour du défilé, les Allemands ont commencé à être divisés en groupes de 600 personnes, sortis des centres de détention temporaire et alignés au début de la Chaussé de Leningrad. La colonne se compose de rangées de 20 personnes. Les premiers sont 19 généraux et 6 colonels allemands. Ils sont suivis par des groupes d’officiers totalisant plus de 1200 personnes, puis par tous les autres, jusqu’aux simples soldats, qui ferment la marche.

Dans un premier temps, 42 000 prisonniers sont mises en mouvement. Ils atteignent la gare de Bielorussie par la Chaussée de Leningrad et suivent la rue Gorky. Boris Polevoï raconte l’ampleur de cette colonne dans son essai “Ils ont vu Moscou”, écrit pour la “Pravda” : “Ils marchaient en larges rangs de 20 personnes. Rang après rang, un flot solide et ininterrompu. Et lorsque la tête de la colonne tourna sur la place Maïakovski, la queue se déroulait encore sur la Chaussée de Leningrad”. Après avoir tourné vers la partie nord de la Ceinture des Jardins, la colonne de prisonniers a atteint la gare de Koursk, où 18 convois l’attendaient pour escorter les Allemands vers les camps de prisonniers de guerre. La durée totale du trajet, selon différentes données, était de 2 heures 25 minutes à 2 heures 45 minutes.

Une colonne plus petite de 15 600 personnes a participé à la deuxième étape de la marche. Elle a également marché le long de la rue Leningrad et de la rue Gorki, mais a tourné vers la partie sud de la ceinture des jardins, a atteint le pont de Crimée et a traversé la Moskova. L’itinéraire a été conçu de manière à ce que les Allemands puissent voir une énorme exposition d’équipements de trophées, qui se déroulait dans le parc Gorki. La colonne quitte ensuite la Ceinture des jardins et se dirige vers la rue Bolshaya Kaluzhskaya, qui fait aujourd’hui partie de Leninsky Prospekt. Dans la zone de Leninskiye Gory, les prisonniers tournent à nouveau et atteignent la gare de Kanatchikovo, où 8 convois avaient été amenés pour eux à l’avance.

Dans ce cas, l’itinéraire est beaucoup plus long et le défilé dure environ quatre heures et demie. Néanmoins, seuls quatre prisonniers ont été incapables de suivre la colonne et ont eu besoin d’une assistance médicale. Cela montre une fois de plus à quel point les autorités soviétiques ont fait preuve de responsabilité dans la préparation de la marche.

Les prisonniers étaient accompagnés par des troupes du NKVD provenant de trois divisions : les 36e et 37e divisions de convoi et la division F.E. Dzerjinsky, y compris un régiment de cavalerie. Les cavaliers portant des sabres nus autour des colonnes d’Allemands, que l’on voit sur les photos et dans les films, sont précisément les hommes de Dzerjinsky. Leur rôle était non seulement d’empêcher d’éventuelles tentatives d’évasion (en fait, il n’y en a eu aucune), mais également de veiller à ce qu’aucune violence ne soit exercée à l’encontre des prisonniers.

Il est temps de parler de la réaction des Moscovites au défilé des vaincus. Les photos et les films montrent un grand rassemblement des habitants de la capitale, qui ont envahi les trottoirs et les bords de la chaussée des rues tout au long du parcours des colonnes. Selon des témoins oculaires, le début de la marche des prisonniers allemands a été accompagné d’un silence presque sépulcral. “Les Moscovites étaient exceptionnellement disciplinés”, écrit Boris Polevoï. – Leurs regards étaient pleins de mépris et de haine, mais on n’entendait qu’occasionnellement des cris dans la foule”. Ce témoignage est confirmé par Leonid Leonov dans un article publié dans la Pravda et intitulé “Les Allemands à Moscou” : “Les spectateurs observaient un silence glacial, et dans les rues de Moscou, on entendait seulement le bruit de centaine de milliers de pieds”.

Plus tard, l’émotion s’est manifestée à certains endroits. Boris Polevoï décrit un de ces cas. Sur la place Maïakovski, la colonne est accueillie par les cris de “Assassins ! Maudits assassins !”, une femme voulait se jeter sur eux. Ce ne sont pas les gardes qui l’arrêtent, mais d’autres Moscovites. Il s’agissait d’une tisserande de “Trichogorka”, Elena Voloskova. À Smolensk, les hitlériens ont tué toute sa famille : son fils, sa belle-fille et ses trois petits-enfants.

Un autre témoignage intéressant se trouve dans le livre de V.L. Lavrinenkov et N.N. Belovol “Épée d’honneur” – un recueil de mémoires sur la coopération au combat des pilotes soviétiques et français du régiment “Normandie-Niemen”. On y trouve un extrait de la lettre d’une amie de l’un des pilotes français, une Française qui se trouvait à Moscou et qui a été témoin oculaire du défilé des vaincus. Citons une partie de ce témoignage :

“Récemment, Alex, nous avons tous assisté à un spectacle inoubliable : à Moscou, des milliers d’hitlériens capturés ont défilé. Cela avait été annoncé à l’avance à la radio, et la population avait été autorisée à se tenir sur les trottoirs. Les Allemands devaient traverser toute la ville (comme s’ils arrivaient à Paris à la gare de Lyon et marchaient jusqu’à la gare de l’Est). Ils marchaient dans un silence de mort, sous le regard fier, digne et méprisant des femmes, des vieillards et des enfants.

Toute la mission militaire de la “France combattante” en URSS se tenait en force dans la rue Sadovaya, devant la station de métro. Le général Petit et tous nos officiers étaient en uniforme militaire.

…Le peuple soviétique n’a pas émis le moindre son, personne n’a bougé. Pendant le défilé, il n’y eut qu’un seul incident : un vieil homme, incapable de contenir ses sentiments, franchit le cordon, se précipita sur le premier hitlérien, le maudit avec des mots terribles, lui cracha au visage.

Mais pour nous, Français, cher Alex, le moment le plus excitant de cette journée fut la fin de la marche, lorsque la colonne de prisonniers – nos compatriotes alsaciens et lorrains – s’est mise en marche. Ils avaient tous épinglé une sorte de cocarde tricolore sur leur veste, et lorsqu’ils nous ont rejoints et qu’ils ont vu le général Petit debout à l’arrière d’un camion dont les ridelles étaient reculées, ils se sont mis à crier : “Vive la France, mon général ! Nous n’étions pas des volontaires ! Nous avons été enrôlés de force. Vive la France !”

Ernest Petit ne leur témoigna pas la moindre sympathie. Au contraire, il cracha avec colère et dit entre ses dents : “Canailles ! Qui n’a pas voulu est avec nous.”

Les rapports du NKVD mentionnent des slogans antifascistes, ainsi que des cris d’insultes occasionnels. Il y a eu des tentatives de lancer des objets sur les prisonniers, mais elles ont été isolées. La majorité absolue des Moscovites a conservé sa dignité et son calme, regardant dans les yeux ceux qui étaient venus pour tuer et asservir, pour s’approprier la terre de leur pays. Ce n’est pas pour rien que le poète a dit que les Soviétiques ont une fierté bien à eux.

Beaucoup de gens connaissent certainement cette image tirée d’un film d’actualité. On peut le voir dans divers documentaires et longs métrages. Par exemple, il illustre les réflexions de Stirlitz-Isaev dans “Dix-sept moments de printemps” de Tatiana Lioznova, lorsque l’espion soviétique célèbre la Journée de l’Armée rouge chez lui, le 23 février. Sur ce cliché, la première chose qui attire l’attention est le général hitlérien au premier plan. Bien emmitouflé dans son uniforme, la casquette basse, il est aussi nonchalant et presque hautain que possible, essayant de cacher l’humiliation qu’il ressent. On pouvait se demander qui était cet homme.

Par ailleurs, ce cliché est intéressant car il montre quatre anciens commandants de corps d’armée allemands (AK). Il s’agit de l’élite de la Wehrmacht au sens plein du terme, la crème de la crème, des commandants expérimentés, des conquérants de l’Europe, qui ont finalement été vaincus par l’Armée rouge.

À gauche, avec des lunettes rondes et une casquette, le lieutenant-général Vincenz Müller, qui commandait le 12e AK et qui, après l’évasion du commandant de la 4e armée von Tippelskirch, a dirigé les troupes encerclées près de Minsk et leur a donné l’ordre de se rendre le 8 juillet. En captivité, Müller accepte de coopérer avec l’URSS et rejoint le Comité national pour l’Allemagne libre, puis devient une figure militaire de la RDA. Mais en 1958, il est démis de ses fonctions car son implication dans des exécutions massives de prisonniers de guerre et de civils soviétiques, notamment à Artyomovsk, a été révélée. Une enquête est ouverte. En 1961, Muller se suicide en se jetant par la fenêtre de son immeuble.

Le deuxième à partir de la gauche, avec un manteau sur son bras gauche plié et une canne dans sa main droite, est le général d’infanterie Paul Völkers, qui commandait le 27e AK. Il fut fait prisonnier près de Minsk et, comme Müller, accepta de coopérer et participa aux activités de l’Union des officiers allemands sous l’égide de la NK “Allemagne libre”. En 1946, il meurt en captivité d’une hémorragie cérébrale et est enterré dans la région d’Ivanovo, dans un cimetière pour prisonniers.

Le général d’infanterie Friedrich Gollwitzer, qui commandait le 53e AK, tenta de conserver son air hautain. Son corps d’armée fut encerclé et détruit près de Vitebsk, où il se rendit lui-même le 26 juin. Les émotions de Gollwitzer s’expliquent également par le fait qu’il avait prévu le danger du “chaudron” et demandé un retrait au commandant de l’armée, le colonel-général Reingardt, mais ce dernier, bien qu’il ait également tout compris, a néanmoins obéi à l’arrogance du Führer et lui a interdit de battre en retraite. En conséquence, Reingardt s’enfuit à temps et Gollwitzer est capturé. Comme on peut le deviner, il ne coopéra pas et resta en captivité jusqu’en 1955, après quoi il retourna en RFA. Il mourut en 1977 à l’âge de 87 ans.

Enfin, à droite – derrière Golwitzer, au bord du cadre, coiffé d’une casquette – le lieutenant-général Kurt-Jurgen von Lützow. Son 35e AK a été encerclé et vaincu près de Bobruisk. Von Lützow lui-même, avec un groupe de soldats, tente de sortir du “chaudron” à travers bois, mais finit par se rendre. Il n’a pas accepté de coopérer et a été condamné en 1950 à 25 ans de prison pour ses crimes de guerre. En 1956, il est rapatrié et finit ses jours en Allemagne en 1961, à l’âge de 68 ans.

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