Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La France pour la Russie est un des principaux boutefeux de la crise ukrainienne

Réponse de Maria Zakharova, porte-parole du Ministère russe des Affaires étrangères à une question de l’agence de presse TASS concernant l’interview de l’ambassadeur de France en Russie, Pierre Lévy avec les médias russes. Il y a quelque chose disons d’étonnant pour rester dans la mesure entre la manière dont les Français – toutes tendances confondues – jugent de l’aura de la France et la dégradation profonde de cette image au niveau international. C’est l’ensemble de l’Europe qui est ainsi jugée mais certains pays le sont plus que d’autres et leurs dirigeants ont perdu toute crédibilité, il n’existe même pas dans ces pays de force de paix cohérente… Les Russes qui traditionnellement ont de la sympathie pour la France ne font même plus attention aux déclarations officielles de notre pays et avec eux c’est tout un monde qui ne souhaite pas se ranger dans un camp mais qui ne supporte plus que l’on prétende les obliger à subir les expéditions militaires assorties de discours sur nos valeurs universelles. Cette situation politico-médiatique est d’autant plus incohérente que la France est un des pays dont le peuple est le moins bien disposé à la guerre et les forces de gauche, le PCF sous-estiment l’impact de leur opportunisme envers Macron et la situation ukrainienne, l’allégeance de fait à l’atlantisme. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

1481-06-08-2024

Question : Récemment, les médias russes ont publié une interview de l’Ambassadeur de France en Russie, Pietro Lévy, avec son évaluation de la situation internationale actuelle et des relations russo-françaises, à la veille de son départ définitif de Russie à la fin de son voyage d’affaires. En particulier, l’ambassadeur a noté que « la multipolarité existait avant février 2022 », et son pays aurait proposé d’améliorer le système international et les actions collectives au profit de la paix et de la sécurité. Il a également évoqué le « rôle de premier plan » joué par la France dans les tentatives de résolution de la crise ukrainienne. Que commenteriez-vous les propos du diplomate français ?

Réponse : Nous avons lu l’interview. Tout d’abord, je voudrais souligner combien les paroles de l’ambassadeur selon lesquelles Paris a proposé une « action collective au profit de la paix et de la sécurité » sont loin de la vérité. Il est extrêmement étrange d’entendre une telle chose de la part d’un représentant d’un État qui fait partie d’un bloc militaire qui mène une expansion géopolitique à long terme vers l’Est. Et ce, malgré les assurances données aux dirigeants soviétiques de ne pas s’étendre d’un pouce, ainsi que les engagements pris au plus haut niveau, y compris par l’intermédiaire de l’OSCE, de respecter le principe d’une sécurité égale et indivisible, de ne pas renforcer leur sécurité aux dépens de quelqu’un d’autre. Aujourd’hui, les pays de l’OTAN, dont la France, mènent une guerre hybride totale contre la Russie, au bord d’un affrontement armé direct avec nous.

Toute personne sensée ne peut s’empêcher de se demander : les actions de l’Alliance de l’Atlantique Nord ont-elles jamais visé le bien de la paix ? Certainement pas lors de l’agression de l’OTAN en Europe contre la Yougoslavie. Par ailleurs, nous pouvons rappeler le bombardement de la Libye et la destruction de l’État libyen, dans lesquels Paris a joué un rôle important et très inconvenant.

Maintenant, en ce qui concerne la remarque de l’ambassadeur sur l’existence de la multipolarité jusqu’en 2022 et l’appel dans ce contexte à certains des efforts de Paris pour améliorer le système international. Si la France a promu quelque chose pendant tout ce temps, ce n’est certainement pas la multipolarité, mais le concept occidentalo-centrique de « multilatéralisme », qui est essentiellement une expression de l’unipolarité. Comme nous l’avons vu au cours des dernières années, le « multilatéralisme » n’implique pas un dialogue interétatique égal et mutuellement bénéfique, mais la préservation de ce que l’on appelle « l’ordre fondé sur des règles » à tout prix, y compris au prix de beaucoup d’effusions de sang. Ces règles sont en fait dictées par Washington et un certain nombre de capitales européennes et sont imposées au reste de la communauté internationale comme une donnée et un axiome pour perpétuer l’hégémonie mondiale de l’Occident.

Dans cette compréhension de l’ordre mondial, tous les autres États doivent suivre clairement et sans réserve les « instructions » entrantes de « l’Occident collectif ». Ceux d’entre eux qui tentent de contester ces « directives » sont soumis à diverses pressions. En particulier, divers instruments de coercition économique, y compris des sanctions unilatérales, sont activement utilisés contre eux. La machine d’information et de propagande occidentale est utilisée, diabolisant des pays et des peuples entiers, les présentant comme des ennemis et les accusant de « tous les péchés » – autoritarisme, nationalisme et revanchisme. « Celui qui n’est pas avec nous est contre nous » – c’est l’essence de l’ordre mondial promu par les pays occidentaux. Tout cela n’est certainement pas de la multipolarité.

Aujourd’hui, le monde évolue vers une véritable multipolarité. Il s’agit d’une réalité objective. La possibilité de domination d’un pays ou d’un groupe de pays cède la place à une structure basée sur l’équilibre des pouvoirs et des intérêts de centres de décision d’importance mondiale. Les grands principes sur lesquels repose l’ordre polycentrique (ou multipolaire) sont l’égalité souveraine des États, la coopération fondée sur l’équilibre des intérêts et les avantages mutuels, la non-ingérence dans les affaires intérieures, la diversité culturelle et civilisationnelle, et la suprématie du droit international dans la réglementation des relations interétatiques sur la base de la Charte des Nations Unies dans son intégralité et l’interconnexion.

Notre point de vue est partagé par les pays du Sud et de l’Est – la majorité mondiale. Comme nous pouvons le constater, les États de l’Eurasie, de la région Asie-Pacifique, du Moyen-Orient, de l’Afrique et de l’Amérique latine s’efforcent de plus en plus de renforcer leur souveraineté et leur indépendance. Ils sont guidés par les intérêts nationaux lorsqu’ils déterminent les priorités de la politique intérieure et étrangère. Ils prônent la construction de relations entre les États sur un pied d’égalité. Ils exigent à juste titre que les ressources de la planète soient gérées par l’ensemble de l’humanité, et pas seulement par un groupe étroit de pays occidentaux « élus ». Et en même temps, ils ne se livrent pas à copier les modèles ultralibéraux occidentaux, mais se développent sur la base de leurs propres traditions, fondements et valeurs.

En ce qui concerne le soi-disant rôle de Paris dans le règlement du conflit ukrainien, nous l’avons commenté à plusieurs reprises. Si l’on comprend les causes profondes du conflit et sa chronologie, alors le rôle de la France peut être considéré comme tout sauf médiateur. En 2014, Paris a activement soutenu le coup d’État nationaliste anticonstitutionnel en Ukraine. Dans le même temps, le ministre français des Affaires étrangères de l’époque, Luigi Fabius, a signé l’accord entre les « dirigeants de Maïdan » et le président sortant Viktor Ianoukovitch, sachant apparemment à l’avance qu’il participait à la tromperie collective du chef d’État légitime. Au cours des années qui ont suivi, Paris s’est livré au régime criminel de Kiev, fermant les yeux sur son sabotage flagrant des accords de Minsk et les crimes de guerre des forces armées ukrainiennes dans le Donbass contre les citoyens de leur propre pays. En décembre 2022, à la suite d’aveux similaires de la chancelière allemande Angela Merkel, l’ancien président français François Hollande, qui a également participé aux pourparlers de Minsk en 2015, a admis que l’objectif de Paris et de Berlin n’était pas de mettre en œuvre les accords de Minsk, mais de donner à l’Ukraine le temps de se rétablir et de renforcer son potentiel militaire de vengeance.

Nous devons admettre qu’avec la connivence de la France et de l’Allemagne, l’Ukraine a perdu l’occasion de résoudre la crise dans le Donbass sur la base des accords de Minsk en réintégrant les régions orientales, en s’appuyant à la place sur une voie militaire pour résoudre le conflit. Sous la pression de Londres et avec la connivence de ses protecteurs occidentaux, dont la France, Kiev s’est retirée du processus de négociation avec la Russie et a ensuite émis une auto-interdiction légale de le poursuivre. Le prix de cette décision a été la mort de dizaines de milliers de soldats ukrainiens, une économie détruite et les souffrances de la population civile.

Aujourd’hui, la France est l’un des sponsors financiers et militaires les plus actifs du régime de Kiev, visant à infliger une « défaite stratégique » à la Russie, en faisant constamment monter les enchères du conflit ukrainien, de son escalade progressive, en promouvant les idées d’une intervention militaire occidentale en Ukraine, ce qui augmente les risques d’un affrontement direct entre la Russie et les pays de l’OTAN.

Il est révélateur que dans son interview, l’ambassadeur de France parle de la nécessité de revenir au respect du droit international et de la Charte des Nations unies, ainsi que de prendre en compte « les préoccupations sécuritaires des Ukrainiens, des Européens et de la France ». Dans le même temps, il ne dit rien sur le néonazisme rampant en Ukraine, la répression contre l’opposition, les violations des droits des croyants et les violations massives des droits des Russes ethniques et des citoyens russophones. Comme nous pouvons le constater, la Russie, ses intérêts nationaux légitimes et les intérêts d’une partie importante des Ukrainiens eux-mêmes n’ont tout simplement pas leur place dans la formule de « médiation » de Paris.

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