En 1953, l’année de la mort de Staline, Winston Churchill (1874–1965) a reçu le prix Nobel de littérature… Oui le prix Nobel de littérature, il ne s’agit pas d’une erreur. Cette extraordinaire “promotion” n’est pas la seule en matière de célébration culturelle internationale hier comme aujourd’hui… Ces promotions présentent souvent le paradoxe de louanges et de justifications qui sont strictement à l’inverse de ce qu’a porté l’auteur cité… Le cas Churchill n’est pas le seul, il y a là matière à indignation pour ceux qui contextualisent les opinions, les actes à la fois dans l’œuvre et dans l’histoire (1)… Les réseaux sociaux charrient un flot de citations – sorties de leur contexte et déformées – de ces gens-là comme s’il s’agissaient d’oracles vertueux pour des banalités réactionnaires de l’idéologie dominante et de la sous-culture de masse… Cela va d’Orwell espion de la CIA en remontant jusqu’à Olympe de Gouges en passant par tous les “nouveaux philosophes” et tant d’autres, de furieux anti-révolutionnaires… (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
Le Premier ministre britannique en temps de guerre, celui dont la réputation la plus favorable est de ne s’être pas rendu aurait pu à ce titre remporter le prix Nobel de la paix. Il a remporté le prix de littérature. De plus, en 1953, Churchill effectuait son deuxième mandat (1951-1955) en tant que Premier ministre de Grande-Bretagne. Il a été le premier dirigeant politique national en exercice à remporter le prix de littérature.
L’Académie suédoise a décerné le prix à Churchill « pour sa maîtrise de la description historique et biographique ainsi que pour sa brillante éloquence dans la défense exaltée des valeurs humaines ». Churchill était un écrivain prolifique, mais, comme le note Geoffrey Wheatcroft dans Churchill’s Shadow : the Life and Afterlife of Winston Churchill (2021), il a eu de nombreux assistants à partir des années 1920 pour écrire ses nombreux livres. Par-dessus tout, son prix était une célébration de ses discours de guerre et de sa rhétorique de la guerre froide. Churchill avait inventé le terme « rideau de fer » pour décrire la partition de l’Europe. Le prix de 1953 a été l’un des choix les plus politiques de l’histoire du prix.
Par où commencer avec Winston Churchill ? Où finir avec Winston Churchill ? Il est l’une des personnes les plus mythifiées de l’histoire anglophone moderne. Wheatcroft documente comment le mythe de Churchill a été chaleureusement adopté par l’Amérique d’après 1945. Sa mythologie durable est sa propre création dans les livres qui ont remporté le prix. Ses histoires de la Première et de la Seconde Guerre mondiale ont fait de Winston la voix héroïque dans le désert qui s’opposait à l’apaisement face à l’autoritarisme. Ce mythe est régulièrement évoqué aujourd’hui, y compris dans les débats du Congrès américain sur l’Ukraine, Gaza et chaque seconde guerre sans fin.
Si vous lisez ses longues histoires impériales des peuples anglophones, vous comprendrez mieux les intentions de Churchill dans les deux guerres mondiales et la guerre froide. Il voulait garder l’Empire britannique fort pour encore quelques générations. J’éviterais ces histoires et son éloquence exagérément parodique. Je lirais plutôt son histoire de la Première Guerre mondiale, en particulier le premier volume The World Crisis : 1911-1914. Il a été publié en six volumes entre 1923 et 1931. Il y a beaucoup de justifications de ses décisions épouvantables qui ont causé tant de morts à Gallipoli, en Inde, en Europe et en Union soviétique. Tous les volumes sont disponibles sur Internet Archive. Le premier volume donne un aperçu à la fois de la crise du libéralisme britannique avant 1914 et de la puissante prose de Churchill qui mythifiait la défense de la liberté par l’Empire.
Au début du XXe siècle, les hommes étaient partout inconscients de la vitesse à laquelle le monde grandissait. Il fallut les convulsions de la guerre pour éveiller les nations à la connaissance de leur force. Car, un an après le début de la guerre, presque personne ne comprenait combien étaient formidables, presque inépuisables les ressources en force, en substance, en vertu, derrière chacun des combattants. Les coupes de colère étaient pleines, mais les réservoirs de pouvoir l’étaient aussi. (p.11)
Beaucoup ont jugé Churchill comme un politicien et un homme. Mais comment juger Winston en tant qu’écrivain ? Méritait-il le prix de littérature ? Wheatcroft a écrit avec acidité :
Il n’a pas été le pire écrivain à remporter le prix Nobel de littérature (pas quand la liste inclut Pearl S. Buck), mais en vérité, il n’a jamais été destiné à être un grand écrivain. À son meilleur, son travail est intelligent, vigoureux et lisible, et il aurait pu écrire de meilleurs livres qu’il ne l’a fait.
L’ombre de Geoffrey Wheatcroft Churchill : la vie et l’au-delà de Winston Churchill (2021) p. 399
Mais en 1953, l’Académie suédoise a été rattrapée par les œillères de la guerre froide et la guerre culturelle anglo-américaine pour le monde et ce n’est pas le seul “écrivain” qui a été sélectionné pour sa contribution à la justification de la guerre au nom de valeurs impérialistes…
(1) sur la photo qui illustre cet article, nous avons choisi de placer les deux héros conservateurs français et britannique accompagnés du Polonais, parce que l’avantage de la Pologne c’est que son conservatisme va jusqu’au bout de ce que le capitalisme britannique et français masquent encore. Les Polonais révèlent ce qui chez les autres reste encore secret, ils étouffent la cause qu’ils embrassent.
En Pologne, la révision de l’histoire a été institutionnalisée et dans ce domaine négationniste, il est difficile d’aller plus loin dans l’incohérence … Ainsi la “révolution de 1989”, celle de jean Paul II, Walesa et Solidarnosc pour certains “adeptes” serait comparable à la révolution française de 1789 et à la révolution russe de 1917, mais leur ferveur est confrontée à des arguments tout aussi exaltés sur le fait qu’il s’agirait d’une mise en scène des services secrets, afin que le pouvoir réel soit maintenu par les bénéficiaires de l’ancien système stalinien. De même pour les Polonais, 1939 serait une raison de fierté, parce que la Pologne aurait été la première à s’opposer à Hitler et à déclencher une résistance qui s’est terminée par la défaite du Troisième Reich, ce qui les fait détester Bandera et les Ukrainiens, alors qu’il y a autant idéologues qui vont dans le sens contraire, et démontrent que les Polonais qui ont suivi Hitler jusqu’à Moscou représentaient l’Europe d’aujourd’hui.
On en déduira que j’ai quelques préventions contre les Polonais, ce n’est pas seulement à cause de leur antisémitisme viscéral, mais parce que celui-ci se combine comme souvent avec un indécrottable féodalisme intellectuel qui les rend totalement inaptes à autre chose que des choix réactionnaires doublés d’une emphase moralisatrice. Ainsi si l’on suit l’évolution de l’extrême-droite dans l’UE, on s’aperçoit que ce qui peut apparaître au meilleur des cas fondé sur les résistances de la paysannerie polonaise, se perd dans les illusions moralisatrices, ainsi de temps en temps, les politiciens du PiS racontent que la droite va enfin prendre le pouvoir sur l’UE et qu’il y aura un grand retour à « l’Europe des patries », dans laquelle les États-nations retrouveront leur rang légitime et abandonneront toutes ces horreurs telles que le Green Deal ou « l’idéologie du genre » et ils choisissent inévitablement comme ils l’ont toujours fait la forme institutionnelle la moins apte pour faire aboutir leur désirs souverains…
Bref! la Pologne a le mérite d’exposer au grand jour ce que le “patriotisme” capitaliste britannique et surtout français masque et que révèle une étude des contradictions des guerres impérialistes de hier et d’aujourd’hui…
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