Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le vaudeville politicien et le peuple français qui veut intervenir, par Danielle Bleitrach

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Quelques croquis pris dans les rues de Marseille dans la folle campagne des législatives…

La matinée débute à 7h30 par la venue de l’infirmière qui vient un jour sur deux pour m’aider et prendre ma tension… Elle s’étonne pour la première fois je fais un pic 15.9 et je lui explique que la situation provoque ce que jadis on appelait des “coups de sang”… Elle me dit “Il faut aller voter, on s’en fout pour qui, pourvu qu’on empêche le RN” … Et elle m’explique que sa fille a un copain qui est à sciences po Paris et qui leur fait des discours politiques et qui parlait de s’abstenir, elle lui a dit : “Après nous avoir raconté tout ce que tu nous a raconté tu ne vas pas t’abstenir, ce n’est pas sérieux, tu perds la figure…”. Et elle a ajouté qu’elle faisait voter même sa mère qui a 103 ans, une procuration, pas un membre de la famille ne devra s’abstenir… En fait c’est une marseillaise qui a épousé un Libanais et forte de l’expérience de sa belle-famille chrétienne maronite, elle ajoute : “Il n’y a aucune illusion à se faire, au Liban ça a commencé comme une guerre de religion et après les masques sont tombés, ce qui est apparu ce sont les banquiers, le fric, ceux qui étaient là depuis le début avec leurs fascistes.. ils ont détruit le pays, la Suisse du Moyen Orient et maintenant les petites gens essaient de survivre et de reconstruire des relations de voisinage normales au-delà de leurs destructions… En fait, elle ne se fait pas plus d’illusion sur les oppositions politiques en France, ces gens-là ne s’intéressent qu’à eux, ils se foutent tous de nous. Elle déteste Macron qui nous mène à la guerre et qui comme un irresponsable a créé les conditions de la prise de pouvoir des fascistes… Il est clair qu’elle va voter pour le front populaire tout en les méprisant.. Ça fait rien me dit-elle, il faut empêcher les fascistes et après on réglera les comptes… je lui parle des communistes… Elle me dit ‘mais où ils sont ?’ C’est comme au Liban, il n’y a plus personne de sérieux, on n’arrive même pas à élire un gouvernement… Mais au moins on sait ceux qu’on ne veut pas autrement c’est la guerre civile…

Pour la première fois je lui raconte ma vie, je lui parle de mon mari et je lui dis qu’il va y avoir un nom de rue à Aix parce qu’il a combattu le fascisme… Elle m’écoute et s’interroge : pourquoi il n’y a plus de gens comme ça.. Mais on ne peut pas attendre qu’ils soient là, il faut agir avec ce qu’on a …

Deuxième scène : ma rencontre avec la camarade italienne

Il y a dans la rue des Chartreux proche de chez moi, un couple d’Italiens avec lequel j’échange des propos savoureux… Ce sont des communistes italiens qui ont les mêmes passions de cinéphile et les mêmes goûts vestimentaires, le même sens de l’humour… Nous nous saluons, elle adore mes lunettes qui lui rappellent la dolce vita et moi je trouve son petit chapeau irrésistible… et de là nous passons à l’actualité…

Elle s’exclame : nous les Italiens, nous donnons dans la grosse farce, vous les Français c’est le Vaudeville, les portes qui claquent, on entre, on sort..

J’approuve “Oui ! c’est le Dindon de Feydau ou plutôt l’opérette d’Offenbach : la vie parisienne. Offenbach était un facétieux qui adorait attacher les lacets des musiciens de l’orchestre entre eux et quand ils se levaient imaginez le spectacle ou jouer lui-même une note sur deux… Il avait cette désinvolture et cette impertinence qui caractérisait pas mal d’artistes se moquant des ridicules du pouvoir et des riches bourgeois… Mais cette fête impertinente se termine avec Sedan puis le massacre de la Commune… Marx avait raison “cette nation d’émeutiers part et ne sait pas où elle va !” Quand je contemple la bande qui dirige ce Front populaire et l’état des troupes je me dis que l’Unité populaire d’Allende c’était un modèle d’organisation à côté de ce machin-là… Et je m’interroge si nous n’allons pas tous finir dans un stade gardés par “les forces de l’ordre” qui sont ce qu’elles sont…

Ce landerneau politico-médiatique est grotesque et seuls certains humoristes finissent par paraître sérieux, je pense à Guillaume Meurice, renvoyé, et qui répond à LFI qui lui propose un siège de candidat “je ne suis pas la république moi ! ses copains qui démissionnent, tandis que Sophie Davant qui elle n’a jamais fait de vague est stupéfaite de son renvoi parce que Bolloré a déclaré : il ne faut que du soutien au Rassemblement National. Il y a des prises de conscience tardives et qui restent prudentes… Mais après l’explosion stupéfiante de toutes les “certitudes”, la stratégie se dessine et on tape sur “les extrêmes” en tentant de mettre dans le même panier tout ce qui ne veut pas rentrer dans l’arc républicain… Comment passer du front républicain avec un seul épouvantail à deux ? C’est pas gagné mais c’est répété avec “conscience”…

Je lui dis que bien que lucide sur ce scénario je vais aller voter parce que ce peuple français certes se prend des raclées mémorables mais tout nait de son expérience et il est en train de la faire, la jeunesse en particulier et ça on ne doit pas le rater, ne pas être à leur côté..

Elle hoche la tête et me dit : “est-ce que tu pensais quand nous avions vingt ans que nous connaitrions un tel monde, une telle comédie… Un tel déclin… Je lui avoue avoir été bizarrement rassurée quand j’ai vu arriver Hollande, l’ennemi supposé de la finance, une sorte de garantie de trahison immédiate pour le deuxième tour où il inviterait les troupes à se rallier à la discipline “républicaine” avec un gouvernement d’unité nationale dont il serait premier ministre avec comme seul objectif d’en faire baver au président Macron, en lui faisant payer sa trahison… ce sera une telle débâcle qu’il n’y aura pas besoin de Pinochet et de son stade, le ridicule nous achèvera, pour un temps du moins… parce que tout continuera à se dégrader simplement ils auront cassé toute velléité d’organisation de résistance..

Ou peut-être il naitra l’idée qu’il faut enfin construire, réfléchir et en finir avec toute cette comédie…

TROISIÈME SCÈNE : LE TRANSPORT EN COMMUN

Troisième scène : hier j’ai égaré ma carte de transport d’abonnée, je vais dans le local du métro du Vieux port où on les distribue et là je tente d’échapper au paiement de dix euros pour une nouvelle carte en jouant à la petite vieille étourdie, ça marche souvent. Et là il faut que je fasse une pause sur les relations entre générations qui sont beaucoup mieux que ce que l’on croit.

Je suis devenue une sorte de grand-mère idéale comme il y en a dans les contes, en particulier dans les cottages anglais… tout le monde se précipite pour m’aider, les jeunes voyant que je vacille sur les escaliers roulants me portent mon sac, me tiennent par la main et se mettent de dos devant moi pour me retenir si par hasard je chutais.. et on rit, parce que je leur explique que dans le fond dans la vie on ne vous prépare jamais à des choses pourtant essentielles. Par exemple on ne vous explique pas ce qu’est la vieillesse et comment l’aborder… la vieillesse est un exploit sportif perpétuel, un effort contrôlé simplement pour faire ce qui leur parait évident à eux, c’est intéressant de se donner des challenges.. Par exemple avec leur aide d’affronter les escaliers roulants, je préfère mille fois descendre et monter les marches d’un escalier normal mais c’est intéressant aussi de mesurer ses capacités à surfer… Faire plusieurs pas de deux, sur place avant d’oser s’engager sur une marche alors que mes jeunes amis le font dos tourné, et en dansant… C’est comme le digital… Il faut essayer même si je préfère nettement aller acheter les billets dans un guichet… Ces jeunes gens s’interrogent effectivement sur les techniques et leur usage, ce qu’il adviendra d’eux quand ils auront mon âge… de là je passe à l’époque et à tous ces gens qui nous rendent la vie impossible et ce que l’on peut faire… ils sont disponibles, ravis qu’on reconnaisse ce dont ils sont capables et ils ne me lâchent plus… je pense aux recommandations du gouvernement chinois pendant les jeux olympiques : n’appelez pas vieille dame toute femme d’âge mature, ce qui est un signe de respect en Chine et assez mal perçu en occident. N’obligez pas toute personne d’âge mûr en attente sur un trottoir à traverser même si vous croyez que tel est son désir… Quand ce jeune rasta sans le faire exprès me bouscule devant les caisses, je m’exclame admirative ‘Comme vous avez de la force et de la vie en vous, il faut faire attention aux vieilles dames qui sont fragiles‘. Il se perd en excuse et en remerciements et est prêt à vous faire un rempart de son corps.. Ce n’est pas si différent des techniques de séduction utilisées jadis du temps de la beauté disparue simplement jadis c’était pour plaire, là c’est pour ne pas déplaire… le but n’a jamais été là mais de créer les conditions d’une écoute d’un dialogue dans lequel peu à peu s’estompent les différences de “sociabilité” pour construire ce qui nous est commun… un véritable échange dans lequel on passe de l’élan initial à un véritable dialogue dont tout le monde à soif.

Cette folie de la dissolution a même fait sauter des barrières…

J’adopte la même stratégie partir de la nécessité de se faire accepter pour que la parole retrouve du sens avec mes employés du tram, ils se moquent gentiment de moi qui espère des dons de l’administration, eux aussi ils voudraient bien une augmentation de salaire mais en voyant mon nom, l’employé qui est mon interlocuteur et le chef de bande, s’exclame “mais on l’a votre carte, on nous l’a rapportée!” J’exprime une joie et une reconnaissance qui n’est pas totalement jouée, ces gens sont sympathiques, serviables et ils apprécient qu’une vieille dame en soit à dix euros près… l’un d’eux considérant cette aïeule fragile et sans doute peu au fait de la politique, me conseille : ‘Il ne faut pas voter Macron, il va vous prendre encore de votre retraite’… je m’exclame ‘jamais!‘ un sixième sens m’avertit qu’ils vont m’expliquer que Le Pen promet d’abolir la réforme de Macron, qu’ils se sont tous les quatre convaincus… Avant donc qu’ils ne se lancent je leur explique que j’ai toujours voté communiste et que je continue… Eux visiblement cela se confirme sont tous pour le front National… mais ils ne me contredisent pas et opinent : Oui les communistes d’avant pas ceux de maintenant.. Je leur parle de Roussel… Oui, il est pas mal c’est dommage que ce soit un va-t-en guerre, qui veut qu’on soutienne l’Ukraine, il me plaisait mais il est comme les autres… Ils n’ont jamais prononcé le mot immigré simplement pour eux le vote en faveur du peuple, pour la sécurité et contre la guerre c’est le Rassemblement National… mais ils n’insistent pas et nous plaisantons pourtant je leur glisse que leur Bardella c’est comme Meloni, elle s’entend bien avec la droite qui les a toujours plumés… Ils soupirent “C’est vrai qu’on n’est sûr de rien… “

Nous sommes à chaque fois passés de la protection de la petite vieille dame un peu perdue à la discussion de fond, à l’échange et le ton a changé s’est empreint de gravité… On sent un besoin, une écoute qui espère des militants… la véritable démocratie… j’imagine ce que ce doit être dans les entreprises… Ce serait le moment pour le parti communiste que j’ai connu d’aller partout expliquer qui est l’adversaire réel…

Quelques scènes dont je n’ai rien inventé, trois lieux et des croquis pris sur le vif, qui me laissent dubitative, les jeunes sont les plus éloignés du vote mais pour les autres, j’ai l’impression que ce peuple va voter plus massivement qu’on ne l’imagine, de manière différente pour les mêmes raisons, parce qu’ils sont conscients d’une urgence, qu’il faut qu’ils s’en mêlent… Il n’y aucun enthousiasme pour celui pour qui on va voter simplement il représente un moindre mal par rapport aux autres.. Il y a du rire, de la gentillesse, mais aussi de l’inquiétude et un besoin de réflexion collective, la politique est redevenue un sujet dont on peut et doit parler, elle fait pour une fois partie du quotidien .. la dernière fois que j’ai perçu une telle intensité cela avait donné le vote NON à la Constitution, un vote trahi…

Danielle Bleitrach

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2 Commentaires

  • Michel BEYER
    Michel BEYER

    Danielle,
    permets-moi un conseil de vieux monsieur à une vielle dame. Je me suis fat installer un monte-escalier. Cela m’a coûté quelques euros. Mes articulations me disent merci….

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    • admin5319
      admin5319

      Cher Michel,
      moi c’est le contraire mes articulations exigent d’être toujours plus sollicitées et s’en portent fort bien, ce matin je pars faire du yoga et demain je vais me livre à mon plaisir la gymnastique dans l’eau de mer… non mon problème c’est l’équilibre… je vacille comme une grive qui se serait trop gorgée de raisin et le sol parfois se dérobe alors les engins mécaniques ne font s’aggraver le mal. Je n’ai pas besoin de canne parfois je l’oublie mais elle m’aide quand la tête tourne, je marche parfois trop vite et tout à coup si je garde les pieds dans le simple prolongement du corps sans les écarter un peu plus je vacille… Il faut aussi apprendre à poser son regard droit devant soi mais en balayant un axe large qui ne quitte pas les pièges du trottoir, pareil quand on se baisse, ne pas piquer du nez, En fait le confort maximal c’est la position du Sumo… Comme tu le vois je suis devenue une athlète du vieillissement, je suis avec beaucoup d’attention, avec la passion d’un entomologiste les signes de ma décrépitude… Ce n’est pas si différent de mes observations sur la situation politique française, tu peux reprendre chacune des remarques et les appliquer à l’art et la manière de survivre dans cette inexorable vieillesse du monde capitaliste et de ses sursauts vaudevillesques en refusant de céder mais avec raison et souplesse…
      Il me semble qu’être communiste est une bonne hygiène de vie : considérer avec lucidité les possibles ne pas se raconter d’histoire mais toujours agir dans le sens de la vie, à partir de l’idée simple de faire jusqu’au bout le peu qu’on peut et se respecter comme on respecte les autres dans tous les combats qui vont dans le sens de la vie… de ce point de vue j’apprécie les Chinois qui n’ont aucune honte à être épicuriens..

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