Voici un témoignage très important non seulement sur le caractère totalement contreproductif pour la survie de l’Ukraine de l’entretien de cette guerre mais surtout en tant qu’acteur de l’époque des promesses qui avaient été faites à Gorbatchev de ne pas élargir l’OTAN. Nous apprenons beaucoup de choses et cet homme de 94 ans s’il demeure anticommuniste et convaincu de la supériorité du système américain représente en quelque sorte la manière dont durant la guerre froide les Etats-Unis pour leur bien étaient contraints à des limites qui aujourd’hui sont complétement dépassées pour le mal de l’humanité mais des Etats-Unis eux-mêmes. C’est une démonstration imparable sur le fait que toutes les arguties sur le soutien à l’Ukraine en s’impliquant de plus en plus dans la guerre ne sont pas défendables. Non nous ne défendons pas une démocratie attaquée par un dictateur voisin, mais en violation de toutes les promesses faites à la Russie en train de dissoudre le pacte de Varsovie, l’OTAN, l’UE, les USA (et la France a joué à chaque fois son rôle de traitre de service) a été installé un régime qui s’est retourné contre la partie russe de son territoire en ayant pour seule idéologie la haine des Russes, à lire absolument. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
06/05/2024
par Gregor Baszak
Publié le
Jack F. Matlock, Jr. a été ambassadeur des États-Unis en Union soviétique de 1987 à 1991 et de 1981 à 1983 en Tchécoslovaquie. Il a siégé au Conseil de sécurité nationale sous le président Reagan et a participé à plusieurs sommets sur le contrôle des armements, notamment à Reykjavik en 1986. Au total, il a servi 35 ans dans le service diplomatique américain, de 1956 à 1991. De 1996 à 2001, il a été professeur à l’Institute for Advanced Study de Princeton, dans le New Jersey. Il est l’auteur de trois livres : Superpower Illusions (2010), Reagan and Gorbatchev : How the Cold War Ended (2004) et Autopsie d’un empire (1995). Ce qui suit est la transcription d’une conversation qui a eu lieu le 22 avril 2024. La transcription a été légèrement modifiée pour plus de clarté et de lisibilité.
Monsieur Matlock, le 20 avril, une large majorité bipartite à la Chambre des représentants a approuvé un projet de loi de 95,3 milliards de dollars sur l’aide étrangère. Il envoie 60,8 milliards de dollars à l’Ukraine et le reste à Israël, à Gaza et à Taïwan. Le Congrès a également approuvé d’autres mesures, notamment l’extension de la surveillance sans mandat aux États-Unis. De nombreux membres du Congrès, en particulier des démocrates, agitaient des drapeaux ukrainiens dans la salle. Qu’est-ce qui vous est passé par la tête quand vous avez vu ces images ?
Je pense qu’ils font une très grosse erreur. Tout d’abord, ces crédits ne proviennent pas du contribuable. Nous devons emprunter de l’argent pour couvrir ces crédits et nous sommes déjà extrêmement endettés à l’étranger. Nous avons maintenant une dette nationale de plus de 33 000 milliards de dollars, et elle augmente de 2 000 milliards de dollars par an. Comme l’a dit le président de la Réserve fédérale, c’est insoutenable.
Maintenant, quel est le but de ces crédits ? Le crédit le plus important a été alloué à l’Ukraine. L’Ukraine ne peut pas gagner cette guerre dans les termes que les dirigeants ukrainiens ont énoncés. En fait, il ne serait pas dans l’intérêt de l’Ukraine que l’Ukraine récupère tout le territoire que la Russie occupe actuellement. La grande majorité des gens là-bas sont russophones, tandis que le gouvernement ukrainien actuel a déclaré que les russophones ne sont pas de vrais Ukrainiens. L’OTAN fournit déjà ce qu’elle pourrait fournir si l’Ukraine était membre de l’OTAN. Plus d’armes permettront tout simplement plus de destructions, la plupart en Ukraine même. Plus cette guerre durera, plus la Russie s’emparera de territoires et insistera probablement pour les conserver. Si cela dure plus longtemps, l’Ukraine se révélera être un État difficilement viable, surtout s’il continue à se définir comme une anti-Russie, son principal voisin et un pays auquel ses régions orientales et méridionales ont appartenu pendant plusieurs siècles.
Maintenant, dans le cas de l’aide militaire à Israël, nous continuons à déverser de l’argent et des armes alors qu’Israël est presque certainement engagé dans un génocide. C’est une question sérieuse, et même si beaucoup d’actions d’Israël ont été condamnées par notre président, même si Israël ne fait pas ce qu’il suggère, il continue de les armer.
En ce qui concerne l’aide à Taïwan, la mise en place d’une présence militaire américaine dans ce pays risque d’inciter les Chinois à tenter d’absorber Taïwan par des moyens militaires. Les États-Unis ne devraient pas réviser la politique définie par le président Nixon lorsque les États-Unis ont reconnu la République populaire de Chine. Taïwan a une économie remarquablement bonne qui survivrait difficilement si la Chine devait attaquer. Mais si la Chine décidait d’envahir, ce serait une folie pour les États-Unis d’entrer en guerre contre la Chine. Une telle guerre pourrait facilement devenir nucléaire.
Je suis sûr que vous connaissez le travail d’Elbridge Colby. Il est un grand partisan de ce qu’il appelle une « stratégie du déni », essentiellement en contenant la Chine, en l’empêchant, par l’intermédiaire de Taïwan, de se projeter davantage dans les chaînes d’îles de la mer de Chine méridionale. Il soutient que c’est dans l’intérêt de la sécurité nationale de l’Amérique, que c’est là que l’Amérique doit investir. Que répondez-vous à cela ?
Je ne pense pas que ces arguments aient du sens. Nous disons que notre marine doit dominer la mer de Chine méridionale. Comment réagirions-nous si les Chinois, les Russes ou n’importe quel autre pays disaient : « Nous devons dominer les Caraïbes » ? Comment nous sentirions-nous si les Chinois contournaient régulièrement la frontière pour recueillir des renseignements ? Nous le faisons autour des leurs. Je n’adhère pas à l’argument selon lequel les États-Unis ont l’obligation de dominer les mers du monde. Bien sûr, nous voulons qu’elles soient ouvertes au commerce, et c’est aussi dans l’intérêt de la Chine.
Je pense que militariser les relations avec la Chine est une énorme erreur. Au cours des 30 dernières années, le gouvernement chinois a probablement amélioré la vie de plus de gens plus rapidement que n’importe quel autre gouvernement dans l’histoire. Le PIB chinois est égal ou supérieur à celui des États-Unis. Certains voient cela comme une menace, mais pas moi. La Chine a plus de quatre fois la population des États-Unis. Alors pourquoi leur PIB ne serait-il pas au moins quatre fois supérieur au nôtre ? Cette idée que les États-Unis doivent être numéro un dans tous les domaines, et que tout pays dont l’économie croît plus rapidement est une menace, est tout simplement une fausse logique.
Dans les deux prochaines questions, je voulais revenir en arrière dans l’histoire. En 1997, vous avez été cosignataire d’une lettre ouverte rédigée par 50 voix de l’establishment de la politique étrangère américaine qui qualifiaient l’expansion de l’OTAN vers l’Est d’« erreur politique aux proportions historiques ». La lettre affirmait également que l’expansion de l’OTAN « renforcerait l’opposition non démocratique » en Russie et « diminuerait la sécurité des alliés et perturberait la stabilité européenne ». Récolte-t-on aujourd’hui ce que nous avons semé à l’époque ?
Oui, parfaitement. J’étais fermement opposé à l’élargissement de l’OTAN par rapport à sa composition de 1991. J’ai assisté à plusieurs réunions au cours desquelles les dirigeants américains, mais aussi britanniques et allemands, ont assuré à Gorbatchev et au ministre des Affaires étrangères de l’époque, Chevardnaze, que si l’Allemagne de l’Est était autorisée à rejoindre l’Allemagne de l’Ouest et que l’Allemagne unifiée restait dans l’OTAN, l’OTAN ne se déplacerait pas plus à l’est. En fait, comme l’a dit à plusieurs reprises le secrétaire d’État Baker, l’OTAN ne s’étendrait « pas d’un pouce ».
Lors de leur rencontre au sommet à Malte en décembre 1990, lorsque Gorbatchev et le président George Herbert Walker Bush ont déclaré la fin de la guerre froide, il y a eu plusieurs autres déclarations. L’une d’entre elles était que l’Union soviétique n’interviendrait pas en Europe de l’Est s’il y avait un changement politique et la seconde était que les États-Unis ne profiteraient pas de cette situation. Maintenant, l’expansion d’une alliance militaire dans ces régions serait évidemment un avantage. Je dirais que toute l’idée de mettre fin à la guerre froide reposait en partie sur l’idée que l’alliance occidentale ne s’étendrait pas.
Il y avait de bonnes raisons d’éviter l’expansion. Une fois que le Pacte de Varsovie a été rompu et que les pays d’Europe de l’Est ont été autorisés à se démocratiser avec l’encouragement de Gorbatchev, il n’y avait aucune possibilité que l’Union soviétique envahisse l’Europe occidentale. C’était l’objectif initial de l’OTAN et il a été atteint.
Et il y a un autre aspect ici, et c’est notre triomphalisme. Nous avons mis fin à la guerre froide par la négociation et il a été possible d’y mettre fin lorsque Gorbatchev a abandonné le principe de base du Parti communiste et de sa politique étrangère, la « lutte des classes » marxiste. Il l’a totalement abandonné dans un discours à l’ONU en décembre 1988. Gorbatchev annonça que désormais la politique étrangère soviétique était basée sur « les intérêts communs de l’humanité ». C’est le contraire de la politique marxiste-léniniste antérieure et, bien sûr, c’était aussi la base pour essayer de réformer l’Union soviétique et de la rendre plus démocratique. Si l’Union soviétique a permis aux pays d’Europe de l’Est de se démocratiser et qu’elle était elle-même en train de se réformer, pourquoi devrions-nous les inclure dans une alliance occidentale qui avait été là pour empêcher une invasion soviétique de ces pays ? Il n’y avait plus de menace.
En fait, la Russie a accepté l’expansion initiale de l’OTAN et l’élargissement aux États baltes, mais s’est opposée à l’extension aux Balkans et à l’établissement de bases militaires étrangères dans ces pays.
Mais il n’y a jamais eu de bonne raison d’élargir l’OTAN. Au début, nous avons proposé ce qu’on appelle un partenariat pour la paix, qui aurait très bien fonctionné. C’était acceptable pour Boris Eltsine, le dirigeant russe de l’époque, et pour d’autres. Mais le problème avec l’expansion de l’OTAN n’était pas tant la garantie de l’article 5 qu’une attaque contre l’un sera considérée comme une attaque contre les autres. Ce qui était sensible pour la Russie, c’était l’établissement de bases étrangères et surtout américaines dans ces pays. L’adhésion elle-même n’était pas si importante. Ce n’est que lorsque nous avons commencé à y installer des bases en même temps que les relations se sont détériorées. C’était sous la deuxième administration Bush, lorsque les États-Unis ont commencé à se retirer de pratiquement tous les accords de contrôle des armements que nous avions conclus et qui étaient à la base de la fin de la guerre froide.
Il n’y avait pas que ces 50 experts en politique étrangère qui s’opposaient à l’expansion de l’OTAN. George Kennan et Henry Kissinger aussi. William Burns, alors ambassadeur des États-Unis en Russie, a envoyé en 2008 un câble publié par Wikileaks exposant clairement l’opposition russe à l’Ukraine et à la proposition d’adhésion de la Géorgie à l’OTAN. Il s’intitulait « Niet c’est niet ». Si tout cela semblait si clair à l’establishment de la politique étrangère à Washington DC à l’époque, comment se fait-il qu’aujourd’hui vous ne trouviez presque plus de voix éminente s’opposant à l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN ? Qu’est-ce qui a changé ?
Il est très clair qu’au cours des décennies qui ont commencé à la fin des années 90 et en particulier au cours de la première décennie du XXIe siècle, il y a eu un effort concerté de la part du complexe militaro-industriel américain pour trouver des « concurrents pairs » afin de justifier des budgets de défense énormes et croissants. Ceux d’entre nous qui ont négocié la fin de la guerre froide prédisaient que les bases de l’OTAN dans les pays libres d’Europe de l’Est allaient provoquer la Russie, et la Russie à cette époque était dans une situation économique très difficile.
Je rappelle aux gens qui disent : « Oh, la Russie est toujours l’agresseur » que c’est le dirigeant élu de la Fédération de Russie qui a dirigé et permis l’éclatement de l’Union soviétique, qui s’est produit de manière pacifique. Les pays baltes ont bénéficié du soutien de Boris Eltsine tout au long de leur quête d’indépendance. Dans ce cas, le dirigeant russe élu est le plus responsable de l’éclatement de l’Union soviétique et quand les gens disent : « La Russie fait toujours ceci, la Russie fait toujours cela », c’est un non-sens parce que l’Union soviétique était un État communiste très différent de la Russie actuelle. Je dirais qu’en ce qui concerne l’utilisation de l’espionnage et de la propagande, la Russie et l’Ukraine ont exactement le même héritage, et c’est vraiment une compétition entre ceux qui font la propagande la plus tendancieuse. Mais le fait est que les gens qui partent de notions abstraites et tirent des conclusions oublient tous les détails qui, en fait, rendent leurs conclusions irrationnelles.
Permettez-moi simplement d’ajouter ici que je pense que la politique actuelle, la politique qui a produit bon nombre de ces erreurs actuelles, a une base philosophique faible. Beaucoup disent que c’est notre mission de promouvoir la démocratie dans le monde. Ils ne définissent pas exactement ce qu’est la démocratie. En fait, le mot n’apparaît pas dans la Constitution américaine. Il ne figure pas dans le serment d’office que nous prêtons. Ni dans le serment d’allégeance. Nous prêtons serment d’allégeance au drapeau des États-Unis d’Amérique et à la république qu’il représente. Pour en revenir à la Première Guerre mondiale, l’une des raisons pour lesquelles Wilson est entré dans la Première Guerre mondiale était de protéger la démocratie. Attendez un peu. Chaque pays qui a combattu pendant la Première Guerre mondiale était un empire. La Grande-Bretagne était un empire au même titre que l’Allemagne et la Russie. La Grande-Bretagne et la France ont continué à étendre leurs empires à la fin de la guerre. Et donc, les États-Unis ont-ils vraiment soutenu la démocratie ?
En d’autres termes, vous pensez que c’est une fraude que l’OTAN défende réellement la démocratie contre l’autoritarisme en Ukraine.
L’idée qu’une puissance extérieure puisse en amener une autre à être démocratique la fait complètement à l’envers. Après tout, si la démocratie est un gouvernement de, par et pour le peuple, comme l’a dit Abraham Lincoln, comment un étranger peut-il l’imposer ? Le fait est que lorsqu’un étranger commence à soutenir certaines factions dans un autre pays, il va leur faire plus de mal que de bien. Il suffit de regarder comment nous avons réagi à la fausse accusation, je pense, selon laquelle la Russie a aidé à l’élection de Trump en 2016. C’était une énorme tromperie que beaucoup considèrent encore comme un fait. Oui, la Russie a eu de la propagande et des trolls sur Internet, mais il n’y a aucune preuve que cela ait eu le moindre effet sur le résultat de l’élection de 2016.
Mais ce que j’ai commencé à dire, c’est que, en particulier à partir de la fin des années 90 et dans les années 2000, vous avez eu la soi-disant élite américaine de la politique étrangère, y compris les médias, de nombreux groupes de réflexion et aussi dans le gouvernement qui a essayé de développer une politique pour répandre la démocratie à l’étranger. Aujourd’hui, quand on dit qu’on défend la démocratie en soutenant les Ukrainiens, c’est un non-sens absolu. Le gouvernement ukrainien actuel est le résultat d’un coup d’État en 2014 qui a renversé un président élu. Les régions qui s’étaient séparées de l’Ukraine, mais revendiquées par l’Ukraine, n’avaient pas accès au vote. Le gouvernement actuel est dictatorial et corrompu.
Alors, que faire ? Je veux dire que du point de vue russe, il n’y a aucune chance de rétablir Minsk-2. L’ancienne chancelière allemande Amgela Merkel a déclaré que les Européens avaient utilisé les accords de Minsk pour donner à l’Ukraine le temps de se réarmer (on ne sait pas si elle a dit cela pour sauver sa réputation). Donc, les Russes ne nous feraient pas confiance de toute façon. Nous leur en voulons d’avoir envahi l’Ukraine, alors pouvons-nous soudainement déclarer le conflit gelé ? Selon vous, quel est le résultat le plus probable et le plus préférable qui soit à la fois le plus réaliste ?
Les frontières que le gouvernement ukrainien actuel dit vouloir conserver ont été créées par Joseph Staline et Adolf Hitler et, dans le cas de la Crimée, par Nikita Khrouchtchev. Il ne s’agissait pas de frontières qui ont fait l’objet d’une bataille et d’une négociation avec de nombreuses élections, etc. Ce qui est l’Ukraine occidentale n’avait jamais fait partie de l’Empire russe quand Hitler l’a donné à Staline. Maintenant, pourquoi les gens versent-ils leur sang pour recréer un héritage d’Hitler et de Staline ? Et, soit dit en passant, dans l’ouest de l’Ukraine, vous avez un mouvement néonazi très puissant qui est militarisé et qui a été l’un des principaux facteurs de provocation pour la Russie. Nier cela, c’est tout simplement nier les faits.
Je ne comprends pas pourquoi il est dans l’intérêt du peuple allemand de suivre la politique de son gouvernement aujourd’hui. Bien sûr, c’est à eux de décider. Ce n’est pas à moi de décider, mais en tant qu’observateur extérieur, je pensais qu’ils s’en sortaient plutôt bien lorsqu’ils avaient des relations économiques complètes avec la Russie. Je n’ai rien vu de mal avec Nord Stream. Avant la mise en service de Nord Stream 1, la majeure partie du gaz russe transitait par l’Ukraine. Les Ukrainiens prenaient ce qu’ils voulaient, souvent sans le payer, et si les Russes essayaient de collecter en réduisant le flux, les Ukrainiens prenaient toujours ce qu’ils voulaient et réduisaient ce qui était transmis à l’Europe centrale et occidentale. Il était donc dans l’intérêt de l’Allemagne et de la Russie de construire Nord Stream. Je pense que les objections ont toujours été politiques.
Maintenant, permettez-moi d’ajouter une chose dont nous n’avons pas parlé. Il s’agit de l’effort des États-Unis et de l’UE pour séparer l’Ukraine de la Russie. Il a pris forme en particulier en 2014 lors des manifestations de Maïdan à Kiev. La violence, soit dit en passant, a été déclenchée à l’ouest par ces formations néo-nazies qui ont commencé à tirer sur les manifestants. Il avait été convenu qu’il y aurait des élections d’ici la fin de l’année, et il semblait qu’il y aurait de bonnes chances que Ianoukovitch perde. Mais néanmoins, un coup d’État a eu lieu, et la Russie a toutes les raisons de croire qu’il a été fomenté par la CIA et par d’autres membres de l’OTAN, y compris le Royaume-Uni.
Vous aimez souligner qu’à la fin de la guerre froide, la position officielle des États-Unis était d’empêcher l’effondrement de l’Union soviétique. Le président George H. W. Bush a soutenu le traité d’union proposé par le président Gorbatchev et a déclaré lors d’un discours remarquable qu’il a prononcé dans la chambre du Soviet suprême d’Ukraine à Kiev le 1er août 1991 : « Les Américains ne soutiendront pas ceux qui cherchent l’indépendance afin de remplacer une tyrannie lointaine par un despotisme local. Ils n’aideront pas ceux qui promeuvent un nationalisme suicidaire basé sur la haine ethnique ». Comme on pouvait s’y attendre, cette ligne a provoqué la colère des partisans de la ligne dure américaine et des nationalistes ukrainiens et n’a eu aucun effet : plus tard cette année-là, les Ukrainiens ont encore massivement voté pour l’indépendance de l’Union soviétique. Mais pourriez-vous expliquer pourquoi le président Bush père a pris cette position à l’époque ?
J’étais dans l’avion avec Bush quand nous avons pris l’avion de Moscou à Kiev, et alors qu’il préparait son discours pour la Verkhovna Rada, il a personnellement écrit et formulé les phrases que vous avez citées. Il ne voulait pas voir l’Union soviétique éclater. Il voulait que les trois États baltes acquièrent leur véritable indépendance, et il l’a totalement soutenue. Les États-Unis n’ont jamais reconnu les pays baltes comme faisant légitimement partie de l’Union soviétique. En ce qui concerne les autres républiques soviétiques, nous avons reconnu qu’elles faisaient partie de l’Union soviétique en toute légalité.
Il y avait au moins deux raisons pour lesquelles Bush soutenait les efforts de Gorbatchev pour créer une union volontaire. L’une d’entre elles était que s’ils devaient être soudainement lâchés avant qu’il n’y ait plus de réformes démocratiques, les dirigeants communistes locaux prendraient simplement le pouvoir. Gorbatchev essayait de changer le système, et bien sûr, les directeurs rouges, comme vous diriez, ceux qui dirigeaient réellement le système, étaient opposés à ces réformes.
L’autre raison, c’est que nous ne voulions pas d’une prolifération des armes nucléaires. Nous pensions que ce serait très dangereux. Auparavant, il y avait des armes nucléaires stationnées dans beaucoup de ces républiques. Au moment de l’éclatement de l’Union soviétique, il n’y avait d’armes nucléaires que dans quatre d’entre elles, et cela faisait partie intégrante de la politique américaine de craindre les voir se disloquer, nous voulions que les armes soient concentrées en Russie où elles pourraient être plus facilement maîtrisées. Un grand nombre de ces armes devaient être détruites en vertu du traité START en vigueur. Nous ne voulions donc vraiment pas voir la rupture de l’URSS.
Eh bien, vos critiques pourraient objecter : attendez, alors vous avez dit que nous voulions empêcher la prolifération nucléaire, et nous voulions empêcher l’Ukraine d’être dirigée par un despote. Ces critiques diraient qu’aujourd’hui, c’est un phare lumineux de la démocratie et que la prolifération n’a pas eu lieu. Bush avait donc tort, et la stratégie belliciste à l’égard de l’Union soviétique était la bonne.
La prolifération n’a pas eu lieu parce que l’Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan ont transféré les armes nucléaires à la Russie comme l’exigeaient les États-Unis. Mais c’est une parodie de dire que l’Ukraine est aujourd’hui une démocratie. Ce n’est pas le cas. Elle est probablement moins démocratique que la Russie. Et comme je l’ai déjà souligné, le gouvernement actuel est le résultat d’un coup d’État en 2014. Dès ses débuts en tant qu’État indépendant en décembre 1991, l’Ukraine a été profondément divisée politiquement.
Je suis allé à Kiev, ça devait être en 1993 ou 1994, avec un groupe de personnes qui avaient travaillé au Conseil de sécurité nationale. Nous avions un accord avec le gouvernement ukrainien pour venir leur décrire comment nous fonctionnions au sein du Conseil de sécurité nationale à Washington. À la fin de notre présentation, un haut responsable ukrainien a commenté : « Vous parlez de relations étrangères, mais notre problème est interne. » Et puis ils nous ont montré des cartes de l’endroit où des votes avaient eu lieu, avec d’un côté 85, 90% d’un parti à l’Ouest, puis à l’Est 85 ou 90% de l’autre parti. Et en fait, ces élections ont été divisées presque à 50-50. Au cours des années suivantes, parfois un côté obtenait 50,1 %, parfois l’autre, mais c’était toujours très serré.
Ce qui rendait cela particulièrement dangereux, c’était la constitution ukrainienne qui faisait que le président devait nommer ce que nous appellerions les gouverneurs des États, les chefs provinciaux. Il n’y avait pas d’élections provinciales comme nous, les Américains. Évidemment, un tel système ne fonctionne pas si le pays est très divisé, mais c’est ainsi que le problème a commencé là-bas et qu’ils sont devenus de plus en plus profonds et en 2014, la violence a commencé du côté ouest et principalement à cause de ces groupes néonazis qui ont tout d’abord commencé à prendre le contrôle des bureaux des gouverneurs de province.
C’est pourquoi l’une des exigences des accords de Minsk était que l’Ukraine adopte une constitution fédérale qui permettrait à ces entités russophones d’élire leurs propres dirigeants de la même manière que les citoyens des États américains élisent leurs gouverneurs. Si nous, les Américains, avions eu le genre de système qu’avait l’Ukraine, nous nous serions séparés depuis longtemps. Vous avez besoin d’un système fédéral comme celui de la Suisse, par exemple, ou de la Belgique, ou de la Finlande, où la minorité suédoise a tous les droits culturels. Mais c’est quelque chose que le gouvernement ukrainien actuel, ceux qui le contrôlent, n’ont jamais concédé et, comme je l’ai dit, c’était l’une des exigences de l’accord de Minsk. Pourquoi l’Allemagne et la France n’ont-elles pas insisté pour que les Ukrainiens s’y conforment s’ils voulaient recevoir plus d’aide, je ne sais pas. Les États-Unis auraient dû faire de même. Nous avons approuvé l’accord, même si nous n’en étions pas signataires.
La tragédie actuelle, c’est que c’est mauvais pour tout le monde. De toute évidence, les Ukrainiens souffrent le plus, et nous savons aussi que quelques semaines après l’invasion russe, ils ont failli parvenir à un accord, mais ont été découragés par Boris Johnson. Ils ont aussi, j’en suis sûr, été découragés par les États-Unis.
Vous avez été un proche conseiller du président Reagan, que la plupart des gens considèrent comme un personnage particulièrement belliciste à l’égard de l’Union soviétique et de la Russie. Il a appelé l’Union soviétique « l’Empire du Mal ». Le récit historique reçu est qu’il a gagné la guerre froide pour nous. Il a essentiellement dépensé plus que l’Union soviétique parce qu’il cherchait à la faire disparaître. En fait, son nom est régulièrement invoqué par les faucons russes en Occident comme quelqu’un qui serait aujourd’hui dur avec le président Poutine et que M. Reagan « se retournerait dans sa tombe » s’il était témoin de l’opposition de certains républicains à davantage d’aide militaire pour l’Ukraine, comme l’a récemment déclaré le président polonais Donald Tusk. Le Reagan que vous décrivez dans vos livres, en revanche, était loin d’être le faucon que beaucoup d’entre nous ont lu. Qu’est-ce que le Reagan que vous connaissiez représentait en ce qui concerne le rôle de la Russie et de l’Amérique dans le monde ?
À l’époque, nous avions affaire à l’Union soviétique et non à la Russie en tant qu’entité. Le président Reagan connaissait la différence entre l’Union soviétique et la Russie. Il ne voyait aucun conflit d’intérêts entre nous et la Russie. Son problème était le communisme et les tentatives soviétiques d’imposer le communisme aux autres. Oui, il a qualifié l’URSS d’« empire du mal », mais en 1988, lorsqu’il s’y est rendu, il a dit que c’était du passé, que ce n’était plus vrai, et il a donné à Gorbatchev le mérite de l’avoir changé. Alors oui, c’était un adversaire du communisme et de l’expansionnisme soviétique. Mais il était parfaitement conscient des pertes russes pendant la Seconde Guerre mondiale et de leur contribution à la victoire sur l’Allemagne.
Une autre chose qui différenciait l’approche de Reagan de celle de nos présidents plus récents, c’est que, même s’il critiquait le communisme, il n’a jamais insulté publiquement un dirigeant soviétique. Lorsqu’il rencontra Gromyko, le ministre soviétique des Affaires étrangères, il lui serra la main en disant : « Nous tenons la paix du monde entre nos mains. Nous devons agir de manière responsable ». Il s’est surtout efforcé de comprendre Gorbatchev et de construire un esprit de confiance avec lui.
Reagan n’était pas un intellectuel qui avait une grande connaissance de l’histoire, mais qui était avide d’apprendre. C’était quelqu’un qui savait comment traiter avec les autres. La dernière chose qu’il ferait serait d’insulter publiquement un dirigeant soviétique. Comme je l’ai dit, il a compris que la Russie avait beaucoup souffert pendant la Seconde Guerre mondiale, plus que les États-Unis, et que les Russes avaient besoin de respect pour cela. En fait, aux lettres que je rédigeais pour lui aux dirigeants soviétiques, il ajoutait toujours de sa main quelque chose sur le grand respect qu’il avait pour leur performance pendant la guerre et leurs pertes énormes.
Plus tard, lorsque nos dirigeants occidentaux ont refusé d’inviter le président Poutine aux célébrations de la Seconde Guerre mondiale, comme à l’anniversaire de l’invasion de la Normandie, et ont commencé à le diaboliser, en grande partie pour des choses qu’il a faites chez lui, et non pour ce qu’il nous a fait – c’est tout le contraire de ce que Reagan aurait fait ou dit.
Au fond, Reagan était un homme de paix et un homme qui savait négocier, qui ne partait pas tant d’idées abstraites que de faits concrets. Comme il le disait parfois, ils ont un système minable, ces communistes, mais si c’est ce qu’ils veulent, c’est leur affaire. Et il pensait que les États-Unis devraient être une ville brillante sur la colline, un exemple pour le monde, pas une ville qui s’impliquerait dans la politique d’autres pays. L’approche de négociation qu’il a approuvée était presque à l’opposé de ce que nous avons fait depuis. Il a essayé de comprendre d’où Gorbatchev venait, ce dont il avait besoin et nous avons présenté tous nos objectifs, non pas comme des demandes qu’ils fassent quelque chose que nous voulions qu’ils fassent, mais comme des suggestions que nous coopérions pour atteindre un but commun. Nous n’avons pas dit qu’il fallait assainir la situation des droits de l’homme. Nous avons dit : coopérons pour améliorer le respect des droits de l’homme. Lors de sa première rencontre avec le secrétaire d’État George Shultz, Chevardnaze a déclaré : « Pouvons-nous parler de la condition des femmes et des Noirs aux États-Unis ? ». Shultz a déclaré : « Absolument, je pense que nous faisons des progrès, mais nous avons encore du chemin à parcourir et nous pouvons utiliser toute l’aide que nous pouvons obtenir. » Tout ce que nous demandions était réciproque. En fait, nous avons coopéré pour mettre fin à la plupart de nos affrontements dans d’autres points chauds.
Depuis lors, il y a eu ce triomphalisme et nous avons vu la Russie d’abord comme un adversaire vaincu, puis comme un ennemi alors qu’ils n’avaient rien fait pour nous menacer. Et je dois dire que la ligne de démarcation entre la Russie et l’Ukraine n’a jamais été une question vitale pour les États-Unis ou tout autre membre de l’OTAN. Ce n’est pas notre affaire. Les combats actuels ont tous les éléments émotionnels d’une guerre civile. L’Ukraine et la Russie ont une histoire profondément liée et il n’y aura pas de paix entre elles à moins qu’elles ne parviennent à un accord accepté par les deux parties.
De nombreux analystes de l’OTAN estiment que d’ici quelques années, la Russie sera capable d’envahir le territoire de l’OTAN. C’est de la folie pure et simple ?
Je ne pense pas qu’ils en aient la capacité ni l’envie. En fait, je ne pense pas qu’il y ait un quelconque désir de contrôler ces Ukrainiens dans l’ouest de l’Ukraine. Je doute qu’ils veuillent prendre Kiev, par exemple. J’en doute fortement. Maintenant, s’ils continuent d’avancer, ils pourraient prendre Kharkov et Odessa. Et si nous continuons à déverser des armes et que certaines d’entre elles sont utilisées pour frapper des territoires en Russie proprement dite, je ne sais pas. Ils se sont réservé le droit d’utiliser des armes nucléaires si nécessaire et j’espère qu’ils ne jugeront jamais cela nécessaire.
Mais je voudrais aussi souligner qu’il semble y avoir aux États-Unis, et aussi parmi des éléments en Allemagne et au Royaume-Uni, l’idée que tout ce qui est russe est inférieur. Et il est vrai que la Russie a parfois été en retard sur certains aspects de la technologie, bien qu’à l’avant-garde sur d’autres. Ils ont été les premiers dans l’espace. Il y a eu des moments où nous ne pouvions pas nous rendre à la station spatiale sans utiliser de fusées russes. Donc, l’idée qu’ils ont une technologie totalement inférieure, et que nous pouvons les affaiblir en les coupant, oublie qu’ils sont un pays avec d’énormes ressources, à la fois humaines et physiques, et dans un certain nombre de domaines, lorsque nous avons exercé des pressions, ils nous ont dépassés.
Malgré les sanctions.
Je pense que toute la politique de sanctions économiques a été galvaudée. Je ne me souviens pas d’un moment où les sanctions économiques ont produit des changements politiques liés à la sécurité. Nous avons mis en place une énorme bureaucratie pour sanctionner non seulement les gens qui sont des ennemis, mais aussi des sanctions pour des choses qu’ils font chez eux et qui devraient être leur affaire et, accessoirement, pour sanctionner d’autres pays qui ne sont pas sous notre juridiction. Je pense qu’il s’agit d’une mauvaise utilisation de la situation dans laquelle nous nous trouvons, et que cela va la miner. Et le fait que nous le fassions, en fait de plus en plus avec des fonds empruntés, n’est pas viable indéfiniment. Je me demande combien d’Européens, en particulier d’Allemands, y prêtent attention.
À 94 ans, vous vous mêlez toujours de l’actualité. En février, vous avez écrit dans un essai que le vice-ministre soviétique des Affaires étrangères Ivan Aboimov vous a adressé en décembre 1989 : « Nous vous avons donné la doctrine Brejnev avec nos compliments. Considérez-le comme un cadeau de Noël ». Que voulait-il dire par là ? L’Occident poursuit-il aujourd’hui une sorte de doctrine Brejnev ?
Je pense que c’est le cas. Notre politique actuelle s’appelle « l’ordre international fondé sur des règles ». Bien sûr, nous enfreignons ces conditions quand nous le souhaitons. Dans de nombreux cas, il semble que nous fonctionnions selon les mêmes principes qui nous ont amenés à la Première et à la Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire que nous nous battons pour savoir qui contrôle quel territoire. Si nous n’avons pas appris dans la première moitié du XXe siècle que c’est un jeu perdant pour tout le monde, alors je pense que nous ignorons l’histoire qui aurait dû nous enseigner des leçons vitales.
Selon Marx et Lénine, il allait y avoir une révolution prolétarienne mondiale qui éliminerait la classe bourgeoise, la classe dominante, comme ils disaient, et créerait le socialisme qui se développerait en communisme. La doctrine Brejnev était que si un pays avait atteint le socialisme, il était du devoir des autres pays socialistes de le protéger s’il était en danger. C’est le raisonnement que l’Union soviétique a utilisé pour envahir la Hongrie lorsqu’elle s’est révoltée en 1956, puis plus tard la Tchécoslovaquie lorsque le Printemps de Prague a commencé à la démocratiser. C’était la doctrine Brejnev.
Ce que nous disons maintenant, c’est que nous devons protéger et défendre la démocratie à l’étranger et la créer pour d’autres personnes. Cela ne dit-il pas la même chose que Brejnev disait à propos du socialisme ? Peu importe que le socialisme qu’ils avaient n’était pas ce que Marx avait prédit. L’idée était qu’il est dans l’intérêt de chacun de changer la forme de gouvernement des autres pays et que s’ils ont votre forme de gouvernement, ils seraient amis. Bien sûr, toute notre expérience historique réfute cela, même dans le cas de l’Union soviétique. Il y a d’abord la Yougoslavie et l’Albanie qui se sont libérées du contrôle soviétique, puis la grande rupture avec la Chine. Plus tard, nous craignions que si les communistes vietnamiens gagnaient, Moscou contrôlerait pratiquement toute l’Eurasie. En réalité, la même forme de gouvernement n’a pas nécessairement fait des pays des amis.
Quand on pense qu’on peut créer la démocratie ailleurs ou même la faciliter par une intervention directe dans leurs affaires, je pense que c’est faire marche arrière. Nous devrions revenir à l’idée que le sénateur Fulbright a exprimée dans deux de ses livres : la seule façon de répandre la démocratie est de prouver comment elle fonctionne chez nous. Et je dois dire que nous ne donnons pas un bon exemple ces jours-ci.
Les pays deviennent autoritaires parce qu’ils se sentent menacés et qu’ils ont besoin d’un dirigeant fort pour repousser ces menaces. C’est pourquoi de nombreux Russes, bien que mal à l’aise avec la guerre en Ukraine, la soutiennent toujours. Ils le voient comme une défense contre l’OTAN et les États-Unis. Nous avons déclaré que nous essayions d’affaiblir la Russie. Nous avons imposé des sanctions qui ne sont normalement permises que lors d’une guerre déclarée. Nous avons donc une situation où il est fort probable qu’un pourcentage plus élevé de Russes approuvent les politiques de Poutine que le pourcentage d’Américains qui approuvent Biden ou Trump. Ils fonctionnent tous les deux à environ 40 % ou moins. Qui est le plus démocratique ?
Ma dernière question peut sembler étrange. Si quelqu’un d’autre avait dit ce que vous venez de dire, les critiques qui lisent cette interview, les Anne Applebaum du monde entier, diraient : « Eh bien, Jack Matlock est un larbin du Kremlin. C’est une marionnette de Poutine. Il répand de la désinformation. Merde, ils diront cela même à propos de vous. Qu’est-ce qui vous passe par la tête quand vous voyez ce type de rhétorique, où l’opposition intérieure à la politique étrangère américaine est considérée essentiellement comme une haute trahison ?
Je pense que c’est absolument ridicule. Tout d’abord, ces critiques ne citent jamais rien de ce que j’ai dit qui soit de la propagande du Kremlin. Je ne voulais pas que ces conflits se produisent et c’est pourquoi j’ai mis en garde contre l’expansion de l’OTAN. La guerre en Ukraine était prévisible pour les raisons que j’ai données. Le genre d’actions que « l’Occident » a prises allait créer une réaction, et je pense que c’est une tragédie. C’est une tragédie ce qui est arrivé à la Russie, ce qui arrive à l’Ukraine. Et bien sûr, je suis d’accord pour dire que l’invasion de Poutine était un crime. Je suis aussi tout à fait conscient que mes présidents ont commis des crimes, et je pense que dans certains cas, ils ont commis moins de provocation. L’Irak n’était pas une menace pour les États-Unis. Une Ukraine avec des bases de l’OTAN serait une menace pour la Russie. Regardons les choses en face. Pourquoi les gens ne peuvent-ils pas comprendre cela ? Je ne défends certainement pas Poutine, mais je ne défends pas non plus mon propre président lorsqu’il envoie des bombes en Israël pour créer une guerre génocidaire. Ce n’est donc pas de la propagande. Je parle d’expérience, parce que j’ai vécu différentes périodes, que j’ai essayé d’en tirer des leçons et que j’ai contribué à l’élaboration d’un ensemble de politiques qui ont mis fin à la très dangereuse guerre froide, des politiques qui ont été inversées depuis et qui nous amènent à une autre crise.
L’interview a été menée par Gregor Baszak, un écrivain et universitaire basé à Chicago. Ses écrits ont été publiés dans The American Conservative, The Bellows, Cicero, Sublation, UnHerd et ailleurs. Suivez Gregor sur X @gregorbas1.
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Michel BEYER
(et la France a joué à chaque fois son rôle de traitre de service) a été installé un régime qui s’est retourné contre la partie russe de son territoire en ayant pour seule idéologie la haine des Russes, à lire absolument. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete) (texte).
Olivier Berruyer sur le site “elucid” fait la comparaison avec la Belgique. Si la partie flamande interdisait aux wallons la pratique du français, qu’elle serait leur réaction, ainsi que celle de la France?