Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le patrimoine culturel architectural africain et ce qu’il nous dit de la charge symbolique et sociale d’un lieu

Lazare Eloundou Assomo, à la tête du Centre du patrimoine mondial de l’Unesco, rappelle les enjeux pour le continent d’y faire inscrire ses sites remarquables. IL est très difficile d’apprécier totalement ce patrimoine hors de l’Afrique, de sa lumière, sa densité, et même le musée du quai Branly ne m’a jamais paru apte à restituer les émotions que l’on éprouve devant des chefs d’oeuvre dans leur site parce que comme le note l’interviewé un site est un lieu social avec une forte charge symbolique qui se renouvelle à un rythme qui est rarement celui des musées. C’est comme l’or du sable des dunes du désert, on croit en emporter et on se retrouve en France avec une bouteille pleine d’un sable rose, le minéral a tourné. Des efforts ont été faits, dans le néocolonialisme, sous son influence mais aussi en rupture avec lui, grâce aux rencontres amorcées avec les surréalistes, les échanges politico-anthropologiques de ma génération, nous savons que les statues meurent aussi, mais il reste tout un effort de mise en miroir, il reste à mesurer ce qui se crée “entre” pas inter seulement, entre, là où chacun plonge dans son passé pour mieux se comprendre dans le regard de l’autre. C’est un mode de réponse à mes doutes sur l’intérêt de la politique, ces jeux politiciens si étrangers à cette approche culturelle si novatrice, construire cette compréhension de ce qui se détruit et se reconstruit avec les mêmes matériaux, chargé de tant de temps, est politique… (note de Danielle Bleitrach)

Depuis 2015, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, l’Unesco, a fait du 5 mai la Journée de célébration du patrimoine mondial africain. Si ce coup de projecteur sur le continent a pour objectif de donner davantage de visibilité à un héritage mal connu, il rappelle aussi que l’Afrique reste très sous-représentée dans la liste du Patrimoine mondial établie depuis 1972, avec seulement 148 sites inscrits sur 1 199 dans le monde.

A la tête du Centre du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2021, le Camerounais Lazare Eloundou Assomo a pour mission de corriger ce déséquilibre. Architecte de formation et fin connaisseur des enjeux de patrimoine, il est le premier Africain à occuper le poste.

L’Unesco a fait de l’Afrique une priorité. Quelles sont les avancées ?

Lazare Eloundou Assomo : En 2023, cinq nouveaux sites africains ont été inscrits à la liste du Patrimoine, dont deux pour le Rwanda, qui n’en possédait aucun : le Parc national de Nyungwe et les sites mémoriaux du génocide. Cela a permis de montrer aux Africains que cela est possible, de lever un doute. Notre objectif est maintenant d’accompagner les onze pays qui ne sont pas représentés vers une inscription d’ici à 2027.

Cela suppose de renforcer l’expertise locale pour leur permettre d’identifier les lieux culturels ou naturels qui peuvent prétendre à une inscription. Dans certains cas, nous partons de zéro. Mais chaque inscription est une fête, un motif de fierté nationale. Quel que soit le degré d’avancement, il existe partout sur le continent une dynamique. Le patrimoine prend sa place dans les politiques culturelles.

Faut-il fixer un pourcentage pour donner à l’Afrique la place qui lui revient ?

Nous en discutons et un groupe de travail remettra des conclusions à la fin du mois de mai. Pour ma part, je ne pense pas que la représentativité soit une question de chiffre, mais il nous faut des moyens pour accompagner les pays. Pas seulement pour préparer des dossiers de nomination. Il faut ensuite être en mesure d’accompagner les Etats pour assurer la conservation des sites. Les moyens aujourd’hui ne sont pas suffisants.

La liste du patrimoine n’est-elle pas devenue une compétition déséquilibrée entre des pays qui ont plus ou moins de moyens pour inscrire leurs sites et décrocher ce label touristique au détriment des valeurs de partage et de diversité qu’elle est censée promouvoir ?

C’est cette image que nous ne souhaitons pas voir. Le patrimoine mondial n’est pas un concours de trophées. C’est un idéal qui sert à mettre ensemble tous les pays pour protéger les sites les plus importants de la planète. Certes, une inscription génère du tourisme car elle signale aux yeux du monde un endroit extraordinaire, mais ce n’est ni le premier ni le seul but de la liste du Patrimoine.

Comment définiriez-vous l’apport, la singularité des sites du patrimoine africain ?

Il ne faut pas regarder le patrimoine africain par le prisme des sociétés occidentales. A titre d’exemple, la glorification du génie créateur ne peut ici tout le temps opérer car, souvent, la disparition des matériaux physiques fait qu’il n’existe plus. Il faut donc accepter que le patrimoine africain soit quelque chose qui se renouvelle comme, par exemple, l’architecture de terre, qui se détruit et se réutilise sur les mêmes lieux. Le patrimoine africain n’est pas forcément monumental. Ce qui prime, c’est la signification du lieu, son usage social, sa force symbolique du point de vue des croyances et des traditions. Les forêts sacrées ou les villages greniers par exemple font partie de ce patrimoine.

Du fait le plus souvent des conflits, 40 % des sites en péril sont africains. Vous vous êtes fixé d’en « sauver » la moitié d’ici à 2029. Est-ce réaliste lorsque l’on sait que certains, comme en République démocratique du Congo (RDC) sont considérés comme en péril depuis trente ans ?

Nous y travaillons. Les tombes des rois du Buganda en Ouganda qui avaient été détruites par un incendie ont été retirées de la liste du Patrimoine en péril en 2023 après dix ans de travaux de restauration. Nous avons bon espoir que le parc du Niokolo-Koba au Sénégal prenne le même chemin. Même si les conditions sécuritaires restent difficiles, comme au Mali, nous continuons à appuyer les conservateurs des sites pour protéger par exemple les mausolées de Tombouctou ou l’ancienne ville de Djenné.

La Grande Mosquée de la ville Djenné, dans le centre du Mali, dont les murs en terre crue sont régulièrement rénovés.

La Grande Mosquée de la ville Djenné, dans le centre du Mali, dont les murs en terre crue sont régulièrement rénovés.© Fournis par Le Monde

Vous êtes un fervent partisan de la restitution du patrimoine africain, n’êtes-vous pas frustré par la lenteur des décisions ?

Cela ne va pas assez vite. Il y a une légitimité des pays africains à demander le retour de ces objets culturels. Personne ne le conteste. Notre rôle est d’aider à la médiation entre les pays afin qu’ils trouvent une solution satisfaisante. Mais le mouvement est enclenché et nous voyons des accords que nous n’aurions pu imaginer il y a encore quelques années.

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