On s’intéresse beaucoup à l’Asie, à la manière dont la Chine retrouve malgré les Etats-Unis sa centralité de jadis sur des pays comme la Corée, le Japon, les tentatives des Etats-Unis, ou encore l’Asie centrale, l’Inde, pourtant il est une zone dans lequel le basculement historique est encore plus passionnant c’est cette zone pacifique avec ses îles, cette immensité maritime qui a toujours été un territoire dont la maitrise comme le désert passe par une relation entre le ciel étoilé, l’eau et l’être humain végétal, don et contre-don sans accumulation. A la différence de nos ethnologues à la recherche d’un paradis perdu, la Chine entame le dialogue sur les besoins des populations telles qu’elles sont aujourd’hui…
La question que posait Maurice Godelier toujours à partir de son expérience chez les Baruyas de Nouvelle Guinée, il y a plus de 60 ans, dans son dernier livre en 2023 : “peut-on se moderniser sans s’occidentaliser” et sa déclaration “la géopolitique ça se fait avec les pieds” avaient le mérite d’aller à l’essentiel. Avec l’âge il tentait d’unir l’enfant des corons du nord avec les mythiques baruyas pour en finir avec le capitalisme sans passer par la case communisme, et pourtant il ne pouvait éviter de retrouver la Chine à qui il était simplement reproché à Mao de s’être occidentalisé avec l’URSS. Ce qui fait la force de la Chine c’est sa proposition de “moderniser” sans occidentaliser, sans prétendre vous imposer “le missionnaire et les armes” pour que tout y compris vous-mêmes deveniez des marchandises. Pour aboutir à un monde invivable où chacun est en guerre contre tous comme en témoigne parfois y compris ce blog et la manière dont il reflète la folie des haines viscérales, la tragédie de la détestation de soi-même et la volonté de détruire chez l’autre la moindre différence. Il est clair que j’ai eu la chance de construire ma géopolitique d’une manière originale, hors ce monde qui s’autodétruit irrémédiablement. Ma connaissance du monde tel qu’il tente de naitre a été le fruit d’accumulation d’expériences, je n’ai pas seulement rencontré des communistes qui se situaient au niveau d’un combat internationaliste et avaient choisi de tenir bon face à la défaite, mais j’étais aussi celle que mes étudiants appelaient Highlander… ils pensaient que j’avais vécu mille ans, en fait j’étais boulimique de l’histoire et je continue… L’histoire de l’occident de la France, mais aussi grâce aux éditions de Moscou j’ai élargi mon horizon… Et après, à la chute de l’URSS, j’ai erré en Afrique et en même temps à Cuba, en Amérique latine, Caraïbes… pas pour retrouver un paradis perdu à l’abri de l’ultime et abominable assaut impérialiste. La première leçon que j’en ai tirée est bien sûr le caractère meurtrier de la modernité occidentale décrite ici par ce anthropologue et ce qu’il dit de la Nouvelle Calédonie trouve un écho dans les livres de Maurice Leenhard, sur Do Ka Mo, la grande terre, lui qui venu en missionnaire termina au collège de France en interprète de la société canaque à laquelle il s’est converti, ou encore Louise Michel envoyée là après la Commune de Paris, mais tous ses compagnons d’exil n’avaient pas le même respect pour les sauvages. J’entends ce crime qui a frappé la Nouvelle Calédonie, mais aussi toute les sociétés du Pacifique, atrocement en Australie et partout. Pourtant le terrain dans d’autres zones de “modernité occidentale”, l’Afrique, l’Amérique latine m’ont enseigné le fait que ceux qui ethnologues ou naïfs utopistes croient que l’on peut retourner en arrière dans un paradis perdu se trompent : nous sommes déjà tous le produit de la mondialisation, le monde est le produit d’un gigantesque bricolage dans lequel la cocasserie et l’atrocité se mêlent avec des espérances, comme nous communistes sommes le produit de tant d’expériences, d’échecs, d’apprentissages qui visiblement ont brisé certains d’entre nous … Il faut tout assumer, retenir les leçons du passé ce qui crée notre disposition à l’action, et savoir que tout est différent, reconnaitre les contradictions à l’œuvre. La Chine a aussi compris cela qui n’est pas le plus facile.
Y compris dans cette zone pacifique qui n’a pas oublié les conditions de son occidentalisation et pour qui l’autre modernisation n’est pas le retour à un paradis perdu mais simplement la dénonciation qu’elle a été faite contre eux au point de les exterminer et qu’ils veulent déterminer eux-mêmes ce qu’ils accueillent, ce qu’ils refusent. Et partout il faut réfléchir en ces termes… Mais ce qui se joue n’est pas une régression mythique, il faut partir de ce qui est, de cette accumulation de temps… et ce qui place chacun devant les défis du développement. C’est pour cela que m’importe la manière dont les îles Salomon basculent dans la prochaine élection, la “modernisation” de la base étasunienne ou celle proposée par la Chine avec le dirigeant qui affirme accepter la Chine comme la seule manière de retrouver son identité… C’est cela qui a constitué mon regard sur le monde en train de naitre que j’ai tant de mal à partager parce que je n’ai plus de langage commun, que je dois reconstruire, tenter de faire comprendre…
J’ai besoin d’être seule avec des rencontres comme dans un voyage quand on prend le temps de traduire pour passer le temps le mieux qu’il est possible en inconnus à la manière des rencontres sur la falaise dogon où de loin on crie à l’autre le nom de son clan, celui de ses parents …
Danielle Bleitrach
Pourquoi la colonisation du bassin Pacifique a-t-elle été un désastre ?© DR
Ses travaux renouvellent totalement l’état de nos connaissances sur les civilisations du bassin Pacifique. Les fouilles conduites par l’archéologue Christophe Sand, membre de l’unité mixte de recherche « Savoirs, Environnements et Société » en Nouvelle-Calédonie, révèlent en effet que les populations locales, avant la conquête de leurs archipels par les Occidentaux, ont été bien plus importantes que ce que nous pensions. Son dernier livre* met ainsi en lumière que l’effondrement démographique des communautés polynésiennes, micronésiennes et mélanésiennes sur les cinq derniers siècles a été très longtemps sous-estimé. Interview.
Anne Lehoërff : « L’archéologie bouleverse nos connaissances historiques ! »
Le Point : Votre ouvrage évoque une hécatombe qu’on peine à mesurer : le fait que plusieurs millions d’hommes et de femmes ont péri dans les îles du Pacifique du fait, entre autres, des maladies introduites par les Européens. Quelle estimation peut-on donner aujourd’hui de cette catastrophe démographique ?
À la tête de l’archéologie calédonienne depuis près de quarante ans, Christophe Sand synthétise aujourd’hui ses travaux de recherche dans un livre. © DR© Fournis par Le Point
Christophe Sand : Si les témoins européens du XIXe siècle ont observé partout à travers les îles la baisse des populations océaniennes, les incitant à envisager la disparition définitive de certains groupes insulaires, l’importance de la chute globale consécutive aux contacts occidentaux a été questionnée à partir des années 1960 par des démographes historiques et des anthropologues.
La vision « orthodoxe » de la dépopulation océanienne reste ainsi caractérisée par le présupposé qui veut que l’isolement entre les îles n’ait pas permis une baisse aussi terrible que sur le continent américain. Mon livre souhaite démontrer que ce présupposé est erroné et que la dépopulation globale à travers le Grand Océan entre le XVIe et le milieu du XXe siècle à été a minima proche de 90 %.
Comment parvenez-vous à ce chiffrage ?
Je suis archéologue de métier et, depuis quatre décennies, j’ai eu l’occasion d’étudier l’extraordinaire densité de vestiges de grandes constructions monumentales, de multiples hameaux et d’ensembles agricoles extensifs aujourd’hui abandonnés et enfouis sous les forêts de repousse. Leur présence démontre l’existence passée de populations nombreuses.
Afin de tenter de proposer des estimations pour différentes îles et archipels, j’ai croisé pour mon étude des données archéologiques, les descriptions des premiers navigateurs occidentaux à avoir abordé chaque région, des informations de traditions orales océaniennes, ainsi que les témoignages des missionnaires chrétiens, des aventuriers et colons, des militaires et administrateurs coloniaux. L’objectif a été à travers une approche holistique des informations consultées d’illustrer la permanence de récits de populations nombreuses lors des « premiers contacts » autant que de leur effondrement au cours des générations qui ont suivi.
Cet effondrement n’a pas uniquement été causé par les épidémies consécutives aux virus et bactéries exogènes introduites, mais a été lié également à des guerres internes.
Vous citez une cinquantaine d’études de cas dans l’ensemble des archipels que vous avez explorés. Y a-t-il eu des zones plus touchées que d’autres ?
L’intérêt d’une étude couvrant l’ensemble des régions du Grand Océan est de permettre d’identifier des processus récurrents, mais également de montrer que chaque archipel est spécifique et a eu une trajectoire liée à des événements historiques propres. Une des conclusions de l’ouvrage est de souligner que, si certaines îles ont probablement perdu plus de 95 % de leur masse démographique, dans d’autres cas, la chute n’a probablement pas dépassé 75 % à 80 %
Cet effondrement n’a pas uniquement été causé par les épidémies consécutives aux virus et bactéries exogènes introduites, mais a été lié également à des guerres internes provoquées par la désorganisation des structures politiques et symboliques traditionnelles, à des bateaux négriers emportant les jeunes pour travailler au Pérou, en Australie ou ailleurs, aux ravages de l’alcool, etc.
I La Polynésie porte plainte contre l’État pour crimes contre l’humanité
Inversement, quelles zones ont été relativement épargnées ? Les îles Sous-le-Vent, par exemple ?
Sur les 52 études de cas présentés dans mon livre, seuls huit se situent en dessous de 50 % de dépopulation. Ceux-ci sont tous caractérisés par une absence significative d’informations dans les témoignages et archives que j’ai pu consulter, ce qui rend malheureusement impossible à ce stade une évaluation fiable de l’importance de la perte démographique.
L’archipel des îles Sous-le-Vent, en Polynésie, est un bon exemple. Je n’ai pu calculer, à partir des rares documents que j’ai trouvés, qu’une chute de 35 % à 50 % du nombre d’habitants de ces îles. Cette évaluation basse n’est pas compréhensible quand sont pris en compte les multiples vestiges archéologiques présents dans les vallées abandonnées, mais également le catastrophique effondrement démographique qui s’est produit dans les archipels environnants. L’estimation actuelle est donc pour moi bien plus liée au manque de données historiques qu’à une réalité de faible dépopulation.
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