12 AVRIL 2024
L’intégration de la Serbie aux BRICS si elle a la faveur de Moscou n’est pas encore acquise, tout dépendra bien évidemment des orientations que les conflits actuels imposent de fait aux membres de cette organisation dans l’orbite de laquelle un grand nombre de pays gravitent sans en être nécessairement membres. Moscou et la Chine ont déjà ouvert leur propre espace à des pays du sud, ceux que l’on définit comme le G77 mais aussi d’autres alliances comme celles que l’on voit se dessiner en Afrique de l’ouest. Y aura-t-il des statuts intermédiaires? En fait dès aujourd’hui dans les affrontements de l’heure c’est aussi cette carte qui se met en place. la pression de l’OTAN , la militarisation du dollar, les échecs répétés, tout va dans le sens de cette évolution dans laquelle les USA et l’occident paye la note de son mode de gouvernance historique. Si la France savait voir ses vrais intérêts elle tiendrait compte de ce qu’elle a pu représenter de différent y compris dans les luttes de libération nationale grace à son potentiel révolutionnaire. (note et traduction de danielle Bleitrach histoireetsociete)
PAR EVE OTTENBERGFacebook (en anglais seulementGazouillerSur RedditMessagerie électronique
Les BRICS pourraient-ils ouvrir les bras à la Serbie ?
Longtemps malmenée sur le terrain de jeu occidental, la Serbie pourrait enfin acquérir un allié de taille et de poids : les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).
Le 29 mars, le géant économique et politique a officiellement invité la Serbie à son prochain grand pow-wow à Kazan, en Russie, en octobre, une invitation qui a un attrait évident pour Belgrade, d’autant plus que la Serbie attend depuis 2009 une réponse à sa demande d’adhésion à l’Union européenne. Cette organisation ne semble pas pressée d’admettre que son bras militaire, l’OTAN, a bombardé pendant deux mois et demi en 1999, tuant environ 2000 civils. Après cette attaque criminelle, l’Occident a procédé au dépeçage du pays, détachant un énorme morceau, qui est maintenant le Kosovo indépendant. Les Serbes n’ont pas oublié ces abus et n’acceptent pas le vol de leurs terres. Si Belgrade finit par rejoindre les BRICS, l’Occident sera confronté à ce soutien, car une telle adhésion ferait de la Serbie la puissance économique des Balkans.
Comment s’est donc déroulée cette étape vers les BRICS ? Eh bien, en août dernier, le Mouvement des socialistes de Serbie a obtenu du parlement qu’il demande l’adhésion aux BRICS. La déclaration du mouvement en août s’est opposée à l’adhésion à l’UE, citant « l’hypocrisie de l’administration bruxelloise, le chantage politique incessant et les demandes de céder une partie du territoire de l’État ». La déclaration du parti a fait valoir que « près des deux tiers des citoyens considèrent l’adhésion de la Serbie aux BRICS comme l’option d’intégration la meilleure et la plus acceptable ». La Republika Srpska, la moitié de la Bosnie-Herzégovine où résident de nombreux Serbes, s’est également montrée enthousiaste. Son président, Milorad Dodik, a exhorté la Bosnie-Herzégovine à rejoindre les BRICS tout de suite.
Le président serbe Aleksandr Vucic a semblé très heureux de recevoir l’invitation du 29 mars à la conférence des BRICS, à laquelle il était invité en tant qu’invité spécial. Spécial en effet ! Si Vucic y participe, il sera le seul représentant de l’Europe dans le colosse des BRICS, qui comprend 45 % de la population mondiale et 30 % de sa surface terrestre. En 2023, les BRICS détiennent 32 % du PIB de la planète, dépassant le G7, qui en détient 30 %. Et ces chiffres ne feront qu’augmenter, à mesure que les pays non occidentaux (et la France) réclameront à cor et à cri de s’y joindre. En effet, en janvier, l’Éthiopie, l’Égypte, l’Arabie saoudite, l’Iran et les Émirats arabes unis ont rejoint les BRICS.
Pendant ce temps, la Serbie « fournit un soutien économique et politique solide à la Republika Srpska. De plus, chaque année, Belgrade et [la ville de] Banja Luka [en Bosnie-Herzégovine] marquent conjointement les anniversaires de guerre et cultivent des souvenirs historiques communs », selon Geopolitica du 14 décembre 2023. Il y a une commémoration avec la communauté juive des victimes serbes du génocide sous le régime oustachi de la Seconde Guerre mondiale, « et une commémoration pour les victimes du nettoyage ethnique lors de l’opération militaire croate Oluja ’95 ». Cependant, la Serbie semble encore assez prudente dans ses commentaires sur l’indépendance éventuelle de la Republika Srpska. Mais ce n’est pas le cas du président Dodik : le 5 avril, il a annoncé qu’il était prêt à déclarer l’indépendance de la Republika Srpska, si les pressions étrangères sur la république se poursuivent. Et puis il y a le nord du Kosovo, qui a une population serbe. Si ces deux régions et la Serbie se réunissent un jour, et ce, sous l’égide des BRICS, les Serbes prendront certainement la barre économique et politique des Balkans.
Dernièrement, le Kosovo a aggravé la situation. Sa « campagne autoritaire pour affirmer son autorité dans le nord risque de provoquer de nouvelles résistances violentes », selon l’International Crisis Group (ICG) du 2 avril 2024. « Le Kosovo devrait coopérer avec les forces de maintien de la paix de l’OTAN pour démilitariser le nord. » L’article suggère au Kosovo de prendre des mesures crédibles « conformément aux accords passés non respectés… d’assurer l’autonomie de la minorité serbe du Nord. De nouvelles élections locales devraient suivre. Mais selon l’ICG, les espoirs d’autonomie ou d’union du nord du Kosovo avec la Serbie se sont récemment estompés. « Ce sont des jours difficiles pour la minorité serbe, dont l’avenir est vital pour le rapprochement entre Belgrade et Pristina [la capitale du Kosovo]. »
En effet, ce qui est arrivé aux Serbes, aujourd’hui divisés entre trois pays, est un exemple classique de l’ancienne technique anglo-saxonne – diviser pour régner, une méthode héritée par l’Empire américain et la plus dangereuse mise en évidence ces jours-ci à propos de Taïwan et de la Chine. Les perspectives d’une sorte de réunification serbe pourraient être moins sanglantes, en ce qui concerne les intentions occidentales, que pour l’union de la Chine avec Taïwan. C’est parce que les négociations avec la Serbie et le Kosovo sont en cours, mais aussi parce que le Congrès américain et la Maison-Blanche ne se sont pas mis à faire mousser la Serbie. Après tout, le Kosovo était en grande partie un projet Clinton (très malavisé, pour le dire gentiment et donc édulcorer la vérité), les Serbes sont européens et, pour ne pas mettre un point précis, nous ne parlons pas des communistes dans les Balkans. Le Congrès et la Maison-Blanche se mettent en colère chaque fois qu’ils prononcent les deux mots « Chine communiste », et franchement, il n’y a tout simplement pas de remède à cela. Les spirochètes anticommunistes qui provoquent l’hystérie nagent rapidement et largement dans le sang politique américain, et ils sont résistants aux vaccins. Il n’y a pas de remède, à moins d’un effondrement financier total – qui pourrait en fait se profiler à l’horizon, mais c’est une histoire pour un autre jour. Pour l’instant, il suffit de dire que l’Empire rayonne plus de soleil sur les Serbes que sur les Chinois – les Serbes ont donc une chance de reconstruire leur nation fracturée.
Mais comme l’a écrit Timofey Bordachev dans RT le 3 avril : « Les Américains et les Européens de l’Ouest peuvent voir les Serbes comme des ‘Russes’ qui sont plus faibles et qui peuvent être vaincus. Ils sont beaucoup plus petits que la Russie, disproportionnellement plus faibles et entourés de zones d’influence totale de l’OTAN. Dans ce cas, ce qui se passe dans les Balkans est un exemple très pertinent, bien que tragique, pour la Russie, de ce qui nous arriverait si nous étions contraints de capituler. Les décennies qui se sont écoulées depuis l’agression de l’OTAN contre la Yougoslavie… ne peut pas guérir le complexe du triomphe sur un ennemi vaincu.
C’est le point de vue de Moscou. Il peut correspondre à celui de Belgrade. Si c’est le cas, ne soyez pas surpris si Vucic accepte non seulement l’invitation des BRICS à Kazan, mais aussi, en fin de compte, l’adhésion aux BRICS (à condition qu’une telle demande soit faite). Les BRICS ont gagné le concours de popularité de la planète, parce que les pays du Sud, en fait presque tout le monde, veulent en faire partie. Contrairement aux groupes occidentaux, dominés par l’ingérence de Washington, les BRICS restent en dehors des affaires de leurs membres. C’est à eux de décider de la façon dont ils dirigent leur pays et personne n’est pénalisé pour, par exemple, ne pas laisser les investisseurs américains réquisitionner leurs actifs publics. Personne n’est non plus puni pour ne pas être suffisamment « démocratique » – une plainte particulièrement ironique venant d’un empire américain qui a été classé comme une démocratie « imparfaite » dans le magazine The Economist, et ailleurs jugé au mieux imparfait, sinon raté – après tout, puisque les ploutocrates et leurs entreprises possèdent le Congrès, Washington a le culot de prêcher la démocratie à d’autres pays. Et les BRICS en ont assez d’un tel discours. Ne serait-ce que pour cette raison – et il y en a beaucoup d’autres – c’est peut-être un foyer naturel pour la Serbie.
Eve Ottenberg est romancière et journaliste. Son dernier livre s’intitule Lizard People. On peut la joindre sur son site web.
Vues : 120