Le gouvernement indien, sa politique de répression des minorités et de sa propre classe paysanne et ouvrière n’est pas de celles qui emportent notre adhésion et si le multipolaire devait susciter une réflexion sur la nécessité de la lutte des classes, des choix en faveur du progrès, l’Inde serait un des pôles qui susciterait le plus de commentaires critiques. Mais cet article très bien documenté a aussi le mérite de montrer comment au sein de ce monde multipolaire il est déjà possible de peser pour freiner les processus autodestructeurs mis en place par l’impérialisme, le seul, celui des Etats-Unis et de l’occident global, en train de créer partout des guerres et les voies de la paupérisation, de l’aggravation de la crise. Autre chose importante, on voit souvent la Russie de plus en plus dépendante de la Chine. C’est mal mesurer ce que la politique russe, largement héritée de l’URSS, crée partout et en particulier dans le continent eurasiatique les conditions sinon d’une entente, à tout le moins de négociations tenant compte des intérêts de chacun et pas seulement militaire. Un article qui là encore présente le mérite de rompre avec les illusions de l’occident, et nous confronte avec la réalité d’un monde en train de naitre. (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop pour histoireetsociete)
https://vz.ru/economy/2024/2/9/1252555.html
L’Inde estime qu’elle est le pays qui sauve le marché mondial du pétrole des prix élevés. Si elle n’avait pas commencé à acheter du pétrole à la Russie, les prix auraient atteint 150 dollars au lieu des 75 dollars actuels. Le ministre indien de l’énergie a déclaré : “Le monde est reconnaissant envers la Russie.
“Le monde est reconnaissant à l’Inde d’acheter du pétrole russe. Ce n’est pas qu’ils ne veulent pas que nous achetions du pétrole russe. Si nous commençons à acheter davantage de pétrole du Moyen-Orient, le prix du pétrole ne sera pas de 75 ou 76 dollars, mais de 150 dollars”, a déclaré le ministre indien du pétrole et du gaz naturel, Hardeep Singh Puri, à la chaîne CNBC, en marge de la conférence India Energy Week, à Goa.
Auparavant, des voix s’étaient élevées dans l’UE, notamment en Pologne, pour demander de ne pas acheter d’essence et de diesel indiens fabriqués à partir de pétrole russe.
Avant les sanctions occidentales, la Russie ne fournissait pas du tout de pétrole à l’Inde. Les premières livraisons sérieuses ont eu lieu au printemps 2022. Ainsi, en 2022, les livraisons à l’Inde ont été multipliées par 15 pour atteindre 50,84 millions de tonnes de pétrole. L’Inde a payé 31 milliards de dollars à la Russie. En 2023, environ 70 millions de tonnes ont été livrées à l’Inde, soit 40 % de plus qu’un an auparavent.
“Je suis tout à fait d’accord avec le ministre indien. Si l’Inde n’avait pas pris tous ces volumes, la Russie n’aurait pas été en mesure de vendre. La Russie aurait donc réduit sa production et ses exportations, ce qui aurait entraîné une pénurie de l’offre mondiale et une hausse des prix. On en a eu un aperçu au printemps 2022, lorsque le prix du baril a grimpé à 120 dollars. Les États-Unis avaient interdit les livraisons de pétrole russe à partir du 1er avril ; les Européens n’avaient pas encore imposé d’interdiction, mais les entreprises européennes avaient tout simplement peur d’en acheter. Shell a même dû publier des excuses pour avoir acheté un lot de pétrole russe. Les anciens acheteurs avaient peur de prendre le pétrole, et les nouveaux n’étaient pas encore apparus. C’est alors que l’Inde est arrivée et a sauvé tout le monde. Elle a commencé à acheter les volumes qui étaient auparavant destinés aux États-Unis et à l’Europe”, explique Igor Yushkov, expert de l’Université financière du gouvernement de la Fédération de Russie et du Fonds national pour la sécurité énergétique.
Si les prix du pétrole avaient atteint 150 dollars le baril et étaient restés à ce niveau pendant plusieurs mois, l’économie mondiale aurait plongé dans la récession, ce dont personne n’a besoin, ajoute l’expert. Après décembre 2022, les nouveaux marchés pour le pétrole russe se sont finalement stabilisés. Les principaux acheteurs sont la Chine, l’Inde et la Turquie, ainsi que le Brésil. Dans le même temps, l’Inde conserve le statut de premier acheteur de pétrole russe, qui est transporté par voie maritime. Si l’on considère l’ensemble des livraisons de pétrole en provenance de Russie, non seulement par voie maritime, mais aussi par oléoducs, la Chine occupe la première place.
Cependant, l’Inde a commencé à acheter d’importants volumes de pétrole russe non pas par bonté d’âme, mais parce que c’est rentable.
“En 2022, l’Inde avait déjà mis en place une activité rentable – des raffineries sur la côte qui traitaient le pétrole du Moyen-Orient, en particulier le pétrole irakien, et l’exportaient. Et voilà que le pétrole russe arrive à prix réduit, et l’Inde choisit la meilleure offre sur le marché. Elle a commencé à acheter notre pétrole à prix réduit, à le raffiner et à l’exporter, y compris vers l’Europe et les États-Unis. Les produits pétroliers indiens ont pratiquement pris la part de la Russie sur ces marchés. Les Européens achètent désormais davantage de produits pétroliers finis, alors que le volume de leur propre raffinage dans de nombreux pays a diminué en raison du manque de pétrole russe. En effet, il est devenu moins cher d’acheter des carburants finis. Pour l’Inde, son activité lucrative est devenue très rentable”, explique M. Yushkov.
Le prix moyen du pétrole importé de Russie était de 74,5 dollars le baril, soit environ 12 % de moins que le coût du pétrole saoudien et irakien. Le ministère indien du pétrole et du gaz naturel a publié un rapport en août 2023.
“L’Inde bénéficie directement de l’approvisionnement en pétrole de la Russie. Tout d’abord, une partie du brut est destinée à la revente. Dès 2022, la part des ressources énergétiques dans les exportations totales de l’Inde était de 22 % (les exportations totalisaient environ 98,5 milliards de dollars). Les exportations ont augmenté de près de 75 % par rapport à 2021 et de 257 % par rapport à 2020. Deuxièmement, une partie du pétrole russe sert à répondre aux besoins intérieurs du pays, par exemple, aux besoins de l’industrie automobile”, explique Nikolay Dudchenko, analyste de FG Finam.
Dans le même temps, le Premier ministre indien a annoncé son intention d’augmenter la capacité de raffinage du pétrole dans le pays de près de 80 %, soit jusqu’à 450 millions de tonnes.
M. Dudchenko estime que la Russie peut continuer à augmenter ses livraisons de pétrole à l’Inde, car la demande de pétrole dans ce pays ne fera qu’augmenter dans les années à venir. Selon l’AIE, l’Inde pourrait dépasser la Chine en termes de demande de pétrole dès 2027. D’ici 2030, la demande de pétrole de l’Inde augmentera de 1,2 million de barils par jour. Ainsi, la Russie a fourni 70 millions de tonnes à l’Inde en 2023, soit une moyenne de 1,4 million de barils par jour. Cela représente environ 13 % de la production totale de pétrole de la Russie pour 2023, note M. Dudchenko.
“La part des livraisons de pétrole à l’Inde dans les exportations russes en 2023 était d’environ 40 %, alors que ces livraisons n’existaient pas du tout avant l’imposition des sanctions. Il faut s’attendre à ce que l’Inde continue d’acheter du pétrole russe à l’avenir, profitant de la présence d’un rabais sur le prix”, déclare Philip Muradyan, directeur principal des notations d’entreprise à l’agence Expert RA.
Avec une coopération aussi étroite dans le domaine du pétrole, la Russie a commencé à chercher des moyens d’étendre ses échanges avec l’Inde à d’autres produits. En particulier, l’année dernière, la Russie a également accepté de fournir de la viande de porc à l’Inde, cette année, elle a commencé à importer pour la première fois des bananes indiennes, et des accords sur d’autres fruits – mangues, goyaves et autres – sont en cours.
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