Je dois dire qu’il faudrait pour mesurer l’état réel de l’opinion publique et même de ceux qui comme nous tentent de “s’informer” autrement que dans les juke box des réseaux sociaux et sous le pilonnage du système de propagande qui tient lieu de médias, nous réfléchissions aux conditions de l’exercice de notre raison. Nous avons constaté que l’interview de Poutine était livré par morceaux, citations, tout cela soumis à un appareil interprétatif digne des mises en garde théologiques, et cerise sur le gâteau était répété le diagnostic : Poutine est “ennuyeux”… Face à cette opération est-il judicieux d’en rajouter dans le “brouillage’?
Par exemple, ici même alors que Marianne nous a présenté un texte sur lequel on peut réfléchir, on a vu se succéder en cascade des interventions qui créaient des liens avec des vidéos ou d’autres présentations. Si l’on tente d’écouter les dites vidéos, honnêtement c’est inaudible et c’est typiquement le genre de produit qui décourage l’attention et la réflexion. Aucun enseignant ne recommanderait une telle catastrophe pour la compréhension. Alors que l’angle choisi par les médias est “c’est ennuyeux” en tablant justement sur l’incapacité entretenue à penser, à laisser croire que la culture, le savoir n’est pas pour eux, et effectivement à quoi bon se prendre la tête pour quelque chose qui ne vous concerne pas…
Est-ce que ce constat est suffisant ? Je partirai justement du choix de la vidéo la seule audible est en anglais ce qui restreint le public, la traduction en français surajoutée est impraticable. Pourquoi diffuser ce qui semble conçu pour rendre effectivement la compréhension encore plus difficile. Réfléchissez à la manière dont on utilise l’espèce de petite vanité à faire le buzz et à dire n’importe quoi pour avoir l’air de savoir… A la manière dont spontanément et fébrilement vous intervenez ici et dans certains sites qui se sont fait une spécialité des échanges confus et qui parfois ne craignent pas de publier non pas seulement des “conservateurs” mais de vrais fascistes qui la jouent anti-impérialistes. En effet que ce soit au niveau des gouvernements comme des “intellectuels” la catégorie “conservateur” droite et gauche mérite d’être repensée en fonction des faits. Les faits ce sont les choix par rapport à leur propre peuple, mais c’est aussi par rapport à ce qui est impulsé tout de même par la Chine communiste et donne lieu à des résistances qui comme celle de Cuba a créé une colonne vertébrale dans toute l’Amérique latine, donc voir la réalité de comment se positionnent des courants que l’on qualifie de “conservateurs” ? Est-ce qu’ils méritent des débats comme ceux qui existaient jadis entre le jésuite Teilhard du Chardin et le PCF. Déjà réfléchir à la nature des interlocuteurs, ce qu’ils veulent réellement est indispensable. Ici nous avons le conservateur Poutine qui n’élude aucune question, donne des FAITS. Il a une conception complexe de l’Histoire, de son utilité, mieux de sa nécessité pour la paix, respectueuse et calme qui tranche résolument sur la manière dont sont abordées les FAITS, les “possibles” en Occident. Tandis que le démocrate Biden et tous ceux de son espèce qu’il se refuse à caricaturer non seulement eux et leurs “adversaires” dans une élection donnent l’exemple caricatural du gâtisme mémoriel mais tout cela aboutit à la guerre. Ce que la plupart des commentateurs économiques disent à savoir que l’affaiblissement du dollar est largement dû à la politique interne des Etats-Unis, ils cherchent d’une manière absurde à l’attribuer à d’autres y compris à la Chine qui elle cherche le compromis. Le diagnostic qui prend cette hauteur est que les Etats-Unis sous l’influence de leur espionnage systématique et de leur tentative de se constituer des agents à la tête des pays se sont pris les pieds dans une mauvaise affaire ukrainienne, il est toujours possible de le reconnaitre et de négocier.
Là encore faut-il insister comme le font les médias sur le “conservatisme” de Poutine et celui de son intervieweur ou faut-il adopter la position de Ziouganov, c’est-à-dire montrer que quand un conservateur conserve un minimum de patriotisme, de souci de ce que représentent blocus, sanctions, guerre que ce soit en Ukraine, ou à Gaza il est contraint à voir l’état réel de l’impérialisme ?
Mais réfléchir à cette interview, l’étudier c’est aussi poser la question de qui impulse le basculement au-delà des dirigeants et de leurs idéologies, quelles sont les limites du jeu shakespearien entre puissants de plus en plus apprentis sorciers ? En quoi le message de Poutine est-il public ce qui change la donne par rapport à une missive ? Qu’est ce qu’on en fait ? En matière de paix et de développement ?
Parce que cela dit à ceux qui relaient le message de Zelensky, de l’atlantisme comme Kamenka et d’autres qui tentent de garder l’équilibre entre les réseaux qui n’ont cessé d’alimenter toute la gauche y compris le PCF en jouant les “pacifistes” face à l’invasion, sont désormais pris dans les mêmes contradictions pas seulement face à la guerre mais face aux mouvements sociaux qui refusent l’ukrainisation du continent. Il est possible qu’il y ait une accélération, une maturation, mais le problème se pose au-delà du cas ukrainien et il se reproduira dans les mêmes termes avec les mêmes gens.
Cela nous renvoie à non seulement la guerre et plus généralement la stratégie impérialiste et ce qui est mis en place pour l’endiguer, mais à l’ignorance totale des enjeux géopolitiques dans laquelle on prétend circonscrire le débat démocratique alors même que toutes les “élections” de 2024 font la preuve de l’incapacité à apporter des solutions, en réalité aggravent la situation. Aucun parti ne peut prétendre présenter le minimum de crédibilité en ignorant ces enjeux et la manière dont ils s’inscrivent dans des temps. On parle souvent de Thorez, de sa relation exemplaire aux grands intellectuels comme Aragon, Joliot Curie, Picasso et tant d’autres, mais ce n’est pas une exception loin de là. Je conseille de lire les mémoires de Jacques Duclos et bien d’autres de ces livres, cet ouvrier pâtissier avait un sens de l’histoire qui devrait faire de ses mémoires une référence incontournable pour la connaissance non seulement du mouvement communiste français mais de l’histoire de France. C’est précis, documenté et toujours remis en perspective… Il y a de véritables trésors, aujourd’hui aussi et je ne cesse de dire tout le bien qu’il faut penser d’ “D’histoire & d’historiens” ~ recueil de textes de Claude Mazauric qui nous initie aux différentes temporalités y compris à l’intérieur des révolutions et des contrerévolutions, ce qui est indispensable si on veut aujourd’hui aborder le basculement historique, la fin de l’hégémonie de l’impérialisme occidental sans étroitesse, ni dogmatisme et dans le même temps en continuant à revendiquer un ancrage justement progressiste et révolutionnaire.
Un texte comme celui de Poutine doit être contextualisé qui parle à qui et dans quel but ? Cette contextualisation doit être située historiquement, dans l’état actuel des rapports de force, mais aussi de ce fait dans l’interprétation des diverses temporalités des événements auxquels il est fait référence.
Mais je reviens à la méthode pour le lecteur qui cherche à prendre connaissance d’un tel discours qui est totalement étranger à l’idéologie dominante qui est celle de sa propre classe dominante et le mode d’éducation qui a fait de lui “un sujet” de cette domination de classe dans l’exercice citoyen. Il doit accepter une rupture, ce n’est pas facile et ce qui est frappant c’est la manière dont des militants communistes qui découvrent un tout autre narratif continuent à s’accrocher à l’idée Poutine est un dictateur de droite comme à une manière de conserver leur propre cohérence d’approbateur de la résolution 390 … Alors que leur choix d’une liste communiste ancrée sur la classe ouvrière, les “producteurs”, la souveraineté française va a contrario…
Dans un tel contexte, à quoi servent ces “liens” sinon à détourner de la discussion de fond que pourrait suggérer non seulement la lecture raisonnée de l’interview mais les commentaires d’un Ziouganov et de la Chine qui nous incitent eux justement à sortir de cette espèce de fébrilité dans laquelle non pas une idée mais un aphorisme chasse l’autre pour mieux laisser chacun dans le stéréotype et l’incapacité à un véritable échange? Pour nous interroger sur l’essentiel à savoir qui cherche la paix et en fait la démonstration citoyenne, comment ?
C’est justement ce que nous tentons ici dans ce blog avec des contributions parfois aussi enrichissantes que les textes publiés, ceux-ci en général tentent chaque jour de présenter un événement, une question sous divers angles qui favorisent justement l’approfondissement.
Et nous y parvenons souvent, mais il y a des tentations qui relèvent justement de l’usage habituel d’internet. Envoyer et multiplier un matériel inaudible en fait partie, mais systématiquement détourner le débat possible en tentant d’imposer ce qui n’est plus de l’ordre du dialogue mais de la répétition de ses propres obsessions peut créer le désordre et la division. Non seulement parce que cela part d’une négation de la discussion réelle mais parce que très souvent cela s’assortit de formes d’insultes plus ou moins caractérisées qui viennent marquer le fait d’avoir été incapable de s’intéresser à ce qui est réellement dit. Cela peut d’ailleurs dans des cas qui frisent le pathologique déboucher sur la répétition d’obscénités concernant par exemple un dirigeant communiste. Je ne les publie pas mais on mesure à quel point il y a dans un certain usage des réseaux sociaux une manière pour l’angoisse générée par nos sociétés à devenir un exutoire.
Le pathologique est toujours là même quand il s’agit de gens qui sont apparemment toujours épris de dialogue mais en fait ne lisent plus, se contentent de survoler et retournent le plus souvent à ce qui a été dit ou que tolère l’actuel débat “mondain”. Pourquoi quand Arte sort pour une fois un documentaire qui est le fruit de rencontres inusitées entre des chercheurs travaillant dans des Laboratoires de nations que l’on prétend en guerre les unes contre les autres justement à partir d’une incurie sur leur histoire réciproque, au lieu de prendre le temps de voir réellement cette vidéo, toujours en proie à la même fébrilité, le désir de paraître savoir ce que justement on ignore, se croit-on obligé de feindre de critiquer pour avancer la petite obsession, devenue une véritable ornière, qui nous tient lieu de “positionnement” et qui en général entraîne la réflexion vers une régression qui est justement l’état général dans lequel nous piétinons pendant que la classe dominante pourtant épuisée nous vend sa vision du monde ?
Je disais à mes étudiants : savez-vous quelle est la phrase la plus intelligente, c’est “je ne sais pas ?” et tant que vous ne l’avez pas prononcée vous ne pouvez pas apprendre et j’ajouterais chercher les conditions optimales pour accueillir la nouveauté de l’information.
Nous sommes dans un temps ou non seulement il y a de plus en plus de “nouveau” mais dans lequel la question essentielle demeure celle du “philosophe citoyen” capable de créer les conditions “politiques” de comprendre ce “nouveau” mais de créer les conditions d’une intervention véritablement “démocratique”, cette “bonne volonté” qu’a très justement notée Daniel Arias qui exige travail, travail, encore du travail comme disait Lénine.
Maintenant après cette “introduction” sur la “méthode” je laisse la parole aux réflexions de Franck Marsal qui en général passe directement aux travaux pratiques, j’ai dit les nuances suggérées par son analyse très heuristique par ailleurs.
Je ne serai pas si pessimiste, ou plutôt, je ne tournerais pas mon pessimisme de la même manière
Je ne serai pas si pessimiste, ou plutôt, je ne tournerais pas mon pessimisme de la même manière. Il est vrai que la vidéo originale sur youtube, publiée par la chaîne Tucker Carlson Network est un peu difficile à trouver. Mais en environ 24h, elle a été visionné 11 million de fois, sans compter les republications faites sur de nombreux sites. Ce n’est pas un record toutes catégories (le trailer du jeu GTA qui a fait 65 millions de vues en 24 h en décembre détient ce record), mais dans la catégorie “Politique”, il ne doit pas y avoir grand monde à un tel niveau.
En soi, c’est déjà une sacré démonstration politique, presque deux ans après que l’ensemble du soi-disant monde libre ait interdit toute production culturelle en provenance de Russie, non seulement les médias officiels mais même des danseurs et des chefs d’orchestre. Deux années de lutte pour imposer une pensée unique et simplificatrice et puis patatras : un des principaux éditorialistes états-uniens se rend au Kremlin et livre au monde un cours magistral d’histoire, de culture et de géopolitique. Je suis certains que beaucoup de gens ont conscience que l’Occident si prétentieux n’a cessé depuis 2 ans de se contredire, alors que le président russe avec malice et néanmoins une certaine humilité, reste constant dans ces analyses et est conforté par les faits.
Chacun peut également, au bout de seulement dix à quinze minutes de visionnage, faire également le constat effarant du niveau de culture historique entre Poutine et le commun des dirigeants occidentaux. Comme le disait un commentaire, qui imagine Biden faire un exposé de 30 minutes sur l’histoire des états-unis ? On peut remplacer le nom de Biden par pas mal de noms.
Mais ensuite quoi ?
Il en va de la culture et de l’éducation comme du reste de notre politique. On fait semblant de faire. On fait semblant d’instruire, de nourrir, on parle constamment de culture mais on noie nos enfants dans deux soupes empoisonnées :
1) celle déversée avant par la télé, aujourd’hui par internet et les réseaux sociaux (un ado passe largement plus de temps sur son téléphone ou divers écrans – environ 1800 h par an – que dans une salle de classe – environ 900 h par an)
2) le message implicitement – mais constamment – véhiculé que la culture n’est accessible qu’à une élite intellectuelle qui, comme le dit ta sophrologue, “se prend la tête”. Ne pas se prendre la tête est alors un mécanisme de défense. Mieux vaut parfois ne pas nourrir d’espérance, si l’on craint trop d’être déçu. Que faire d’une culture qui nous nie et qui nous trahit ?
La question qui me taraude est un peu différente, mais à mon avis, les deux se rejoignent : Comment se fait-il que, dans notre monde en crise si avancée, la critique la plus concrète, la plus vigoureuse, la plus visible de l’impérialisme soit portée par un Poutine, par donc quelqu’un “de droite” ? Parce que, de ce point de vue, Poutine n’est pas une exception. Quelles sont les seules voix discordante tant au sein de l’OTAN que de l’UE ? Non pas les gouvernements de gauche, pas même l’espagnol, dont pas mal de gens considèrent qu’il est celui qui agit le mieux sur des questions comme le droit du travail. Non : les seuls qui ont le courage de s’opposer, de dire non, au moins temporairement aux pressions dominantes, sont des gens de droite : le turc Erdogan et le hongrois Orban.
Qui s’oppose – internationalement – à la politique de destruction israëlienne à Gaza ? Heureusement, l’Afrique du Sud a sauvé l’honneur de la “gauche” internationale, mais pour beaucoup de gens, ce qui est visible, c’est l’Iran ou le Yemen houthiste.
Lorsque Poutine dit : les européens cèdent systématiquement aux pressions états-uniennes, non seulement il n’a pas tort, mais ce qu’il dit ne s’applique pas seulement aux dirigeants, mais également à une bonne partie des oppositions.
Je suis convaincu que les travailleurs, la classe ouvrière, le prolétariat, peut-être inconsciemment, le savent et le sentent. Et que cela explique une bonne partie de l’abstention, de la défiance et du désintérêt pour la politique et y compris pour des formes de culture qui pourrait être émancipatrices.
Concernant les Européens, Poutine conclut sobrement en disant : pourquoi perdre du temps à discuter et à négocier avec des gens qui, in fine, suivent toujours les pressions états-unienne ? N-a-t-il pas raison ?
J’en reviens toujours à la même conclusion : nous avons un travail énorme devant nous. Quasiment tout le travail réalisé par le PCF entre 1920 et 1945 pour établir un tissu serré de liens de confiance et d’action collective, de culture et d’expérience politique commune, de capacité collective d’adaptation au contexte social, politique, économique et international, tout ce travail est quasiment à reconstruire. Et il n’y a pas de raccourci. Plutôt une longue série d’épreuves, de plus en plus sévères.
Vues : 92