Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Il y a parfois des choses à voir à la télévision française, la vie, jusqu’au dernier souffle… de la démocratisation de la culture par danielle Bleitrach

L’avantage d’être clouée au lit par une bronchite c’est qu’il vous arrive de découvrir des ressources inespérées dans une télévision globalement désespérante par ailleurs. Il y a sur Arte tous les après midi une bonne émission de vulgarisation culturelle que je vous recommande si vous êtes comme moi forcée au repos pour cause d’épidémie virale quelconque saisonnière… je devrais commencer à en sortir aujourd’hui mais tout à fait vacillante et pas encore en état de faire mes kilomètres habituels, de hanter cinéma, expositions, réunions en tous genre, donc il faut vivre sur ma bibliothèque avec une relecture de Lénine et cette émission qui s’intitule Invitation au voyage sur Arte… et qui suit parfois un classique du cinéma pas mal du tout.

Invitation au voyage (titre de l’émission en allemand : Stadt Land Kunst) est une émission de télévision présentée par Linda Lorin et diffusée chaque jour de la semaine à 17h40 du lundi au vendredi sur Arte depuis le 13 mars 2017. C’est une émission culturelle de voyage qui, autour de trois destinations, propose de découvrir différents lieux, proches ou lointains. De plus, le samedi à 16h30, Invitation au voyage spécial propose également une escapade à la découverte d’une ville, d’une région ou d’un pays. l’invitation au voyage c’est celle de Baudelaire vers un pays qui nous ressemble, en toile de fond ” la vie antérieure” ,

J’ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux,
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.

Les houles, en roulant les images des cieux,
Mêlaient d’une façon solennelle et mystique
Les tout-puissants accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.

Vous ne pouvez pas imaginer quand vous jouez avec votre bronchite et les étouffements proustiens à quel point on fuit Proust justement, on a besoin de se sentir Courbet saluant la mer… enfin moi c’est à cela que j’aspire et c’est parce que je suis communiste, l’amour de la vie chevillée au corps. C’est bien réel, d’ailleurs je lisais qu’à deux jours de sa mort Lénine avait pris un infini plaisir à découvrir Jack London. “Love of Life”. Un récit puissant. A travers le désert enneigé, sur lequel le pied humain n’a pas marché, un homme malade s’enfuit vers le quai d’une grande rivière. Ses forces faiblissent, mais il rampe, et à côté de lui aussi rampe un loup affamé, il y a un combat entre eux, l’homme gagne – moitié mort, moitié fou, il atteint le but. Ilyich a vraiment aimé cette histoire. Le lendemain, il a demandé à lire plus d’histoires de Jack London. A l’article de la mort, il avait besoin de se sentir encore et toujours traversé par la puissance de la vie, moi je demanderai à ce qu’on me lise du Melville ou la marche de Lenz par Büchner, tous ces livres qui décrivent cet ultime enlacement.

Je me sens si loin des jérémiades de ma malheureuse France, ces “combats” dérisoires autour d’un morceau de tissu d’un costume féminin, leurs histoires d’uniforme, auquel ils voudraient borner l’immense question de l’éducation service public… A Cuba, au Vietnam, en Chine ils portent l’uniforme, mais pas dans leur tête, dans la petitesse de leurs intérêts… Ils ont des livres, un respect pour l’apport de la science, leur propre rôle dans le monde, l’univers. L’uniforme n’est pas dans leur tête en terme d’égocentrisme, d’individualisme, de caprices irresponsables, ceux que nos sociétés offrent à nos bambins, sans manuels, sans moyens, sans maître à la hauteur des enjeux… avec endoctrinement à la guerre à la clé, sans le moindre amour de la vie … Moi je souhaite que nos écoliers connaissent le monde socialiste mais aussi celui de Melville, de Jack London, qu’ils prennent le plaisir qui est le mien à la découverte de l’univers comme de la connaissance de l’humanité … et je crève de voir des sous produits de feuilletons télévisés produits au mètre… Ce qui m’étouffe c’est ce marigot des séries telévisuelles, des films sans la moindre ambition, toute cette production dans laquelle cohabitent celui qui fut une très grand interprète, Gérard Depardieu et sa contestataire Marilou Berry, tous avilis dans leur exigence profonde d’un métier, de la seule chose qui importe la démocratisation de la culture…

Une enquête a sa logique soit on s’intéresse à un problème systémique qui dépasse les protagonistes, soit au contraire on traque le méchant, celui dont les moeurs le caractère pèche parfois jusqu’à la caricature… Mais comme l’a très justement noté Élise Lucet: “À chaque fois qu’on fait Cash Investigation, c’est qu’on révèle une dérive systémique. Donc c’est vraiment le système qui ne marche pas. Qu’il y ait des bugs dans n’importe quelle entreprise, y compris à France Télévisions, il y en a. Dans toutes les entreprises, il y a des bugs. Il y a des managers irascibles, il y a des gens qui se comportent mal, mais dans toutes les entreprises où il y a 5000 ou 10000 personnes, c’est normal”. monter en épingle les problèmes isolés c’est du fait divers, du spectacle, mais découvrir ce qui organise l’humiliation, la prédation et s’y attaquer réellement ça c’est une autre paire de manche. Là c’est mon côté sociologue mais aussi militant qui tente de mettre en garde…

La nécessité face à cela de ne pas pleurnicher sur son ego blessé mais d’accéder à un autre niveau d’intervention populaire, passer de l’arme de la critique à la critique des armes, nous en sommes de plus en plus là parce que personne ne vous fera de cadeau pas plus qu’au peuple dont vous avez accepté d’être coupé, alors que comme l’avait vu le Caravage, tout nait dans la rue, toute expression humaine passe pas ce contact, et dans les musées on apprend la technique pour mener cela jusqu’à l’art mais si on part des musées et des allées du pouvoir on ne sera que des singes mondains … des domestiques zélés tout juste d’une Rachida Dati… pendant que Rachid lui est exploité chez Darty…

Quand notre génération aura disparu avec son public de plus en plus restreint pour la culture, vestige des luttes de la libération, il n’y aura plus de place pour vous et vos structures installées. Vos théâtres, vos lieux de spectacles sont déjà à l’abandon, des titanics désertés faute de sens du voyage. Vous avez survécu dans l’élan de la décentralisation à la libération, sur le sang de ceux une poignée qui ont résisté, qui ont créé le programme de la résistance. Ils n’ont réussi à n’en faire appliquer qu’une partie même si comme Ambroise Croizat, ce stalinien, qui a préféré le bagne à la trahison de l’URSS, Marcel Paul organisant le camp de Dachau et sauvant l’avionneur devenu Dassault, ceux qui ont créé le théâtre populaire, les Jean Vilar, les Gérard Philippe, mais aussi les Grémillon, les Daquin, les Becker, tous ceux qui ont fait oublier votre allégeance à la Continentale nazie en vous faisant l’honneur d’un combat contre l’uniformisation hollywoodienne et les accords Blum Byrns…. Même tous ceux qu’a prétendu balayer la nouvelle vague, sauf Godard et son mépris… tous ce que dans votre fièvre courtisane et collaborationniste mitterrandienne, vous avez bradé, en tentant de ruser pour certains avec l’air du temps… comme tout le monde… tout ce que vous n’avez que su marchandiser comme votre cul qui a envahi les écrans parce que la pornographie c’est ce qui reste quand il n’y a plus rien… je me fous de vos mœurs, je me dis que quand deux individus passent des journées entières au pieu devant les caméras ça doit bien provoquer des érections et des obsessions, j’imagine mal qui peut échapper à cela ? Quelles que soient ses préférences sexuelles la vulgarité mais aussi la précision du langage demeure une dernière dignité comme chez Sade et Sacher Masoch avec les mêmes limites… “Non les yeux ne peuvent pas en tout temps se fermer” ont tenté de dire avec cet alexandrin Straub et Hulliet, une sorte d’action directe – pathétique et somptueux… les desperados allemands et nous nous n’avons rien su faire de mai 68, ils s’étaient déjà emparés des images sur petit écran…

Qu’est qu’on en fait puisque pornographie il y a ? qui on protège syndicalement ? quel autre cinéma on exige ? ça c’est une autre question qui ne relève pas du puritanisme ambiant comme fétichisme de la marchandise… Ce qu’avait perçu Marx dans l’ouverture du Capital que personne n’a plus la force de lire… parce que vous le vouliez ou non tout votre fatras a quelque chose à voir avec la monnaie, le grand équivalent fétichisé en train de s’écrouler avec le dollar et ça qui le perçoit ? Aurez-vous le courage de voir ce qui demande à naitre comme ce que tente mon ami Jay Nombalais ?

Faites entrer l’infini avec la peine, mais aussi le rire des êtres humains, les geste qui créent…

Voilà parce que dans ces temps d’asphyxie il y a des lueurs, des souffles d’air qui disent les possibles, ce qui est en train de naître et je voudrais aussi que nous en ayons conscience. Comme me disait Aragon, à la fin de sa vie, en ce moment il y a un être jeune qui comme Milton dans son grenier écrit le Paradis perdu… Puisque j’en suis à vous écrire des choses, des impressions en vrac, j’ai suivi de loin avec bonheur ce qui se passait à Marseille autour de Cuba, et la réussite de ce que j’avais espéré : tout le monde cloué devant la beauté, la force et la radicalité de ce chef d’œuvre soviético-cubain “Soy Cuba”. C’est rare mais moins qu’on ne le croit, et il est possible de vivre de telles transcendances qui nous invitent au voyage vers un autre monde, parfois simplement des choses moins déshonorantes que d’autres…

C’est pourquoi pour en revenir à cette émission, je vous recommande particulièrement le sujet consacré à l’exil en Suisse de Courbet, nous sommes loin de ce qui se dit en général sur les derniers jours du peintre et sur son abandon de toute lutte, sur sa production qui serait médiocre. Certes il est hydropique et il souffre au moindre souffle d’air sur ses œdèmes, j’ai connu ça et je dois respecter un régime sévère pour ne pas hurler si le chat frôle mes chevilles. Mais comme Courbet, je n’ai jamais renoncé à m’immerger dans l’eau qui vous rend légère comme un ballon. Courbet avec cette puissance de vie chevillée au corps ne renonce pas à se baigner nu la nuit dans le Léman… et il récupère un procès verbal d’outrage aux bonnes mœurs, une somme modique par rapport à ce qu’il a écopé pour avoir abattu la colonne Vendôme, durant la Commune de Paris. Il n’y est pour rien mais en tant que ministre de la culture de la Commune, il a été enfermé à Sainte Pélagie, puis taxé d’une amende phénoménale, un trou qui ne peut être comblé à échelle humaine…

La légende le décrit ivre, le génie l’ayant déserté.. et cette légende, le film la met à mal à partir des œuvres peintes à ce moment là… Certes il y a on le sait quelques croutes, mais les tableaux qui sont là témoignent de la force matérialiste du génie. Comme il ne se contente pas de devenir un ivrogne en fréquentant les estaminets, le grand Courbet, le rebelle continue à rechercher la compagnie et les liens des autres Communards, et révolutionnaires de cet exil, simplement les êtres humains ont disparu de ses paysages. L’humanité le hante toujours comme une puissance de vie et une étreinte de la nature, c’est ça qu’il peint, il a un rapport enrichi à la matière, des bâtiments, repeints à toute heure du jour mais surtout la grotte du géant avec son rapport au tellurique, à la sexualité comme énergie, une grotte sexe de femme mais aussi ombre de géant dans la béance… mais je ne vous dis rien suivez le révolutionnaire Courbet qui va mourir à la veille de sa première échéance de remboursement de la colonne Vendôme, un refus de payer …

Non la Commune n’est pas morte …

Je ne sais pas si vous allez retrouver cette émission passionnante dans les archives, mais il y en a bien d’autres, et j’ai eu la surprise sur des tas d’autres sujets sur lesquels j’ai d’autres connaissances comme Cuba, l’Amérique latine en particulier mais aussi en Europe, en Asie des approches qui correspondaient avec ce que mes pérégrinations toujours doublées de lectures, de visionnages de films, de discussions avec l’habitant et de transport dans les moyens locaux m’avaient fait découvrir, cela change de l’approche touristique ordinaire avec ses stéréotypes et en ce moment le pire : sa propagande de guerre…

Danielle Bleitrach

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