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La Tunisie se tourne vers la Chine

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En Tunisie, la volonté d’un rapprochement avec la Chine

Article de Nissim Gasteli  • 24m

En accueillant le ministre chinois des affaires étrangères, le président tunisien, Kaïs Saïed, cherche à relativiser l’ancrage occidental de la Tunisie par un resserrement des liens avec Pékin, mais aussi avec Moscou.

Le président tunisien Kais Saied (à gauche) et le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, à Tunis, le 15 janvier 2024.© Fournis par Le Monde

Wang Yi, le ministre chinois des affaires étrangères, n’a pas dérogé à la tradition : comme chaque année, depuis 1991, il a consacré sa tournée de janvier au continent africain. Après une première étape en Égypte, le chef de la diplomatie chinoise est arrivé en Tunisie dans la soirée du dimanche 14 janvier pour une visite de deux jours au cours de laquelle il a rencontré le président, Kaïs Saïed, à Carthage et a tenu une session de travail avec son homologue tunisien, Nabil Ammar.

Pour célébrer les soixante ans de relations qui unissent Tunis et Pékin, les trois dirigeants ont participé, lundi matin, à l’inauguration de la toute nouvelle Académie internationale de la diplomatie de Tunis, un complexe flambant neuf, financé par un don chinois de 72 millions de dinars (21,3 millions d’euros) et destiné à la formation des futurs diplomates tunisiens et africains.

Cet ouvrage est le dernier d’une longue série de bâtiments dont la construction a été financée par la Chine : le centre hospitalier de Sfax, les centres culturels et sportifs de Ben Arous et d’El Menzah 6, dans la banlieue de la capitale, le bâtiment des Archives nationales à Tunis. A ceux-là, s’ajoutent les infrastructures construites par des entreprises chinoises, comme le futur nouveau pont de Bizerte, dont le marché a été remporté par Sichuan Road and Bridge. A l’issue de la cérémonie, Kaïs Saïed a glissé un message sans équivoque à son invité : « J’espère que [l’académie] sera suivie de nombreuses autres réalisations dans mon pays. »

Le quatrième partenaire commercial du pays

La Tunisie, pays traditionnellement proche de l’Europe et des Etats-Unis, représente un fort potentiel pour les « nouvelles routes de la soie » chinoises, initiative à laquelle elle a adhéré en 2018. Pékin a notamment des visées sur le port de Bizerte et a manifesté son intérêt pour un projet de port en eau profonde à Enfidha (au sud de Tunis), mais aucune décision n’a été prise à ce jour par le gouvernement tunisien.

Au-delà de ces infrastructures, la stratégie d’influence chinoise s’est étoffée ces dernières années avec l’ouverture d’un Institut Confucius à Tunis en 2018. Et bien que les échanges entre la Tunisie et la Chine demeurent moins denses qu’avec d’autres pays du sud de la Méditerranée comme l’Algérie, le Maroc ou l’Egypte, où Pékin a entrepris de vastes programmes d’investissements, la volonté de rapprochement est manifeste.

Le géant d’Asie est aujourd’hui le quatrième partenaire commercial du pays derrière la France, l’Italie et l’Allemagne. Le déplacement de Wang Yi a aussi pour but de « confirmer les orientations de la politique étrangère du pays fondées sur la diversification des partenaires et l’ouverture vers de nouveaux espaces », a fait savoir le ministère tunisien des affaires étrangères dans un communiqué en amont de la visite.

« Trouver de nouveaux alliés »

Un rapprochement d’autant plus opportun que les relations entre la Tunisie et ses partenaires traditionnels de l’Union européenne ont connu de forts remous au cours de l’année 2023. Elles ont été marquées par des désaccords sur le rôle de la Tunisie dans le contrôle migratoire de sa frontière maritime, et ce malgré la signature du mémorandum d’entente au mois de juillet, et l’impasse dans les négociations d’un accord avec le Fonds monétaire international, auquel sont conditionnés les 900 millions d’euros d’aides européennes promises en juin.

« Avec les blocages de l’Union européenne, la Tunisie a besoin de trouver de nouveaux alliés avant d’avoir une certaine balance entre les puissances. Elle a besoin de diversifier ses partenaires », estime Oussama Dhiab, chercheur en science politique et enseignant de mandarin à l’université de Carthage.

Fin décembre, le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s’était lui aussi rendu dans la capitale tunisienne, prônant un renforcement de la coopération dans les domaines « de l’agriculture, les céréales, l’énergie, le tourisme, la coopération culturelle et scientifique et les échanges étudiants ». Il a aussi promis une augmentation de l’approvisionnement en céréales pour Tunis alors que ce dernier a triplé ses importations d’hydrocarbures depuis la Russie en 2023.

Même si les visites coïncident, Oussama Dhiab tempère fortement l’idée d’un virage vers l’est. « Les élites politiques et les acteurs économiques sont fortement intégrés dans l’économie méditerranéenne avec la France et l’Italie.La Tunisie ne peut pas se réorienter si facilement », assure-t-il. Selon lui, le développement de ces partenariats sert de « menaces politiques ». Kaïs Saïed, explique-t-il, « a besoin d’alliés forts pour dire aux Européens : “Si vous n’acceptez pas notre souveraineté, nous pouvons opter pour d’autres orientations.” »

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