Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Cinquante mille enfants : la rançon

Voici le texte écrit par Aragon journaliste dans Ce Soir le 23 janvier 1939. Les annales de la société des amis de Louis Aragon et Elsa Triolet publiées par Delga n°20 p. 94, 95, 96 à propos de la doctrine cohérente que Maurice Thorez face à la guerre d’Espagne oppose au magma de notions et de mensonges du fascisme hitlérien et ses collaborateurs. Ici il s’agit de sauver les enfants d’Espagne pris dans les bombardements d’Hitler et Mussolini tandis que Franco avance.

On ne guérit jamais de son enfance, la mienne prolongea celle de ces petits espagnols, les nerfs ébranlés par la guerre. Dès que des enfants sont sous les bombes que ce soit sous la tempête du désert de l’invasion de l’Irak ou dans le Donbass et aujourd’hui, il faut que ça s’arrête. C’est aussi simple que ça, je n’accepte pas la stratégie du Hamas, ce qui s’est passé le 7 octobre et mais beaucoup moins encore celle de Netanyahou qui est à l’origine de tout. C’est la logique des Etats-Unis : faire de ses soldats des pièces fragiles d’un dispositif de surarmement, les véritables cibles sont la population civile, rançonnée, étranglée par les sanctions et les blocus. C’est le prix à payer disait déjà Madeleine Albright devant le blocus de l’Irak et la mort de 500.000 enfants liée à ce blocus. C’est pourquoi ce texte de 1939 résonne, siffle à nos oreilles. N’oubliez pas que ceux qui dans le gouvernement français ont exigé une telle rançon était le gouvernement du Front Populaire, les socialistes, les radicaux qui bientôt mettront en clandestinité les communistes. Cette gauche-là est celle qui au plan international collabore comme les Gluksman, approuve la CIA dans ses blocus, est-ce bien différent de leurs partisans qui au Chili torturaient les enfants devant leur mère pour qu’elles vendent leurs camarades ? Face à ces monstres, Il faut être efficace, partout agir sur notre gouvernement français pour qu’il s’oppose à toute action ciblant les populations civiles. Et surtout qu’il arrête de fournir des armes, et enfin qu’il reconnaisse l’Etat Palestinien et demandons la libération de Barghouti pour que s’ouvrent des négociations régionales sans l’influence des USA et de ses vassaux. Au lieu de diviser rassembler autour de propositions politiques. (note de Danielle Bleitrach histoireetsociete)

Donc, ceux qui ont fait de la guerre sans merci, de la guerre d’extermination leur sanglant étendard approchent de Barcelone dont le nom chanteur évoque les berceaux. Vingt-quatre bombardements en vingt-quatre heures ont eu lieu hier, et c’est là pour moi ce qui fait tout ce “jour du monde” : pilonné les maisons, les pavés, les êtres humains d’une des plus grandes villes d’Europe.

Vous savez ce que cela veut dire, ô mes compagnons de jadis ! et vous tous les anciens combattants, qui avez supporté cela dans les campagnes de France, dans les trous de Verdun, de Champagne ou d’Artois ! Vous savez ce que c’est que vingt-quatre heures sous le canon et sous les bombes. Vous n’avez pas oublié, et il y a encore les sifflements, parfois qui vous font dresser l’oreille…

Or dans Barcelone harcelée, il y a des enfants qui vivent. Qui vivent encore… Des enfants dont certains n’ont jamais connu la paix et qui s’étaient habitués peut-être à ces morts périodiques tombant du ciel comme à une loi de la nature comme à des orages meurtriers. Mais voici que la tempête ne connait plus de répit, voici que dans les rues, sur les “ramblas” de Barcelone, autour des vieilles églises, dans le port et les maisons qui grimpent tout autour sur les collines, cinquante mille enfants ne peuvent plus détacher leurs yeux du ciel.

Eux qui jouaient dans la tourmente, eux dont l’innocence était mêlée à la guerre, ils ont abandonné leurs poupées, leurs billes, leurs cerceaux, leurs marelles… On n’a plus le temps d’une bombe à l’autre de reprendre le fil des jeux. Regardez ces photographies terribles qui nous parviennent de là-bas ; ces expressions d’homme sur des visages qui n’ont pas dix ans, cet effroi qui n’arrive plus aux larmes… Cinquante mille enfants sous les bombes.

(…)

La rançon

Or monsieur le président du Conseil, et vous les Français, vous ne sauriez penser différemment… Mais en même temps que nous parviennent les nouvelles des bombardements une nouvelle nous atteint.

Et j’ose dire qu’elle nous atteint en plein cœur.
Les autorités de Barcelone ont demandé aux représentants de la France, il y a de cela plusieurs jours, d’accueillir ces cinquante mille enfants, dont chaque heure peut faire des cadavres.. La réponse est venue. Sèche, précise, comme un coup de couteau. La France accepterait à condition que par paquet de cinq cent enfants, soit versée d’avance une caution de 1500 livres, c’est-à-dire de 300.000 francs.

Cela met, si je compte bien, à six cent francs par tête le droit de sauver un enfant. Voila le prix officiel du sang !

Pour ce qui est d’ailleurs de l’acceptation des cinquante même à ce prix-là, ce qui ferait une rançon globale de trente millions de francs payés en livres sterling, ce qui est un joli détail commercial, rien que l’on sache n’est assuré.

Est-il possible ? Que signifie cette rançon ? Sur quelle base, qu’on n’a pas le cœur d’imaginer, est-elle établie ? Pourquoi ce prix et pas le double ou la moitié ? Y a-t-il un cours de l’enfant en France comme il y a un cours du porc ou du poulet ? Qui, qui, grand Dieu ! a osé avancer un chiffre ? Dans quel bureau, devant quelle table, avec quelle plume, un homme comme vous et moi, un homme de chair et de sang, a donc mis à prix l’enfance bombardée ?

On entend d’ici la conversation : “Demandez-leur mille francs par tête… – Non c’est exagéré. Cinq cent francs … un enfant ne vaut pas plus. – Mon cher par ces temps de commission de la Hache … Allons six cent francs n’en parlons plus !”

Mais cet odieux trafic, ce marchandage de négrier s’est fait au nom de la France !

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