Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La désoccidentalisation du monde

C’est dans le Figaro que parait cette tribune très lucide non sans cynisme puisqu’elle décrit la faillite d’un monde face auquel il n’a pas d’alternative, ce qui est le cas de bien des constat concernant la chute de l’empire etarsunien. Donc c’est la catastrophe imminente sans moyen de la conjurer, c’est Rome face aux hordes barbares, mais ce constat aussi met l’accent sur des aspects fondamentaux de la faillite démocratique de l’hégémonie occidentale et à ce titre il souligne bien l’impossibilité de “rafistoler” ce sytème. L’impossibilité de réguler ce que son modèle économique engendre pour l’immense majorité de la planète et pourtant le prisme stupide et criminel d’imposer au monde tout ce que génèrent les divisions de sa société au plan politique et idéologique. Ce qui est en train de changer c’est la manière dont les nations, les foules du “sud” ne font plus aucune confiance aux Etats-Unis et à son mode de domination. Le fait que les périls montent alors que 2024 va être suspendu à des séries d’élections autour de querelles minables, de surenchères, pendant que la violence sous toutes ses formes monte devient insupportable. (note de danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

FIGAROVOX/TRIBUNE – L’année 2024 et le report potentiel des élections ukrainiennes, la tenue des élections européennes, américaines, russes et peut-être israéliennes, vont rebattre clairement les cartes de la politique mondiale, analyse le chercheur en relations internationales Sébastien Boussois.Le président ukrainien Volodymyr Zelensky et le président des États-Unis Joe Biden tiennent une conférence de presse ce 12 décembre, alors que le premier s’est rendu à Washington pour demander la poursuite de l’aide militaire à son pays en guerre contre la Russie.

Condamnation erronée. Illustration : Liu Rui/GT

Sébastien Boussois est docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du Cecid (Université Libre de Bruxelles), du Cnam Paris (Équipe Sécurité Défense) et du Nordic Center For Conflict Transformation (NCCT Stockholm).

Le processus de désoccidentalisation du monde s’accélère à grande vitesse depuis plusieurs mois. Les guerres soutenues par l’Occident ne mènent plus depuis longtemps à des victoires. L’exemple de la situation en Ukraine comme de celle entre Israël et Gaza qui monopolisent l’attention des opinions, des politiques et des médias, sont les deux avatars à venir d’un échec géopolitique global des Américains et des Européens à imposer leur agenda. On parle de plus en plus d’un échec de l’Ukraine et d’une impasse pour Israël et Gaza. L’année 2024 et le report potentiel des élections ukrainiennes, la tenue des élections européennes, américaines, russes et peut-être israéliennes, vont rebattre clairement les cartes de la politique mondiale.

En Occident, la critique monte de plus en plus contre le soutien à l’Ukraine et Israël. C’est déjà le cas des États-Unis dont le soutien inconditionnel à l’Ukraine et Israël est actuellement remis en cause et sert de levier pour des affaires de politique interne. Ce phénomène est assez récent car il y a encore quelques mois et alors que la possible réélection de Trump n’était qu’un mirage, les Américains soutenaient encore massivement ce coût financier. Ce soutien politique et surtout financier, qui a coûté très cher à Washington et également à Bruxelles, est discuté comme jamais et même carrément remis en cause ; ce qui n’était pas le cas depuis deux ans pour l’Ukraine ou depuis des décennies pour Israël

Désormais, les Occidentaux montrent au grand jour leur impuissance à régler des conflits, appuyés par des Nations unies en déclin, et sont désormais largement critiqués à l’intérieur par des populations qui ne veulent plus payer pour des guerres lointaines ou des politiques qui ruinent les pays concernés. Avec les élections 2024 (américaines et européennes surtout), les opinions occidentales risquent de mettre un terme à cette gabegie financière. Trump remettra l’Amérique et les Américains au cœur des priorités de son mandat.

2024, ou l’année d’un bouleversement électoral mondial. 

Les Occidentaux sont pris au piège de leurs élections et de l’impossibilité de mener une politique à long terme. Tous les quatre ou cinq ans, on repart à zéro. L’année 2024 fragilise les Occidentaux par le nombre de scrutins stratégiques ou le refus pour certains des élections. Au-delà des guerres en cours ou de longue durée, notamment celle en Ukraine et celle à Gaza, plusieurs pays et institutions occidentales vont changer de tête et changer leur stratégie. Pendant que d’autres verront leurs dirigeants déjà en place être réélus et s’enraciner dans leurs convictions. C’est de plus en plus la faiblesse des démocraties : les politiques menées, aussi radicales et pro-occidentales soient-elles, sont limitées dans le temps et remises régulièrement en cause pendant que face à eux, des dirigeants s’inscrivent dans le temps long et n’ont qu’à attendre que la roue tourne. Elles sont confrontées à de nombreux régimes durables et stables.

C’est le cas de Poutine qui sait que le changement plus que possible à la Maison-Blanche ainsi que les élections européennes vont affaiblir le soutien à l’Ukraine. Cela l’arrange autant que la guerre à Gaza qui a détourné l’attention des Occidentaux. Le président russe vient d’annoncer sa candidature pour 2024 et souhaite gouverner jusque 2036. Un ancien député européen me l’a confirmé: c’est une force qu’a la Russie que n’ont ni les Etats-Unis ni l’Europe. Poutine veut l’Ukraine même si cela prend dix ans. Les Européens et les Américains ne pourront plus soutenir matériellement l’Ukraine et vont devoir la pousser à la table des négociations.

Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche pourrait calmer le sentiment anti-russe mais également mettre fin au soutien financier à l’Ukraine. La CIA pensait déjà en janvier que Moscou avait aidé Trump à être élu en 2017. Mike Johnson, l’actuel porte-parole de la chambre des Représentants et fidèle de Trump, est actuellement dans un bras de fer politique et menace d’empêcher de voter les crédits à Israël et à l’Ukraine. Ce qui arrangerait la Russie qui s’est placée du côté des Palestiniens.

Côté européen, les élections européennes à venir vont renforcer la place de l’extrême droite. Comme nous le confie le même ancien député européen, ces nouveaux élus contestent les anciennes élites qu’ils qualifient souvent de corrompues. Populistes, ces courants qui ne cessent de monter depuis vingt ans dénoncent la soumission de l’Europe aux États-Unis et sont proches des régimes aux tendances autoritaires en Europe et ailleurs.

En 2024, devrait aussi se dérouler l’élection présidentielle en Ukraine. Mais Zelensky a perdu en popularité et semble vouloir repousser l’élection à son profit. Le plus populaire des représentants ukrainiens actuels est le général Valéry Zaloujny, qui pourrait être le futur président si l’élection se tenait et si Zelensky finissait de lasser, par son embourbement et ses mensonges, ses créanciers essentiellement occidentaux.

En Israël, plus la guerre dure, plus le mandat de Netanyahou dure. Or, il est devenu très impopulaire et traîne toujours ses affaires de corruption. Si la guerre se finit rapidement, il va sauter. Et de nouvelles élections seront convoquées, provoquant des mois et des mois d’instabilité et fragilisant encore un peu plus l’État hébreu et son allié américain. C’est ce que craint un ancien ambassadeur d’Israël au cœur de l’UE : la démocratie israélienne va mal et la guerre est un bon moyen d’oublier tout cela. On ne peut pas perdre la guerre, dit-il mais si on la gagne (cela veut dire détruire le Hamas ce qui est loin d’être évident), Netanyahou ne sera pas remercié pour autant. Il est le grand responsable pour les Israéliens du drame du 7 octobre.

L’Ukraine en grande difficulté pourrait perdre le soutien occidental. On a voulu faire croire aux Occidentaux que la guerre ukrainienne contre la Russie serait rapide. Il n’y a à ce jour ni victoire ni effondrement du régime de Moscou. Une ancienne ambassadrice aux Etats-Unis et en Russie affirme que le tabou est enfin levé : non seulement les opinions commencent à se lasser de ce conflit et du coût que supportent les Américains et les Européens pour soutenir une guerre dont on a voulu leur faire croire qu’elle était la leur ; mais aujourd’hui, dans les médias et chez certains spécialistes de la Russie, on sent un possible effondrement des Ukrainiens qui sont tenus artificiellement à bout de bras par les Occidentaux. Il y a encore trois mois, dire cela faisait passer les personnes pour des pro-Poutine. Ce n’est plus le cas.

À partir du moment où les Occidentaux disent stop, il n’y a plus de valeureux combat ukrainien. On peut trouver le combat louable ; on a dépensé beaucoup pour la contre-offensive ukrainienne et elle a été un échec. On a tout essayé mais la Russie a largement résisté avec ses alliés. C’est assurément une forme de victoire du Sud Global qui se profile: l’arrogance occidentale et la certitude d’être les plus forts ont joué contre nous.

Au Moyen-Orient, la défiance à l’égard des Occidentaux et des Américains ne fait qu’augmenter. Le cycle des retraits américains de l’Asie centrale et du Moyen-Orient a été le point de départ du renforcement de la présence de la Chine en Afghanistan notamment, et de la Russie en Syrie. Alors que les Etats-Unis soutiennent Israël, qui tue civils à Gaza, les opinions montent contre Tel Aviv. Le Qatar, les Émirats arabes unis, la Russie et la Chine cherchent à aboutir à un cessez-le-feu pendant que Washington oppose son veto aux Nations unies pour permettre à Israël de finir de s’en prendre aux civils à Gaza. Il y a aujourd’hui un front du refus contre Israël et en faveur des Palestiniens qui fragilisent la position des États-Unis qui seront de plus en plus isolés à l’avenir.

Pendant ce temps-là, la Russie s’enracine au Moyen-Orient et en Syrie, grâce notamment à l’allié émirati qui a poussé à la normalisation des relations avec Bachar el-Assad et à réintroduire la Syrie dans la Ligue arabe. La visite de Poutine dans le Golfe dernièrement est la preuve de cet enracinement. Abou Dabi n’applique pas les sanctions contre Moscou et, proche d’Israël, attend son heure pour proposer ses solutions pour le règlement de la question israélo-palestinienne pendant que le Qatar gère comme il peut le Hamas. Moscou a poursuivi ses alliances avec un nombre croissant de pays arabes à l’occasion de la guerre à Gaza, et les Émiratis commencent à énerver Washington à force de ne pas appliquer les sanctions ni à la Russie ni à la Syrie. Abou Dabi, allié historique des Occidentaux, voit le monde changer et se rapprocher du Sud Global car il sait qu’à terme Israël sera en grand danger sans le soutien des États-Unis. Mohammed ben Zayed, le président émirati, pourra alors se présenter comme médiateur lorsque les Occidentaux n’auront plus d’influence sur place.

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