Il y a des moments tout à fait existentiels où l’on éprouve un étrange écœurement face à ce que certains osent faire de vos engagements. Quand on lit par exemple le torchon qu’un Roubeaud Qashie ose consacrer dans l’Humanité à Lénine la nausée que vous inspire ce genre d’âneries touche quelque chose d’essentiel, le fait que cet individu dieu sait pourquoi ose prostituer non seulement le plus formidable mouvement de libération humaine porté par le prolétariat, les exploités, mais aussi comme on le voit ici tout une conception “honnête” des sciences humaines, du travail de recherche. Et cet acte misérable est accompli dans le journal qui fut celui des communistes, il inaugure un mois de janvier au cours duquel les militants, la jeunesse, vont être gorgés de telles saloperies incultes, et cela a pu être accompli dérisoirement par un snob, un vendu qui soit autorisé à agir ainsi et cela donne envie de fuir. Alors lisez cette simple réflexion d’un honnête homme qui tente de voir en quoi l’histoire et les apports du marxisme au métier d’historien sont respectables, essentielles à la connaissance que l’humanité a d’elle même. (note et traduction de Danielle Bleitrach histoireetsociete)
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En guise d’introduction
Pablo F. Luna
CRH-EHESS-CNRS-Erhimor
Il y a un peu plus de vingt ans, le 07/08/2003, après une longue et brillante carrière d’historien, de praticien du métier et de la pensée historique, Pierre Vilar s’est éteint. Bien que largement oublié par les institutions de la profession, notamment en France, son travail n’a cessé de guider la recherche et l’analyse historiques de nombreux historiens à travers le monde.
C’est ce qui nous a permis de nous remémorer son parcours et d’évoquer quelques documents et ressources, directement accessibles via Internet, qui contribuent à mettre en lumière l’importance de son œuvre, même en nos jours complexes et fatidiques.
Le texte que nous proposons (La solitude du marxiste à l’arrière-plan) dans cette partie de Conversation sur l’histoire, présente quatre aspects de son engagement envers la méthode et la théorie marxistes, qui, rappelons-le, n’ont jamais été dans sa perspective ni un catéchisme de croyances, ni un schéma de verbiage répétitif.
C’est un article court, avec des réponses précises à des questions que l’on pourrait se poser même à l’heure actuelle. Pierre Vilar nous invite à réfléchir, tout d’abord, sur les rapports entre l’histoire et les sciences sociales ; sur leurs espaces respectifs et leurs évolutions. Deuxièmement, il ne donne pas sa vision de l’objet de l’histoire et sa raison d’être ; et ce qu’il n’est pas de son devoir de faire.
Troisièmement, Vilar explique sa compréhension des tâches du professeur d’histoire, à ses différents niveaux, et de celles du chercheur-historien, dans leurs devoirs de citoyens. Et à quatre endroits, enfin, en ce qui concerne les apports du marxisme à la science historique, Pierre Vilar réaffirme ses convictions, non pas celles de l’homme politique qu’il n’était pas, mais celles du praticien et de ses luttes pour l’histoire-intelligence.
Ses réflexions étant formulées par rapport à la situation française au milieu des années 1980, il nous a semblé utile d’essayer de situer le contexte auquel Vilar se réfère, avec quelques notes de bas de page, en particulier sur les personnes et les discussions invoquées. Même si l’on peut clairement évaluer la valeur globale de ses déclarations.
(*)
— Notice biographique (Maitron) : https://maitron.fr/spip.php?article182006
—Atelier Pierre Vilar (catalan, espagnol, français) : http://www.atelierpierrevilar.net/
— L’intellectuel et sa mémoire, Pierre Vilar : https://www.youtube.com/watch?v=9Pu-eUyj01w
—Recherche sociale, 2005 :
https://revistasinvestigacion.unmsm.edu.pe/index.php/sociales/article/view/8279
La solitude du marxiste en arrière-plan[1]
Pierre Vilar
Histoire et sciences sociales
Pour commencer, disons que la place de l’histoire à l’université est médiocre et que sa place dans la recherche (au CNRS[2]) est de peu d’importance. D’autre part, ce qui est exact, c’est que les publications du CNRS continuent de respecter (et je m’en félicite) les champs traditionnels de l’histoire au sein de la « culture » française (l’Antiquité, la publication de textes, etc.), tandis que la recherche en histoire moderne et contemporaine est presque complètement négligée. Il me semble que depuis qu’il y a des « sociologies », des « sciences économiques », il y a eu un mépris croissant pour l’histoire, comme une tentative de s’en passer. À l’inverse, l’histoire s’est beaucoup préoccupée de devenir « économique », « psychologique », etc. Parfois avec succès, mais pas toujours.
Quoi qu’il en soit, je ne peux que préciser ma position personnelle, c’est-à-dire très clairement que l’histoire est la seule possibilité, pour toute science sociale, de saisir les réalités en mouvement, et que toute science sociale qui échappe à l’histoire est une fausse science qui aspire à des absolus totalement chimériques. Cela dit, j’ai parfois l’impression d’être le seul à le penser. Soit parce que les historiens font l’histoire comme ils l’ont fait il y a 100 ans, soit parce qu’ils sont timides ou intimidés face aux autres « sciences » et que les autres sciences se manifestent, de temps en temps, de manière provocante et a-historique.
Cependant, au cours de ma carrière, j’ai eu la satisfaction de voir des économistes et des sociologues venir me confier leurs difficultés ou leurs doutes dans le cadre de leurs enquêtes prétentieuses, et demander à l’histoire de les éclairer. Mais je n’accorde à ces exceptions que l’importance marginale qu’elles me paraissent avoir dans l’évolution plutôt décourageante des « sciences sociales ».
Objet d’histoire
L’objet précis de l’histoire me semble être la reconstitution explicative des faits sociaux, en gardant à l’esprit que le problème n’est pas celui de formuler de grandes « lois » de l’évolution, mais celui de délimiter les processus caractéristiques. À partir de cas spécifiques, bien sûr, mais pas dans le seul but de faire la lumière sur l’affaire, puisque l’intérêt réside plutôt dans le processus lui-même. La « théorie » elle-même n’a pas encore joué un grand rôle dans la recherche. Je considère cependant que le fondement théorique proposé, par exemple, par le marxisme, aide considérablement à l’analyse concrète (ne serait-ce que par le fait qu’il nous fournit des concepts, des définitions). Cela dit, et bien sûr, comme dans toute science, il faut constamment aller de l’observation à la théorie, de la théorie à l’observation, du cas à la généralisation et de la généralisation au cas.
Dans la mesure où le structuralisme est systématique, il court le risque d’être a-historique. Maintenant, si nous appelons structuralisme toute approche de l’étude des sociétés basée sur l’hypothèse d’une logique dans leurs structures, dans ce cas, le marxisme étant un structuralisme, je pense que le rôle de ce type de pensée n’est pas terminé. Pour la simple raison que la logique interne des sociétés et les mutations de ces sociétés constituent l’hypothèse indispensable de toute science sociale. Sans elle, sur quelle base serait-elle fondée ? En ce sens, je répondrai par l’affirmative à la question de savoir si l’histoire est une science. Par science, nous entendons la connaissance raisonnée. J’ai souvent répondu à cette question très simplement : si je ne pensais pas que l’histoire était une science, je ne l’aurais pas pratiquée et enseignée pendant 50 ans !
Histoire et enseignement
Il y a un sérieux problème dans le domaine de l’éducation, puisqu’il s’agit de savoir si une vision du passé sera donnée ou non conformément à l’idéologie dominante — et donc officielle. J’ai du mal à m’y soustraire dans la mesure où il y a une logique sociale. Cela n’empêche pas pour autant un enseignant qui a vraiment le sens de l’histoire, au sens scientifique du terme, d’être toujours capable de proposer des analyses raisonnées d’épisodes passés et d’habituer ainsi les jeunes esprits aux notions de temps, de systèmes sociaux, de logique des conflits, de contradictions internes, de sociétés en mouvement et non stéréotypées une fois pour toutes. Je me devais d’avoir ce genre de professeur. J’espère qu’ils sont toujours là et qu’ils sont mieux équipés et équipés qu’avant. Certains manuels en témoignent.
Cela dit, tant dans la recherche que dans l’enseignement, il y a des tendances très évidentes qui découlent précisément de la peur d’éveiller une conscience publique trop lucide. D’où la tentation de substituer l’enseignement des guerres et des révolutions à l’enseignement de l’histoire de l’agriculture ou de l’habillement des femmes, ou bien sûr, de l’économie « pure » ! Dans la recherche, ou dans la philosophie, de telles tendances anti-historiques seront nourries, ou nous reviendrons à l’histoire-récit (cf. Le dernier livre de Paul Ricoeur[3]). L’historiographie et la réflexion philosophique sur l’histoire font aussi partie de l’histoire et de ses contradictions. Un monde en crise préfère ne pas penser à lui-même, ou penser mal. Peut-être s’agit-il bien de la « crise de l’historiographie » proclamée. Mais il ne s’agit pas nécessairement d’une crise de la science historique.
Les recommandations du rapport Girault[4] sont sans doute raisonnables, même si elles n’apportent pas grand-chose aux historiens qui ont déjà réfléchi sur le sujet. Ce qui m’a amusé, c’est l’importance accordée dans cette étude à la “grande controverse” française de 1980[5], alors que je venais de lire un article de Germán Carrera Damas, de Caracas, sur une controverse identique au Venezuela en 1978. Il y était également question d’un mauvais enseignement de l’histoire aux jeunes enfants, d’une négligence des valeurs et des héros nationaux, de l’introduction de l’économie dans l’enseignement de l’histoire sous l’influence (bien sûr !) du marxisme, etc. A cet égard, on peut se demander si nous n’avons pas deux ans de retard sur le Venezuela.
En effet, il y a une “peur” généralisée de l’histoire raisonnée et une nostalgie de l’histoire traditionnelle, qui s’explique par la crise mondiale. Or, l’importance de la chronologie dans l’enseignement primaire et secondaire est tout autre : il s’agit de donner aux élèves, par l’histoire et grâce à l’histoire, la notion de temps, ce qui est évidemment un devoir essentiel. Je rappelle à cet égard les recommandations de Jules Isaac[6] : 1) avoir toujours sous la main une règle pour représenter les temps relatifs, 2) ne jamais employer un mot abstrait sans le définir et sans montrer son contenu à chaque moment de l’histoire. D’ailleurs, en 1937, il m’était revenu de prononcer un discours sur le sujet lors d’une remise de prix[7] : je ne voulais présenter que des “nouveautés” ! J’avais alors entrepris de montrer que l’antidote à l’autre histoire, dont Paul Valéry avait dit qu’elle était le produit le plus nocif que la chimie de l’intellect ait jamais produit, pouvait aussi se trouver dans l’histoire enseignée[8]. Je maintiens cette conviction, et je crois qu’il est possible de faire de la vulgarisation scientifique sans “abaisser” la qualité, comme le disait il y a quelque temps le slogan d’une collection célèbre, c’est-à-dire sans caricaturer[9].
Quant à moi, j’aurais honte si je n’avais produit qu’une volumineuse thèse de plusieurs milliers de pages et quelques articles “théoriques” ; mais j’ai aussi pu publier une petite Histoire de l’Espagne en 128 pages, que beaucoup d’Espagnols m’ont remercié d’avoir écrite, parce que pendant des dizaines d’années, elle a représenté un petit antidote à l’histoire officielle de l’Espagne. Je crois que ce n’était qu’un effort pour analyser les mécanismes, pour remettre à leur place les petites et les grandes choses, pour s’approcher de la vérité de la connaissance. Un jour, Pierre Vidal Naquet[10] m’a assuré que j’avais réussi dans ma tâche. J’en ai été très heureux de la part d’un historien qui était aussi un homme d’une grande honnêteté.
Transformaciones de la historia. Aportes del marxismo
J’ai remarqué dans les recherches historiques récentes ou moins récentes que, dans certains cas, il y a des innovations de vocabulaire, dans d’autres cas, une grande insistance sur tel ou tel aspect du passé réel, et dans d’autres encore, de simples modes, probablement passagères. Je vous dis tout de suite que toutes m’ont intéressé, tant la notion d'”histoire totale” m’est chère, et c’est pourquoi elle est toujours ouverte à tout approfondissement du réel et du vécu. Cela dit, je ne vois rien qui m’ait obligé à modifier ou même à nuancer certains problèmes de mes anciennes recherches. Le seul regret que j’ai, c’est que certaines tendances s’élèvent contre l’unité du réel, que les historiens de l’économie préfèrent se cantonner à l’économie, que les historiens de la politique se cantonnent à la politique, que ceux qui étudient les mentalités se cantonnent à la mentalité, etc. Mais c’est une critique qui relève des mêmes considérations d’antan, celles que Lucien Febvre avait déjà formulées.
Pour vous dire ce que le marxisme m’a apporté, je l’ai déjà répété à maintes reprises dans “Histoire marxiste, histoire en construction[11]”, par exemple. Je ne vois pas du tout ce qui pourrait changer ma vision des choses. Une histoire comparée ne peut se faire que sur la base de concepts communs, mais pas sur la base de concepts statiques (ou figés), puisqu’il s’agit au contraire de définir historiquement ce que l’histoire ne cesse de créer ou de modifier.
Notas
[1] Publié pour la première fois en français en 1985. Vilar, Pierre, “La solitude du marxiste de fond”, Espaces Temps, 29, pp. 23-25. Le titre de l’article est une adaptation de The Loneliness of the Long-Distance Runner, qui correspond au film de 1962 du réalisateur britannique Tony Richardson, basé à son tour sur le conte social d’Alan Sillitoe de 1959 sur l’entraînement à la course de fond et à la course à pied.
[2] Centro Nacional de la Investigación Científica, organismo público francés de investigación, entidad pluridisciplinaria, puesta bajo la tutela del gobierno y el Estado.
[3] Vilar fait référence aux trois volumes de l’Histoire et récit de Paul Ricoeur, publiés entre 1983 et 1985, aux Eds. Le Seuil. Philosophe et spécialiste de l’existentialisme chrétien et du protestantisme, Ricoeur a cherché à rester en dialogue avec l’histoire et les sciences humaines et sociales.
[4] C’est le rapport que René Girault (historien français des relations internationales) avait réalisé pour le compte du ministère de l’Éducation nationale dans le premier gouvernement de François Mitterrand, en 1983. Il présentait les insuffisances et les « lacunes » de l’enseignement de l’histoire en France, parmi lesquelles se distinguaient les difficultés des élèves à situer la chronologie des événements du passé.
[5] Vilar tient à rappeler le débat « angoissé » sur l’état de déclin de l’enseignement de l’histoire en France au début des années 1980, et qui, entre la persistance d’un récit national et les défis de la diversité contemporaine, a fait naître la nécessité d’un rapport de spécialistes. À cette époque, un certain nombre de colloques professionnels se sont penchés sur un enseignement de l’histoire rapidement qualifié de « mutilé », « pervers », « factuel », « anecdotique », « inutile », « dégradé », etc., dans une société où, rappelons-le, l’histoire a été considérée comme une « obsession nationale ».
[6] Il est l’auteur, avec Albert Malet, de toute une série de manuels scolaires d’histoire, pour différentes périodes historiques, appelés « Malet et Isaac » et qui ont prévalu dans l’enseignement de l’histoire en France, au cours de la première moitié du XXe siècle.
[7] Vilar, Pierre, Discours. Lycée de Sens. Distribution solennelle des prix. 13 juillet 1937. Sens, Imp. E. Duchemin, 1937.
[8] Écrivain, philosophe et poète au tempérament et à l’idéologie conservatrice, Paul Valéry avait expliqué, en 1932, lors de la cérémonie de remise des prix de l’Institut Janson de Sailly à Paris (et en réponse à un éloge de l’historien de la Révolution française, Albert Mathiez, qui venait de mourir), que l’histoire était « le plus dangereux des produits que la chimie de l’intellect [avait] élaboré » ; Il ajoutait que « ses propriétés sont bien connues : elle fait rêver les hommes, elle enivre les peuples, elle génère de faux souvenirs, elle exagère leurs réflexions, elle tient ouvertes leurs vieilles blessures, elle les tourmente dans leur repos, elle les conduit au délire de grandeur ou à celui de la persécution et induit l’amertume des nations, ou les transforme en orgueilleuses, insupportables, vaine » [la traduction est de nous].
[9] Il s’agit d’une référence à un ancien recueil des éditions Armand Colin, lié à l’historien Lucien Febvre, qui consistait à vulgariser sans diminuer la qualité des publications.
[10] Spécialiste de la Grèce antique ; mais il convient aussi de rappeler qu’il a été un militant contre la torture pendant la guerre de la France contre l’Algérie, qu’il a manifesté contre la dictature et les crimes des colonels grecs, contre le franquisme et en faveur de ses représailles, contre les révisionnistes des crimes nazis-fascistes et aussi pour la paix en Palestine.
[11] Publié en espagnol dans Vilar, Pierre, Economía, Derecho, Historia, Barcelone, Editorial Ariel, 1983, pp. 174-228.
Source : Espáce-Temps, 29, (1985). Révision de la traduction Pablo F. Luna (Conversation sur l’histoire)
Couvrir: Pierre Vilar au Congrès de Cultura Catalana (photo : Pilar Aymerich)
à l’École Normale Supérieure, photo de couverture du livre de Rosa Congost Le Jeune Pierre Vilar (PUV, )
Illustrations: Conversation sur l’histoire et l’Atelier Pierre Vilar
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