Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Se servir de la convention contre le génocide

Il y a des batailles dont les protagonistes paraissent plus évidents que cette lutte entre deux fascistes même si comme d’habitude les peuples en sont les bourreaux et les victimes, ai-je dit à Jean-Luc et je regrette que les communistes négligent la bataille pour la survie de Cuba ou la dénonciation de l’Otan et de l’UE, je crois qu’il y ait là un opportunisme social démocrate pour peu de résultats quel que soit l’angle ou l’on prend aujourd’hui le problème. Jean-luc Picker qui nous propose la traduction de ce texte me répond : l’explosion du conflit palestinien aujourd’hui est aussi à comprendre, de même que la guerre de l’OTAN contre la Russie, dans le cadre de l’effondrement rapide de l’empire occidental. Le retour au pouvoir de Netanyahou et la morgue de l’extrême droite sioniste participent à la montée du fascisme dans tous les bastions de l’occident, encouragée par les services états-uniens. L’action de la résistance du 7 octobre n’est pas sans relation avec le rapprochement irano-saoudien orchestré par la diplomatie chinoise. L’affrontement en cours à Gaza, et en particulier le génocide qui s’y déroule sous nos yeux impuissants, peut être utilisé autant et peut-être plus que la guerre en Ukraine pour démasquer les supercheries et les manipulations de l’impérialisme. Il est un coin frappé dans les citadelles occidentales qui peut contribuer, par la mobilisation des populations, à accélérer le déclin de l’empire, et à s’opposer aux risques gravissimes de dérive que voudraient nous imposer nos élites. C’est possible, peut-être est-ce parce que cette affaire m’est terriblement douloureuse que je la fuis, mais il n’y a pas que ça, autrement je le surmonterais. (note de Danielle Bleitrach)

Article de Craig Murray, publié le 19 novembre 2023 dans Consortium News, traduit par Jean-Luc Picker pour histoire et société)

Personne ne peut contester que le bombardement des civils palestiniens et les privations d’eau, de nourriture et autres nécessités vitales constituent des motifs suffisants pour invoquer la Convention contre le Génocide de 1948[1].

Manifestation de solidarité avec la Palestine à Londres, le 9 octobre 2023 (Alisdare Hickson, Flickr, CC BY-SA 2.0)

Les parties signataires de la Convention contre le Génocide sont au nombre de 149 états. Chacun d’eux a le droit d’en appeler aux Nations Unies pour juger le génocide en cours à Gaza.

Israël, les Etats-Unis et le Royaume Uni sont tous parties au traité. Si une des parties au traité s’oppose à la qualification de génocide, le différend entre dans la juridiction de la Cour Internationale de Justice (CIJ) qui devra statuer sur « la responsabilité d’un état dans la conduite d’un génocide » suivant les articles suivants :

Article VIII

Toute Partie contractante peut saisir les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies afin que ceux-ci prennent, conformément à la Charte des Nations Unies, les mesures qu’ils jugent appropriées pour la prévention et la répression des actes de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III.

Article IX

Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d’une partie au différend.

Le terme de « partie au différend » s’entend ici comme les états qui contesteraient les faits de génocide, et non les parties qui s’opposent dans le cadre du conflit/génocide. Chacun des pays peut, à sa seule décision, en appeler à la convention.

Il ne fait aucun doute que les actions d’Israël relèvent du cadre du génocide. De nombreux experts légistes internationaux se sont prononcés sur le sujet et l’intention génocidaire a été exprimée directement par de nombreux ministres, généraux ou hauts fonctionnaires israéliens.

Définition du Génocide

La CPRCG définit le crime de génocide en loi internationale :

Article II

Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe;
b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

Article III

Seront punis les actes suivants :

a) Le génocide; b) L’entente en vue de commettre le génocide; c) L’incitation directe et publique à commettre le génocide; d) La tentative de génocide; e) La complicité dans le génocide.

Article IV

Les personnes ayant commis le génocide ou l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III seront punies, qu’elles soient des gouvernants, des fonctionnaires ou des particuliers.

Les actions des Etats-Unis, du Royaume Uni et de certains autres pays, qui procurent une aide militaire directe employée dans le génocide, peuvent raisonnablement être considérées comme constituant une complicité de génocide.

La raison d’être de l’article IV est de préciser que ce ne sont pas seulement les états qui sont responsables, mais également les individus. En vertu de cet article, le premier ministre d’Israël, Benjamin Netanyahu, le président des Etats-Unis, Joe Biden et le premier ministre britannique Rishi Sunak ont une responsabilité individuelle. Ainsi que tous ceux qui ont appelé à la destruction des Palestiniens.

Les bénéfices d’en appeler à la CPRCG sont absolument incontestables. Un jugement de la CIJ qui établirait qu’Israël se rend coupable de génocide aurait un effet diplomatique gigantesque et rendrait extrêmement difficile pour les Etats-Unis et le Royaume Uni de continuer à subventionner et à armer Israël.

Articulation entre la CIJ et la CPI

La CIJ est la plus respectée des institutions internationales. Les Etats-Unis ont refusé de se soumettre à sa juridiction. Mais le Royaume Uni et la Communauté Européenne la soutiennent. Si la CIJ établit le crime de génocide, la CPI n’a plus à se prononcer sur cette question. Ce point est particulièrement important dans la mesure où, à l’inverse de l’auguste CIJ, regardée comme indépendante, la CPI est largement considérée comme une marionnette aux mains des intérêts occidentaux qui peuvent la mettre hors d’action.

Si la CIJ a établi le crime de génocide, ou celui de complicité du génocide, il ne reste à la CPI qu’à établir quels individus en portent la responsabilité. Une telle perspective est susceptible d’altérer les calculs des politiciens impliqués.

Un autre point à considérer est que le seul fait d’en appeler à la CIJ forcerait les médias occidentaux à en parler et à utiliser le terme de génocide au lieu de se contenter de reprendre la propagande sur les bases opérationnelles du Hamas dans les hôpitaux.

De plus, un jugement de la CIJ entraine automatiquement la saisie de l’Assemblée Générale des Nations Unies, passant outre au Conseil de Sécurité paralysé par le véto occidental.

Toutes ces considérations nous obligent à nous poser la question suivante : pour quelle raison aucun état n’a encore invoqué la CPRCG ? Cette question est d’autant plus pressante que la Palestine elle-même compte parmi les 149 parties au traité et est donc en droit d’en référer aux Nations Unies et à la CIJ.

Toutes ces considérations nous obligent à nous poser la question suivante : pour quelle raison aucun état n’a encore invoqué la CPRCG ? Cette question est d’autant plus pressante que la Palestine elle-même compte parmi les 149 parties au traité et est donc en droit d’en référer aux Nations Unies et à la CIJ.

Le secrétaire d’état états-unien Anthony Blinken avec Abbas dans la Muqata de Ramallah, Cisjordanie, le 5 novembre 2023 (State Department, Chuck Kennedy)

Mais il devient plus difficile, jour après jour, de continuer à soutenir Abbas. Il apparaît d’une passivité extraordinaire, et on ne peut se défaire de l’impression qu’il se soucie plus de rejouer la guerre civile palestinienne[2] que de mettre un terme au génocide.

Pourtant, en invoquant la CPRCG, il serait en mesure de replacer le Fatah au centre des manœuvres diplomatiques. Mais il n’en fait rien. Je ne peux pas croire qu’il faille arguer que la corruption et la promesse de Blinken de lui octroyer l’autorité sur Gaza expliquent sa position. Malheureusement je n’ai aucune explication alternative à proposer pour le moment.

Il reste que les 149 autres pays parties à la convention pourraient accuser Israël et ses soutiens du crime de génocide. On aurait tort de penser que la CPRCG est une coquille vide. Elle a été invoquée contre la Serbie par la Bosnie Herségovine et la CIJ s’est prononcée contre la Serbie au vu du massacre de Srebrenica, ce qui a conduit directement aux poursuites engagées par la CPI.

L’Iran, la Russie, la Lybie, la Malaysie, la Bolivie, le Venezuela, le Brésil, l’Afghanistan, Cuba, l’Irlande, l’Islande, la Jordanie, l’Afrique du Sud, la Turquie et le Qatar sont tous parties à la convention. Mais aucun n’a invoqué le génocide devant les instances des Nations Unies.

Pourquoi ?

Certains états n’y ont peut-être tout simplement pas réfléchi. En ce qui concerne les pays arabes, le fait que la Palestine elle-même n’a pas invoqué la convention peut être utilisé comme excuse. Quant à eux, les pays européens peuvent s’abriter derrière la nécessité d’une unanimité du bloc.

Mais en fin de compte, j’ai bien peur que la vraie raison ne réside dans le fait que aucun pays ne se soucie suffisamment des milliers d’enfants palestiniens déjà assassinés et des milliers qui vont suivre rapidement pour introduire un autre motif d’hostilité dans leur relation avec les Etats-Unis.

Regardons ce qui s’est passé lors du sommet organisé par l’Arabie Saoudite le 11 de ce mois : les pays islamiques n’ont pas pu se mettre d’accord sur un arrêt des livraisons de gaz et de pétrole à Israël. La vérité est que le génocide à Gaza n’est pas un sujet de préoccupation majeur pour les élites au pouvoir. C’est leur intérêt propre qui prime.

Il n’est besoin que d’un seul pays pour invoquer la CPRCG et changer ainsi le narratif et la dynamique internationale. Cela ne pourra arriver que si la volonté populaire se montre capable de s’imposer aux gouvernements. Et c’est là que chacun peut faire un petit quelque chose pour aider à mettre la pression. Je vous supplie de faire ce que vous pouvez.

Tirons ici notre chapeau à l’infatigable Sam Husseini, journaliste indépendant, qui fait son possible pour imposer à la Maison Blanche la Convention contre le crime de Génocide.

Craig Murray est un écrivain, animateur radio et militant des droits humains. Il a été ambassadeur du Royaume Uni en Uzbekistan de 2002 à 2004 et recteur de l’Université de Dundee de 2007 à 2010. Son activité est entièrement dépendante du soutien de ses lecteurs. Vous pouvez soutenir financièrement son blog ici.


[1] NdT La Convention pour la Prévention et la Répression du Crime de Génocide (CPRCG) a été approuvée à l’unanimité des pays de l’ONU le 9 décembre 1948 et a pris valeur de traité international le 12 janvier 1951. A l’heure actuelle, 153 états l’ont ratifiée.

[2] NdT : à la suite de l’élection de 2006 donnant une large majorité au Hamas dans la bande de Gaza, l’opposition entre le Hamas et le Fatah a conduit a des affrontements armés qui se sont soldés par le retrait de l’Autorité Palestinienne du territoire.

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