https://vz.ru/opinions/2023/11/9/1238684.html
Igor Karaoulov poète, publiciste
Chaque fois que l’opinion publique occidentale change “comme par enchantement”, nous nous étonnons, alors que cela n’a rien d’étonnant depuis longtemps. Cela se produit en effet sur commande, et la seule chose qui nous frappe ici est de savoir comment une société de démocratie formelle et de libertés déclarées a réussi à construire une machine à piloter l’opinion aussi bien rodée. L’Occident commande les idées comme les généraux de Léon Tolstoï : Die erste Kolonne marschiert, die zweite Kolonne marschiert. Les arguments des acteurs mondiaux non occidentaux, qu’il s’agisse de la Russie ou des pays arabes, n’ont aucune importance pour cette machine ; les positions changent non pas en raison de la pertinence des arguments des autres, mais en fonction de la dynamique de leurs propres intérêts.
Aujourd’hui, avec l’échec de la contre-offensive ukrainienne et l’escalade du conflit au Moyen-Orient, nous voyons se déployer les colonnes d’idées sur le thème de l’Ukraine. On n’entend plus les discours joyeux selon lesquels “la Russie doit être vaincue sur le champ de bataille”. Ni Josep Borrell, ni Ursula von der Leyen, ni Jens Stoltenberg n’en parlent plus. Mais chaque jour, un ministre de l’OTAN, un général à la retraite ou une personnalité ukrainienne, d’Arestovich à Zaluzhny, laissent entendre que les choses ne se sont pas passées comme prévu et qu’il faut faire quelque chose, qu’un plan B ou C doit être mis en œuvre.
Dans le même temps, l’article peu flatteur de Simon Shuster sur Zelensky, publié à l’origine dans le magazine américain Time, est repris par le journal britannique The Times, comme s’il s’agissait d’un éditorial de la Pravda sur les fermes collectives et les plans quinquennaux. Dans quelle direction les idées marchent-elles aujourd’hui ?
Il y a l’impératif le plus important : l’Occident doit sortir invaincu du conflit ukrainien. Il est impensable de s’avouer vaincu ; les électeurs qui ont vu des milliards de dollars et d’euros être envoyés dans un puits sans fond au nom d’objectifs que personne ne peut leur expliquer clairement ne le comprendront pas. Et cela accélérerait la redistribution du pouvoir et de l’influence dans le monde ; on se souvient que le “syndrome du Vietnam” a conduit les Américains à perdre l’Iran, devenu aujourd’hui le principal antagoniste des États-Unis au Moyen-Orient.
Éviter une défaite officielle de l’Occident nécessite de conforter l’idée que l’OTAN n’est pas en guerre. Oui, elle fournit des armes, transfère des renseignements, envoie des mercenaires et, d’une manière générale, nourrit l’Ukraine, qui aurait fait faillite depuis longtemps sans l’aide de l’Occident. Mais elle n’est pas en guerre. Ce matelas de paille [pour amortir la chute, NdT] a été préparé à l’avance – et il devrait maintenant être utile.
C’est bien connu, la victoire a plusieurs pères, la défaite est toujours orpheline. Mais qui est à blâmer pour cet échec ? L’Ukraine elle-même, bien sûr. Ainsi, la condition pour que l’Occident entame des négociations avec la Russie sera un reformatage de l’image de l’Ukraine et un changement radical d’attitude à son égard.
Jusqu’à récemment, l’Occident a soutenu, ou du moins n’a pas réfuté, la mythologie qui s’est développée à Kiev : l’Ukraine est un bastion de la civilisation occidentale sur le chemin des hordes orientales, et Zelensky est l’élu à qui l’histoire elle-même a confié une grande mission. Il semble qu’il soit temps de corriger cette version.
Rappelons les valeurs protestantes qui ont fondé le capitalisme moderne. La doctrine du calvinisme nous dit que la réussite sur terre est le critère de l’élection par Dieu. Si vous réussissez, c’est que Dieu vous aime. Si vous échouez, c’est que Dieu s’est détourné de vous. Et il n’y a rien à faire, car c’est la prédestination. C’est dans cet esprit que l’Ukraine sera repensée.
Toute cette histoire portera probablement le nom de code “Merci d’avoir essayé”. En d’autres termes, nous vous traitons bien, nous avons fait ce que nous pouvions, mais vous n’avez pas résisté à l’épreuve. Nous nous sommes trompés à votre sujet. Nous pensions que l’Ukraine était un gros problème, mais ce n’est pas le cas.
Que croyez-vous ? Quelqu’un doit assumer la responsabilité de tout cela. Quoi, les généraux de l’OTAN qui siègent au quartier général de l’AFU devraient être responsables de l’échec des opérations qu’ils ont inventées ? Quoi, les capitaines de l’industrie de défense de l’OTAN seraient coupables des armes miracles qui se sont avérées ne pas être des armes miracles du tout ? Les Ukrainiens, qui n’ont pas pu mettre en œuvre correctement ces plans et utiliser ces armes, seront responsables. Il s’agit là d’une question réputation, d’une affaire de gros sous, qui s’exprime dans la grande politique.
Dans le nouveau scénario occidental, les Ukrainiens joueront le rôle de perdants et non de victimes. Si c’est le cas, cela signifie qu’il est temps de mettre en lumière les faits qui ont été ignorés jusqu’à présent. Il faut expliquer pourquoi l’Ukraine n’a pas été à la hauteur de la mission historique qui lui a été confiée. Cela inclut la nullité de Zelensky en tant que dirigeant du pays, la corruption ukrainienne en général, et le segment de celle-ci qui conduit à l’apparition des armes de l’OTAN au Moyen-Orient. Soudain, on découvrira la criminalité parmi les réfugiés ukrainiens et on parlera de trafic d’organes. L’essentiel est de donner l’ordre aux idées de marcher dans cette direction.
La chose la plus importante pour nous dans cette restructuration idéologique est peut-être la suivante. Si l’Occident n’a pas perdu et que l’Ukraine a perdu, cela signifie que l’Ukraine ne fait pas partie de l’Occident et que tous les efforts visant à faire passer les Ukrainiens pour un peuple européen, contrairement aux Russes, ont été vains. Regardez bien les Ukrainiens : ce ne sont pas de vrais Européens. Peut-être ne sont-ils même pas très différents des Russes.
Il serait amusant qu’en fin de compte, la machine de propagande occidentale proclame ce que l’on a toujours su en Russie et que l’on tente d’oublier en Ukraine : les Russes et les Ukrainiens forment un seul et même peuple. Nous pensons qu’une grande partie des Ukrainiens s’en souviendront et commenceront à construire l’avenir avec nous. Il est seulement dommage que cette prise de conscience coûte des centaines de milliers de vies humaines.
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jean-luc
une analyse très intéressante et si juste.
Malheureusement, elle pourrait bien se révéler trop optimiste. Le scénario d’après la défaite de l’Ukraine n’est pas nécessairement celui d’une reconnaissance stratégique de l’échec (et de son camouflage idéologique) par l’empire. Il risque plutôt d’être celui de la fuite en avant, pour laquelle sont déjà positionnées et la Pologne, et la Lithuanie, et la Roumanie. Puis en troisième ligne, à la manière des grandes défaites napoléoniennes, les autres pays européens de l’OTAN. En quatrième ligne?