Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Interview croisée d’Alain Gresh et Dominique Vidal (Courrier de Genève): “Une offensive sur le terrain entraînerait un bain de sang”

Le point sur la situation : il faut insister sur leur conclusion, si les opinions publiques peuvent beaucoup pour la paix dans la justice, nous devons aussi mesurer la nature de ce que j’appelle le consensus atlantique français qui créé une unanimité de façade autour de Macron qui est le seul à avoir interdit toutes manifestations désavoué par le Conseil d’Etat, celui qui se permet de faire arrêter des syndicalistes CGT. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)


1) Interview croisée d’Alain Gresh et Dominique Vidal (Courrier de Genève): “Une offensive sur le terrain entraînerait un bain de sang”

Deux semaines après l’attaque terroriste du Hamas sur Israël, la bande de Gaza est toujours soumise à un blocus total de la part d’Israël. Les bombardements incessants de Tsahal sur l’un des territoires les plus densément peuplés du monde ont déjà fait plus de 3 500 morts. Sans accès à l’eau ou à l’électricité, les Palestiniens sont confrontés à une situation humanitaire critique. Dominique Vidal, journaliste et historien et Alain Gresh, ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique et cofondateur du journal en ligne Orient XXI, tout deux auteurs de nombreux ouvrages sur le conflit israélo-palestinien, analysent pour le Courrier la réalité de cette crise.

 Le Courrier : La situation humanitaire à Gaza devient dramatique. L’aide humanitaire peut-elle rapidement se mettre en place ?  

Dominique Vidal : Une remarque préalable : quiconque s’en prend à des civils commet des crimes de guerre, que les victimes soient israéliennes ou palestiniennes. Il n’y a pas de définition juridique consensuelle du terrorisme, mais on peut considérer que la terreur créée par les crimes de guerre en fait partie. Sur la question humanitaire, les informations dont je dispose aujourd’hui sont que du matériel est déjà pré-positionné à la frontière égyptienne, mais celle-ci reste fermée. Jeudi, le gouvernement israélien s’est engagé à en permettre l’acheminement à Gaza.

Alain Gresh : Je pense que prendre comme point de départ de la situation la question du “terrorisme” est une erreur, une manière de dépolitiser les événements et de se priver de toute capacité d’analyse. Aujourd’hui, avant tout, il faut un cessez-le-feu.  C’est la condition pour que les frontières soient rouvertes, même temporairement. Mais la communauté internationale ne veut pas appeler à la paix, comme le montre le rejet par le conseil de sécurité de plusieurs résolutions en faveur d’un cessez-le-feu. Israël est aujourd’hui largement soutenu par les pays européens et les Etats-Unis, dont la France.

Le Courrier : Hier, les Etats-Unis ont mis leur veto à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui appelait à une «pause humanitaire» dans la guerre. Comment interpréter ce rejet ? 

D.V. : C’est une situation habituelle, typique des conflits au Proche-Orient : les États-Unis protègent diplomatiquement Israël en faisant usage de leur droit de veto.

A.G. : La communauté occidentale a un discours uni : Israël a le droit de se défendre, a le droit de faire ce qu’ils font dans les territoires occupés. Ces mêmes Etats ont fait des déclarations très prudentes pour rappeler à Israël son obligation de se conformer au droit international mais cela n’a aucun effet sur le terrain. Au désastre humanitaire s’additionne un désastre politique. Il y a une rupture avec le monde arabe, qui est uni derrière la cause palestinienne, et plus largement le sud global, qui reprochait déjà aux États occidentaux un respect du droit international à géométrie variable.  

D.V. : Une évolution reste possible. Je pense notamment que les centaines de morts lors de la destruction de l’hôpital de Gaza mercredi soir ont créé un véritable effet de sidération de nature à pousser à une trêve.

Le Courrier : Israël a annoncé vouloir envahir Gaza, malgré des injonctions étasuniennes à la désescalade. Est-ce un projet réel ou une simple annonce ?

 A.G. : Pour le gouvernement Israëlien, le 7 octobre est un échec militaire et politique. L’invasion, ou l’occupation, devrait lui permettre, selon ses termes “de “rétablir la dissuasion”. C’est illusoire, mais de nombreux éléments pourraient freiner cette décision.

D.V. : Le sujet fait débat au sein de la direction israélienne. Les conséquences d’une telle opération seraient redoutables. Une offensive terrestre ne pourrait conduire qu’à un bain de sang et atteindrait durablement l’image d’Israël sur la scène internationale. Rappelez-vous combien elle avait salie par les massacres de Sabra et Chatila en 1982. Dix ans plus tôt, la prise d’otages des athlètes israélien aux JO de Munich avait entaché l’image des Palestiniens.

A.G : Prendre Gaza comporte des risques pour l’armée israélienne. Le Hamas a montré qu’il avait de réelles compétences militaires. La dernière invasion importante de Gaza en 2014 avait entraîné la mort de plusieurs dizaines de militaires. C’était déjà un lourd bilan pour une opération israélienne. Une attaque terrestre pourrait entraîner des centaines de morts de soldats israéliens. Je ne pense pas pour autant qu’ils vont renoncer, mais une occupation durable ne peut passer que par l’expulsion forcée des gazaoui de la bande de Gaza.

D.V. : La politique intérieure compte aussi. En cas d’élections anticipées, un sondage promet un effondrement de l’actuelle coalition, qui tomberait de 67 sièges (sur 120) à 42 ! Un autre indique que 82 % des Israéliens tiennent leur gouvernement responsable de cette catastrophe et 56 % exigent le départ de Netanyahou. Politiquement, il est mort. Une offensive terrestre l’enterrerait. 

Le Courrier : Vous parliez de bain de sang. Il y a donc un risque de nettoyage ethnique à Gaza ?

A.G. : Ce n’est pas nouveau.. Il y a une stratégie à long terme qui est une stratégie d’occupation et de réduction des Palestiniens au maximum, à la fois en termes de droits, de territoire, de population. C’est un objectif porté par le gouvernement actuel mais aussi les précédents. Depuis janvier et l’arrivée de la coalition d’extrême droite qui prône le “suprémacisme juif”, cette stratégie coloniale s’est accélérée.

D.V. :  Une offensive sur le terrain entraînerait une guérilla urbaine aboutissant à un nettoyage ethnique.  Ce mercredi soir, on recense déjà plus de 3 500 morts et 12 000 blessés parmi les Gazaouis. On compte près de 2000 immeubles détruits. Plus d’un million de Palestiniens ont été contraints de se diriger vers le sud de la bande. La situation humanitaire est terrible. Dans ces conditions, une guerre à l’intérieur de ce territoire risquerait de prendre un caractère génocidaire. L’ONU nomme génocide l’élimination intentionnelle, totale ou partielle, d’un groupe national, ethnique ou encore religieux. C’est pourquoi elle avait qualifié de génocide le massacre de 8 000 Bosniaques à Srebrenica en 1995.

A.G. : Une expulsion semble difficile. L’Egypte refuse d’accepter des centaines de milliers de Palestiniens sur son territoire. Les habitants de Cisjordanie pourraient être expulsés vers la Jordanie qui n’a pas les moyens militaires et politiques que l’Egypte pour refuser la situation. Mais même dans ce cas, les Palestiniens ont appris de 1948 et 1967, avec l’expulsion à l’époque de centaines de milliers de Palestiniens, qu’ils ne voulaient pas partir. Israël devrait avoir recours à la force et organiser le départ de centaines de milliers de personnes. Je l’imagine mal, notamment du fait de la pression médiatique, mais je n’imaginais pas que ce se passe à Gaza entraîne si peu de réaction. 

Le Courrier : Comment l’attaque du Hamas et la riposte israélienne changent la donne au niveau régional ? 
A.G. : La riposte israélienne a créé une unité dans tout le monde arabe, qui soutient largement les Palestiniens. Elle a impacté les positions de l’Arabie Saoudite, qui se préparait à entamer les négociations diplomatiques avec l’Israël. Il y a une possibilité d’un embrasement avec le Liban et le Hezbollah. Les Israéliens craignent l’ouverture d’un second front. Est-ce que le Hezbollah peut rester l’arme au pied face à l’écrasement de Gaza ? C’est une question ouverte mais le risque est réel. 

D.V. : Le risque d’escalade régionale fait partie des raisons qui retardent une invasion terrestre de la bande de Gaza. La communauté internationale, qui soutient pour le moment la riposte Israélienne, y verrait sans doute le franchissement d’une ligne rouge. En outre, contrairement à certains observateurs, je ne crois pas que l’Iran, après avoir normalisé ses relations avec l’Arabie saoudite, ait intérêt à une explosion régionale.

Le Courrier : Avez-vous l’espoir que la communauté internationale agisse pour arrêter Israël ?

D.V. : Tout dépend de ce que vous appelez « communauté internationale ». Si cette expression signifie les opinions, alors oui : les manifestations qui ont fait descendre dans les rues des foules solidaires des Palestiniens peuvent exercer des pressions sur les gouvernements qui, sinon, se réfugieraient dans le « deux poids deux mesures ». Car les autorités françaises sont les seules à avoir tenté d’interdire toute manifestation – le Conseil d’État les a d’ailleurs désavouées.

Vues : 102

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.