Après trente années de censure totale, mon retour dans la Marseillaise

Certes je ne suis pas prise sous mon meilleur angle et à mon âge ça compte, certes c’est par hasard et parce que je suis désormais une vieille dame inconnue pour le jeune journaliste auteur du compte-rendu et de la photo comme de ceux qui ont fait la mise en page, mais l’illustration de cet article rompt la censure totale que je subis depuis plus de trente ans de la part de ce journal. Je plaisante, je galèje comme on dit ici parce que l’important est bien sûr ailleurs, il est dans cette journée et je voudrais ici répéter ce que j’ai dit aux organisateurs de cette association sur ce qui me parait essentiel dans leur action.

illustration: photo pour photo je préfère celle-ci parce que j’y suis plus vivante mais surtout à cause de l’ordre de Lénine dont les camarades du KPRF m’ont décorée avec Marianne. Une manière qui me permettait sans le dire d’associer le sacrifice de l’armée rouge aux victimes mais aussi à la résistance au nazisme.

Ce que fait cette dynamique association est essentiel pour au moins trois raisons !

La première est la manière dont sont connus les faits historiques, l”histoire est longtemps demeurée la chronique des rois et des puissants, les seuls dont les faits paraissaient dignes d’être écrits, l’art, la littérature en faisaient autant. J’étais médiéviste et j’avais la passion de la littérature des romans chevaleresques, je me souviens que la seule représentation du paysan, “le vilain” était dans le roman Aucassin et Nicolette. C’était une brute quasi animale. Puis il y a eu le renouveau des études historiques, les méthodes de l’anthropologie, les écoles françaises, celles de Braudel, des Annales, mais sous l’inspiration du marxisme, du renouveau de l’école soviétique… Je n’arrêterai pas de parler de cela, de la manière dont leurs démarches peuvent continuer à inspirer notre conception du monde. Il est très important que les couches populaires se battent elles-mêmes pour cette conception de l’Histoire. Et l’on peut dire que cette association qui est allée en justice, a apporté non seulement des témoignages mais des preuves, va laisser à Marseille tout un pan de son histoire, celle de ce que fut le nazisme.

La seconde raison se résume dans l’idée de Marx : les peuples qui oublient leur histoire sont condamnés à la revivre. Et jamais cette phrase ne fut plus appropriée à la situation actuelle.

La troisième raison concerne la manière dont est traitée l’extermination juive actuellement. Apparemment le fait que le peuple juif ait payé une des plus fortes notes à la barbarie nazie (pourtant celle des peuples de l’URSS l’englobe et la surpasse) après un temps de relatif silence, tend à déboucher sur un quasi monopole de la victimisation. C’est une pseudo victoire qui comme tout isolement d’une population stigmatisée, quand reviennent les forces fascistes et conservatrices les place en position de facile repoussoir et bouc émissaire de la colère populaire. C’est vrai des juifs, comme ça l’est d’autres victimes du racisme, mais aussi pour les femmes, les homosexuels. Et de surcroit c’est historiquement inexact, non seulement parce qu’il y a eu d’autres victimes désignées, le tsiganes, les malades mentaux, les communistes, les slaves, etc…. Et de surcroit tous les témoignages que j’ai apportés sur ce que vivait une enfant juive durant cette terrible époque concerne des juifs, l’enfant juive que j’étais qui n’ont survécu qu’eux-mêmes entrant dans la résistance, et parce que ce qui est mon cas des résistants les ont arrachés à ce terrible destin. Oui lors des rafles organisées par Bousquet (l’ami de Mitterrand) il y a eu des gens qui nous ont dénoncés, mais il y a eu aussi massivement des gens qui nous ont aidés, nous ont protégés au péril de leur vie. Je félicite donc ces gens dans cette association qui représente ce quartier populaire de Saint Jean, souvent issus de l’immigration italienne, espagnole qui rétablissent les faits sans pour autant nier au contraire la barbarie de la Shoah et j’ai appris avec intérêt que la Licra leur avait demandé de s’associer à leur action mémorielle.

Danielle Bleitrach